2011 - Acceptation sociale des Aires Marines Protégées - L’exemple de la région sud-ouest de l’océan Indien

Date: November 22, 2011
Time: 10:03:39 AM GMT+04:00
Topic: 2011 - Acceptation sociale des Aires Marines Protégées - L’exemple de la région sud-ouest de l’océan Indien

Des réserves sous réserve

Voir aussi présentation de la thèse 2011 - 28 avril - « Des réserves sous réserve ». Acceptation sociale des Aires Marines Protégées - L’exemple de la région sud-ouest de l’océan Indien"

Thèse THOMASSIN réserve réserves aires marines protégées

Document pdf en fin de fiche

UNIVERSITE DE LA REUNION

Ecole doctorale Lettres et sciences humaines, Droit, Economie, Gestion, Sciences politiques

UMR ESPACE-DEV - IRD

Thèse de doctorat en Géographie

« Des réserves sous réserve »

Acceptation sociale des Aires Marines Protégées

- L’exemple de la région sud-ouest de l’océan Indien -

Présentée et soutenue publiquement à Paris, le 28 Mars 2011, par

Aurélie THOMASSIN

Sous la direction de M. Gilbert DAVID, Directeur de recherche – IRD

et la co-direction de M. Marc ROBIN, Professeur de Géographie – Université de Nantes

Composition du jury

DECOUDRAS Pierre-Marie Professeur de Géographie - Université de La Réunion

FERRARIS Jocelyne Directeur de recherche - IRD

BRIGAND Louis Professeur de Géographie - Université de Bretagne Occidentale

DAVID Gilbert Directeur de recherche - IRD

ROBIN Marc Professeur de Géographie - Université de Nantes

TESSIER Emmanuel Directeur du GIP-RNMR

LAROUSSINIE Olivier Directeur de l’AAMP

GABRIE Catherine Comité National IFRECOR

Crédit photographique de la page de couverture (frise, de gauche à droite) :

Port de Saint-Leu, A. Lemahieu

Plongée avec un poisson Empereur, J-M Langlois

Pêche aux capucins, B. Cauvin

Fréquentation balnéaire sur la plage de Boucan Canot, A. Lemahieu

Kite-surf à Trou d’eau, A. Thomassin

Plongée avec une raie, J-M Langlois

Filet de pêche, A. Thomassin

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Remerciements

Mes premiers remerciements vont, tout naturellement, à Gilbert DAVID, mon directeur, sans

lequel toute cette aventure n’aurait pas été possible. Voilà 8 ans que nous travaillons ensemble et je

réalise aujourd’hui combien il m’a appris au niveau scientifique comme humain. Depuis mon stage de

DESS à l’IRD d’Orléans en 2003, jusqu’à la thèse, en passant par le VCAT à La Réunion, nos

nombreux échanges ont nourri mes réflexions scientifiques et n’ont cessé d’influencer l’orientation

de mes recherches. Je reste admirative devant l’originalité, la pertinence et le caractère visionnaire de

ses idées. Ses grandes qualités humaines en font un partenaire de confiance avec qui j’espère

sincèrement continuer à collaborer. Une dédicace spéciale pour « le pauvrepoint des pokens à

Vachtinton » (comprendre « le powerpoint des anglais à Washington »)…

Je remercie également mon co-directeur Marc ROBIN, ainsi que l’ensemble des membres de

mon jury d’avoir pris le temps de me lire et d’avoir fait preuve de patience durant les tergiversations

concernant la date de soutenance.

Un grand merci à l’équipe de la représentation de l’IRD à La Réunion, tout particulièrement à

Alain, Françoise et Florence qui n’ont eu de cesse de faciliter les démarches administratives relatives

aux missions, déplacement, et financements. Leur aide et leur disponibilité furent précieuses, tout

comme leur « café VIP » en salle de réunion !

J’en profite pour remercier tous mes collègues de l’IRD qui m’ont accompagné et entouré tout le

long de ce parcours, en particulier ceux du Moufia. Je pense notamment à Pascale Metzger avec qui

les « pauses clopes » devenaient de passionnants brainstorming, Marco et Pascal les acolytes

polyglottes des DCP, Plume et ses yeux pétillants de douceur et d’altruisme, Gwen pour son aide et

son soutien et Erwann le seul motard que je connaisse qui transporte sa planche de surf sur sa 125.

1000 pensées pleines de courage et d’amitié sont adressées à mes collègues doctorants avec

lesquels nous avons partagé les bons comme les mauvais moments de la thèse. Kamardine et Anita,

lâchez pas ! Vous êtes les suivants !

Je n’oublie pas non plus les stagiaires qui ont largement contribué à la réalisation de ce travail. Je

pense notamment à Yasmina, Leïla, Julie et Martin. L’encadrement de leur travail a été une

expérience humaine et professionnelle très formatrice. Encore merci pour votre aide.

Je tiens également à remercier les nombreux acteurs avec qui j’ai eu l’opportunité de collaborer,

à La Réunion, durant ma thèse. A la Direction Régionale de l’Environnement, je remercie Lionel

Gardes et Anne Nicolas pour leur confiance. Un énorme merci à l’équipe du GIP-RNMR et

notamment à Emmanuel Tessier, Karine Pothin et Bruce Cauvin pour leur aide, leur engagement et

leur amitié. Merci aussi à Didier Ah-Nième qui a su me guider durant mes enquêtes de terrain auprès

des pêcheurs traditionnels. Son expertise en tant que sociologue confrontée à ma vision de

géographe, a donné lieu à des échanges d’une grande richesse. Je remercie enfin, Claire Bissery, biostatisticienne de Pareto, grâce à laquelle les typologies statistiques sont devenues simples et

passionnantes.

Toute ma gratitude va aux nombreuses personnes que j’ai eu la chance de rencontrer lors de

mon travail de terrain. Je pense notamment à la petite centaine de pêcheurs réunionnais qui ont pris

le temps de me raconter leur histoire et d’échanger avec moi, malgré un climat tendu. Un grand

merci à Anne Lieutaud et Alain Barcelo d’avoir accepté de répondre à mes nombreuses questions sur

l’histoire de la mise en place de la RNM.

Comme à La Réunion, mon travail à Mohéli (Comores) a été grandement facilité par plusieurs

personnes qui ont pris le temps de me rencontrer : M. Faissoili Ben Mohadji, directeur de

3

l’agriculture et de l’environnement à Mohéli, M. Kamar Boinali, ancien Conservateur du PMM, M.

Salim Djabir, chercheur autodidacte en sociologie et en anthropologie, M. Damir Ben Ali,

anthropologue, ancien président de l’Université des Comores et ancien directeur du CNDRS, mais

aussi Habibou, Fouad, Bush, etc.

Un grand merci aussi à tous les habitants, pêcheurs ou non, des 10 villages du PMM qui ont pris

le temps de répondre à mes questions.

Mes remerciements concernant les Comores seraient incomplets si j’oubliais de mentionner la

gentillesse de l’accueil de Yakina et sa famille en Grande Comore, ainsi que celle de l’équipe du

Lakalodge de Nioumachoa.

Enfin, un merci tout spécial à François le Bwana Nafassy de Nioumachoa pour son aide, son

amitié et son esprit libre, à Mahamoud pour les parties de volley et de rigolade et à Salim pour son

dévouement et son rôle d’interprète durant mes enquêtes de terrain.

A vous trois, mouni manqué soifi !

A vous tous, Marahaba mengui !

S’il est vrai que la thèse reste un exercice solitaire, je dois à l’entourage sans faille de mes amis

une grande partie de l’accomplissement de ce travail.

Juju, Agnès, comment trouver les mots justes pour vous dire l’importance du rôle que vous avez

eu pour que j’arrive au bout. Vous avez été mes petits rayons de soleil durant les périodes de

découragement (e.g. soirée Deschiennes improvisée sous l’escalier de chez Juju), mes bouffées

d’oxygène lorsque j’arrivai à saturation (e.g. WE à Mafate en Juillet 2009), des piliers solides et

rassurants pour surmonter certains évènements personnels… Rien que d’y penser j’en ai les larmes

aux yeux. Merci du fond du coeur à vous deux. Ma Juju, à toi de jouer ! Tu peux compter sur moi, je

ne vais pas te lâcher… Agnès, croque la vie à pleine dents et éclate toi dans ton boulot et dans ta vie

perso ! Toi aussi tu pourras toujours compter sur moi…

Je pense également à tous mes amis de La Réunion grâce auxquels on arrive vite à oublier la

thèse : Manu, Cécile*2, Théo, Pat, Marie, Gaël, Karine, Lionel, Claire, Fabien et tous les autres…

Je pense bien sûr à mes amis d’enfance, restés à Paris, avec lesquels la distance ne joue pas mais

le manque est toujours là : Elo, David, Flo, Corentin, Anne-Hélène, Cécile… à ceux qui sont plus loin

mais tout aussi importants : Nico, Cam… et à tous ceux qui sont venus se greffer avec le temps et

qui comptent tout autant : Selma, Charly, Perrine, Valentine, Aurélie… Une spéciale dédicace aux

nouveaux venus, j’ai nommé Antoine et le futur p’ti Déon !

Un immense merci rempli d’amour à Hakim qui, après 7 ans, a eu la merveilleuse idée de revenir

dans ma vie. Grâce à toi, la fin de ma thèse fut plus douce que prévue. Merci pour ton soutien sans

faille. Merci pour la confiance que tu m’as donnée. Merci de partager ma vie et désormais ma vie,

avec toi, sans thèse ! Je tiens d’ailleurs à remercier M. Skype qui a joué un rôle sacrément important

dans notre relation mais, promis, c’est fini !

Pour finir, toute ma gratitude et mon amour vont à mes parents et à mes deux frères.

A mon père, pour m’avoir donné le goût du voyage et des défis.

A ma mère, pour avoir consciencieusement relu chaque ligne de ma thèse.

A mes frères chéris, pour tous les fous rires partagés et à venir.

A vous quatre, pour cette complicité si belle et si importante que je partage avec chacun de vous.

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Préambule

Difficile de témoigner sur l’expérience de la thèse alors qu’elle s’achève à peine…

S’il mériterait sans doute un peu plus de recul, cet exercice me tient pourtant à coeur, tant la vie

et les motivations d’un « thésard » demeurent souvent obscures et incompréhensibles pour les

personnes qui nous entourent. Voilà donc, en vrac, quelques réflexions et leçons apprises au cours

de ces 4 ans de thèse.

Décider de se lancer dans l’aventure…

De 2004 à 2006, un contrat de 2 ans en tant que Volontaire Civil à l’Aide Technique (VCAT) à

l’IRD de La Réunion m’a permis de découvrir la thématique des Aires Marines Protégées, notamment

par le biais des projets Aide à la Gestion Intégrée du Littoral (AGIL) et Appui à la mise en place de

réserves marines pour le développement durable des littoraux du sud-ouest de Madagascar. Le désir de

poursuivre mon apprentissage dans ce domaine m’a encouragé à déposer une demande d’allocation

doctorale auprès de la Région Réunion, sans pour autant être persuadée d’avoir réellement les

capacités et l’envie de réaliser une thèse.

Décider de se lancer dans l’aventure ne fut pas simple. Les témoignages de mes amis et collègues

n’étaient pas très encourageants : « ça n’en finit pas », « tu mets ta vie personnelle de côté », « t’es

jamais vraiment en vacances », etc. Il s’agissait de parvenir à évaluer mes capacités à relever le défi en

considérant les concessions inévitables qu’il me serait donné de faire. Incapable de le faire, la décision

s’est finalement faite d’elle-même lorsque ma demande d’allocation doctorale fut sélectionnée parmi

d’autres. Je ne pouvais pas laisser passer cette opportunité.

Naviguer dans le flou au démarrage…

Les premiers 6 mois de thèse m’ont semblé une éternité. Un vaste chantier, sans véritable fil

directeur tant le sujet était large. J’ai passé des mois à lire, lire et relire des articles pour constituer

une bibliographie qui tienne la route, sans pour autant savoir vraiment ce que je cherchais. J’avoue

être passée par des gros moments de désespoir, voyant le temps défiler et les idées bien loin de

s’éclaircir.

Avec du recul, cette phase de démarrage fut, sans le paraître, décisive. Grâce à mes lectures, elle

me permit de préciser l’orientation que je souhaitais donner à mon travail et de recadrer mon sujet

en fonction de mes convictions personnelles. Le chapitre 1 de cette thèse fut d’ailleurs rédigé sur la

base des nombreuses notes prises au cours de cette période. Il en fait la synthèse, exercice qui, par

manque de recul et de maturité au démarrage de ma thèse, m’avait été impossible.

Accepter les embûches…

La phase de collecte de données sur le terrain fut passionnante mais également éprouvante.

Passionnante grâce à la richesse des échanges avec les pêcheurs à La Réunion comme aux Comores,

et à la concrétisation de certains concepts géographiques par le biais des réalités de terrain.

Eprouvante à cause des nombreux rendez-vous annulés qui remettent en question le programme

fixé, des problèmes de dernière minute à gérer dans l’urgence, des missions à Mohéli

particulièrement ardues à organiser depuis La Réunion, etc. Et encore… comparés à d’autres, je suis

passée à côté des ordinateurs qui plantent, des problèmes de santé ou de l’absence de financement

pour se déplacer.

Aussi passionnant soit-il, le parcours est donc semé d’embûches auxquelles il faut être préparé. Si

elles ralentissent la programmation initiale des travaux de terrain, elles participent à forger une force

de caractère, au combien utile pour la fin du parcours.

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Faire preuve de rigueur…

Aux yeux de la plupart, la thèse offre une liberté d’action inégalable, qui autoriserait à choisir

quand on veut travailler et quand on préfère « se la couler douce ». Certains thésards parviennent à

en profiter. Tel n’a pas été mon cas. Je dois reconnaître que mes 4 ans de thèse m’ont permis

d’énormément voyager, d’explorer en détail les merveilles de La Réunion et, effectivement, de

travailler à mon rythme. Pour autant, la thèse est restée omniprésente dans toutes les activités, et

tous les choix personnels que j’ai eu à faire. La réussite d’un tel projet nécessite en effet de la rigueur

qu’il est parfois difficile de s’imposer lorsque l’on est maître de son temps. Combien de fois ai-je été

tentée de rester au lit le matin ou de partir en vacances sur un coup de tête pour rejoindre des

amis ? Ainsi, même si le statut de thésard reste, en France, un statut d’étudiant, la thèse fut, pour

moi, un véritable emploi, avec ses horaires de travail, ses réunions d’équipe mais aussi ses déjeuners

entre collègues, etc.

Les concessions sont grandes pour parvenir au bout de ce type de défi et cette rigueur peut

souvent conduire à passer à côté de certains évènements familiaux ou personnels que la thèse

n’aurait pas du occulter. Tout est question de juste milieu…

Dépasser ses limites…

La phase de rédaction constitue la cerise sur le gâteau de ce long parcours initiatique. Elle

requiert du courage et de l’abnégation. Pour ma part, elle fut ponctuée de moments de pause,

nécessaires à la réalisation des travaux d’expertise menés dans le cadre de mon activité

indépendante. Aussi utiles furent-elles, ces pauses réclamèrent à chaque fois un courage décuplé pour

reprendre l’exercice de rédaction.

Pas facile non plus, de réussir à retranscrire par écrit et avec les bons termes ce qui nous trotte

dans la tête depuis 4 ans. Nombreux furent les moments de découragement face à la page blanche ou

à l’incohérence de certains passages. Que dire de l’état de saturation des derniers mois, durant lequel

chaque petit paragraphe rédigé demande un effort de concentration hors-norme ? Les

encouragements de mon Directeur ont été d’un grand soutien durant cette période.

Pour autant, la satisfaction et le soulagement sont énormes lorsque les chapitres commencent à

s’accumuler. Et que dire du bonheur de poser le point final… ?

Aux termes de cette aventure, je prends conscience du parcours intellectuel réalisé. Il est clair

que cette thèse m’a énormément fait murir sur les plans professionnel et personnel. Elle m’a offert

d’approfondir une thématique qui me tenait à coeur, de mieux me connaître mais également de

préciser ce que je souhaite pour l’après-thèse.

Pendant ces 4 ans, j’ai été passionnée par mon travail et, malgré des moments difficiles

inévitables, je renouvellerai l’expérience si c’était à refaire.

* *

*

6

Je dédie cette thèse à mes grands-parents,

Geneviève et Michel,

Anne-Marie et Philippe

qui m’ont quittée entre temps…

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Avant-propos

La réalisation de ce travail n’aurait pas été possible sans le soutien financier du Conseil Régional

de La Réunion, grâce auquel l’auteure a bénéficié d’une allocation régionale de formation doctorale

d’octobre 2006 à septembre 2009.

Les déplacements, missions de terrain, participations à des conférences et encadrements de

stagiaires ont été réalisés dans le cadre du projet « Elaboration d’une méthode générique de diagnostic

et de suivi-évaluation des Aires Marines Protégées du sud-ouest de l’océan Indien », financé par le Fonds de

Coopération Régional (FCR) – Préfecture de La Réunion – Secrétariat Général pour les Affaires

Régionales (SGAR). Ce projet a été monté dès le démarrage de la thèse afin de disposer de budget

de fonctionnement nécessaire et a largement contribué au bon déroulement du travail. A ce titre, je

tiens à exprimer ma reconnaissance à Marie-Claire DEFOIN pour son aide et sa gentillesse.

La représentation locale de l’institut de Recherche pour le Développement (IRD) de La Réunion

ainsi que l’US140 ESPACE, intégrée récemment à l’UMR ESPACE-DEV, ont également fourni un

soutien logistique et financier précieux tout au long de cette thèse. Je remercie particulièrement

Frédéric Huynh, directeur de l’UMR ESPACE-DEV, de m’avoir fait confiance en m’intégrant à

l’équipe.

Pour finir, les projets PAMPA et GAIUS ont également participé au financement de cette thèse,

notamment par le biais de la prise en charge de stagiaires ou pour faciliter la participation de

l’auteure à plusieurs conférences.

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Note aux lecteurs

Sauf mention contraire, les figures, les cartes et les clichés photographiques insérés dans le

présent document ont été réalisés par l’auteure. Etant donnée l’abondance des sigles et acronymes

utilisés dans le document, ceux-ci ont été regroupés dans un répertoire présenté ci-après.

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Liste des sigles

AAGR Activité Alternative Génératrice de Revenus

AAMP Agence nationale des Aires Marines Protégées

ACM Analyse en Composantes Multiples

ADI Agence d’Insertion de La Réunion

AG Assemblée Générale

AMP Aire Marine Protégée

ANGAP Agence Nationale de Gestion des Aires Protégées (Madagascar)

APMR Association Parc Marin de La Réunion

ARVAM Agence pour la Recherche et la Valorisation Marines

BMU Beach Management Unit

CA Conseil d’Administration

CBO Community Based Organisation

CIRAD Centre International de Recherche Agronomique pour le Developpement

CLOE Cellule LOcale Environnement

CM22P Coopérative Maritime du 22ème Parallèle

CMA Collaborative Management Areas

CMED Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement

CNDRS Centre National de Documentation et de Recherche Scientifique (Comores)

CNPN Conseil National de la Protection de la Nature

CNRS Centre National de la Recherche Scientifique

CNSE Commission Nationale des Seychelles pour l’Environnement

COI Commission de l’Océan Indien

CPT Collectif de Pêcheurs Traditionnels

CRESSM Comité Régional d’Etude et de Sports Sous-marins

CRPMEM Comité Régional des Pêches Maritimes et des Elevages Marins

CSO Central Statistics Office (Maurice)

CTR Comité du Tourisme de La Réunion

DOM Département d’Outre-Mer

ENIM Etablissement National des Invalides de la Marine

FAO Food Agricultural Organisation

FCR Fonds de Coopération Régional

FCSMP Fédération Chasse Sous-Marine Passion

FEDER Fonds Européen de Développement Régional

FEM Fond pour l’Environnement Mondial

FFEM Fond Français pour l’Environnement Mondial

FFESSM Fédération Française d’Etude et de Sports Sous-marins

FFVL Fédération Française de Vol Libre

FNE France Nature environnement

FNPSA Fédération Nautique de Pêche Sportive en Apnée

FPS Fisheries Protection Service

GCRMN Global Coral Reef Monitoring Network

GEF Fond Global pour l’Environnement

GELOSE GEstion LOcale SEcurisée

GIE Groupement d’Intérêt Economique

GIP Groupement d’Intérêt Public

GIP-RNMR Groupement d’Intérêt Public de la Réserve Naturelle Marine de La Réunion

GIZC Gestion Intégrée des Zones Côtières

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GREEN Groupe de Renforcement des Efforts Environnementaux Nationaux

GRT Grand Récif de Tuléar

GREEN Groupe de Renforcement des Efforts Environnementaux Nationaux

ICRI International Coral Reef Initiative

IDH Indice de Développement Humain

IFRECOR Initiative Française pour les REcifs CORalliens

IFREMER Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la MER

IOC Commission Océanographique Intergouvernementale

IRD Institut de Recherche pour le Développement

MAB Man And Biosphère

MAE Ministère des Affaires Etrangères

MIO Mission Intercommunale de l’Ouest

ONE Office National de l’Environnement (Madagascar)

ONG Organisation Non Gouvernementale

ONU Organisation des Nations Unies

PAE Plan d'Action Environnemental

PIB Produit Intérieur Brut

PIREN Programme Interdisciplinaire de Recherche sur l’ENvironnement

PMM Parc Marin de Mohéli

PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement

PNUE Programme des Nations Unies pour l’Environnement

PRE-COI Programme Régional Environnement de la Commission de l’Océan Indien

RMI Revenu Minimum d’Insertion

RNM Réserve Naturelle Marine

SAGE Service d’Appui à la Gestion de l’Environnement (Madagascar)

SAPM Système des Aires Protégées de Madagascar

SAREC Swedish Agency for REsearch Cooperation with developping countries

SCB Société Coloniale Bambao

SGAR Secrétariat Général pour les Affaires Régionales

SHS Sciences Humaines et Sociales

SIDA Swedish International Development Agency

SIG Systèmes d’Information Géographique

SIH Système d’Information Halieutique

SMPA Seychelles Marine Park Authority

SMVM Schéma de Mise en Valeur de la Mer

SREPEN Société Réunionnaise pour l’Etude et la Protection de l’Environnement

TIG Travaux d’Intérêt Général

UICN Union International pour la Conservation de la Nature

UNESCO Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture

VET Valeur Economique Totale

WCS Wildlife Conservation Society

WIOMSA Western Indian Ocean Marine Science Association

WWF World Wildlife Fund

ZUC Zone d’Utilisation Contrôlée

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Sommaire

Introduction générale................................................................................................. 14

PREMIERE PARTIE - L'Homme au coeur des Aires Marines Protégées, un sujet de recherche géographique ....................................................................................... 24

Chapitre 1 - Aires protégées et sciences humaines et sociales : quelle place pour la

géographie ?.................................................................................................... 26

1. Approche historique des logiques de conservation........................................................................... 29

2. Les sciences humaines et sociales et le paradigme environnemental ............................................. 38

3. La géographie au coeur de la gestion des aires protégées................................................................. 45

Chapitre 2 - Les Aires Marines Protégées des pays de la commission de

l’océan Indien............................................................................................................... 52

1. Vers un réseau régional d’AMPs dans le sud-ouest de l’océan Indien............................................ 53

2. Histoire des logiques de conservation dans les pays de la COI : une typologie des AMPs ...... 57

Chapitre 3 - Une démarche géographique au service de l’estimation de

l’acceptation sociale.................................................................................................... 88

1. Approche critique des méthodes utilisées dans la région pour suivre les dynamiques sociales

au sein des AMPs ............................................................................................................................................ 89

2. Positionnement scientifique ...................................................................................................................... 99

3. Une méthode pour estimer l’acceptation sociale..............................................................................109

DEUXIEME PARTIE – Diagnostic socio-économique, enjeux territoriaux et

indicateurs d’acceptation sociale de la Réserve Naturelle Marine de La Réunion

.................................................................................................................................... 129

Chapitre 4 - Jeux et réseaux d’acteurs : retour sur l’histoire conflictuelle de la

concertation en amont de la RNM.......................................................................... 131

1. 1997-1999 : une phase de pré-concertation menée par l’APMR en vue de l’approbation du

projet de RNM ..............................................................................................................................................132

2. 2000-2003 : La DIREN au coeur de la concertation pour l’élaboration du décret de RNM...139

3. 2004-2007 : L’histoire douloureuse de la signature finale du décret de la RNM de La Réunion

...........................................................................................................................................................................147

Chapitre 5 - Territorialités et acceptation sociale des usagers extractifs .... 160

1. Les pêcheurs professionnels ...................................................................................................................161

2. Les pêcheurs plaisanciers embarqués...................................................................................................179

3. Les pêcheurs à pied..................................................................................................................................196

4. Les chasseurs sous-marins ......................................................................................................................216

Chapitre 6 - Territorialités et acceptation sociale des usagers non

extractifs………. ........................................................................................................ 231

1. Les pratiquants de sports de glisse .......................................................................................................232

2. Les plongeurs et les clubs de plongée sous-marine ..........................................................................249

3. Les usagers de la plage et les baigneurs ...............................................................................................264

4. Les activités de découverte du milieu marin et récifal .....................................................................270

Chapitre 7 - Analyse critique de la démarche méthodologique pour estimer

l’acceptation sociale d’une AMP.............................................................................. 273

1. Intérêts : opérationnalité, comparabilité spatio-temporelle et entre usages ..............................274

2. Limites de la méthode ..............................................................................................................................282

TROISIEME PARTIE – De la généricité d’une méthode de suivi de l’acceptation

sociale des AMPs à l’échelle régionale du sud-ouest de l’océan Indien .............. 292

Chapitre 8 - Evaluation de l’acceptation sociale du Parc Marin de Mohéli :

déclinaison de la démarche élaborée à La Réunion .............................................. 294

1. Historique de la mise en place du PMM ..............................................................................................295

2. Diagnostic socio-économique villageois...............................................................................................307

3. L’estimation de l’acceptation sociale compromise ............................................................................322

Chapitre 9 - Le territoire : une constante au coeur de l’acceptation des

AMPs……………........................................................................................................ 327

1. Le PMM révélateur de la territorialité des mohéliens......................................................................328

2. La territorialité au coeur des dynamiques sociales des AMPs dans l’océan Indien ....................336

Chapitre 10 - Regards croisés sur les facteurs complémentaires facilitant l’acceptation sociale des AMPs................................................................................ 345

1. La durabilité financière et technique de l’AMP...................................................................................346

2. Des activités alternatives génératrices de revenus adaptées, ciblées et bien gérées ..............351

3. De la bonne gouvernance locale............................................................................................................356

Conclusion générale ................................................................................................. 363

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Introduction générale

« Des réserves sous réserve »

Une homonymie de circonstance

Le mot réserve possède différentes significations. Selon le dictionnaire Larousse, il peut désigner :

• « Une quantité de quelque chose que l'on conserve pour pouvoir l'utiliser en temps opportun ».

Associée à l’adjectif naturelle, une réserve correspond ainsi à « une portion de territoire

délimitée et protégée juridiquement de façon à préserver certaines espèces menacées de

disparition » ;

• « Une limitation, une restriction apportée à un jugement, à un accord », l’expression sous réserve

signifiant « sans garantie, sans certitude absolue ».

Ce double sens est opportun pour introduire ce travail. Il renvoie, en effet, aux deux concepts

qui structurent notre réflexion : les Aires Marines Protégées (AMP) d’une part, l’acceptation

sociale d’autre part.

« Réserve » au sens d’Aire Marine Protégée

Au sens de la Convention internationale sur la diversité biologique (1992) et de l’Union

Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), une aire protégée est définie comme :

« une portion de terre, de milieu aquatique ou de milieu marin, géographiquement délimitée, vouée

spécialement à la protection et au maintien de la diversité biologique, aux ressources naturelles et culturelles

associées ; pour ces fins, cet espace géographique doit être légalement désigné, réglementé et administré par

des moyens efficaces, juridiques ou autres » (UICN, 1994).

Il existe actuellement une grande diversité d’aires protégées (Babin, 2003) en référence à leur

statut juridique (parcs nationaux, parcs naturels régionaux, réserves naturelles, cynégétiques ou

ornithologiques, forêts classées…), à leur propriétaire (public, privé, communautaire…), à leur

référent social et culturel (patrimoine mondial, sanctuaire, bois sacré, siège d’esprits et d’ancêtres,

élément d’une cosmogonie…), à leurs objectifs (conservation, production, recherche, vision,

exploitation des ressources, protection des paysages, restriction de constructibilité, développement

durable…), à leur perspective (intemporelle ou de durée prévue, permanente ou révisable…), à leur

taille (pays entier, massif montagneux, mare…). L’UICN propose une classification en six types

d’aires protégées en fonction des grandes orientations de gestion. Cette classification permet de

dénombrer environ 30 000 aires protégées dans le monde qui couvrent près de 13 millions de km²,

soit un peu moins de 10% des terres émergées.

Les aires marines protégées (AMP) représentent un cas particulier d’aire protégée. L’UICN

les définit comme « tout espace intertidal ou infratidal, ainsi que ses eaux sus-jacentes et sa flore, sa faune

et ses caractéristiques historiques et culturelles, que la loi ou d’autres moyens efficaces ont mis en réserve

pour protéger tout ou partie du milieu ainsi délimité ». Elles sont bien plus récentes que les aires

protégées terrestres et leur nombre ne cesse de croître. De 118 en 1970, il passe à 319 en 1980

(Silva et al., 1986), pour atteindre plus de 1300 en 1995 (Kelleher et al., 1995).

Cette multiplication est particulièrement visible en zone intertropicale où les enjeux de

conservation de la biodiversité marine sont encore plus aigus qu’ailleurs, du fait de la présence de

récifs coralliens. Ceux-ci sont considérés, avec la forêt tropicale, comme les écosystèmes les plus

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diversifiés et les plus complexes existants sur la planète (Odum, 1976). L’écosystème corallien

abriterait, en effet, environ un tiers de la biodiversité des mers et des océans (M. Allister, 1991 ;

Moberg et Folke, 1999) et un quart des espèces marines connues (Moberg et Rönnbäck, 2003). Sur

les 1300 AMPs estimées en 1995, 400 seraient exclusivement récifales (Salvat et al., 2002). Plus

récemment, en 2007 lors des IIIème rencontres réunionnaises du Développement Durable, Gabrié

évaluait à 4000 le nombre d’AMPs dans le monde dont 980 récifales. Ainsi, 20% des récifs mondiaux

seraient-ils protégés, parmi lesquels seulement 2% le serait de manière efficace (Gabrié, comm.

pers.).

L’évaluation de l’efficacité et de la performance des AMPs représente d’ailleurs une thématique

de recherche en pleine expansion (e.g. Jameson et al., 2002 ; Halpern, 2003 ; Saunders, 2003 ; Willis

et al., 2003 ; Hilborn et al., 2004 ; Kaiser, 2005 ; Sale et al., 2005). Elle offre un moyen de tirer les

enseignements des succès et des échecs et d’adapter les modes de gestion en conséquence. Elle

permet également de signaler les progrès aux décideurs et aux acteurs pour mettre en évidences les

réalisations et les problèmes des AMPs. Pour ce faire, l’évaluation de la performance se base sur le

suivi spatio-temporel d’indicateurs. L’UICN a d’ailleurs récemment publié un manuel, dans lequel 42

indicateurs sont proposés aux gestionnaires pour les aider à évaluer l’efficacité de leur AMP (Pomeroy et al., 2004).

Dans la littérature scientifique, la plupart des études considèrent exclusivement les impacts écologiques des modes de gestion du milieu marin. Sont largement passés en revue, les effets de débordement (spill-over) des zones de conservation strictes, la représentativité des habitats conservés, l’évolution de la biomasse, etc. (Salm et al., 2000 ; Roberts et al., 2001). Il existe, en revanche, un manque avéré d’études scientifiques sur les impacts socio-économiques des AMPs (Christie, 2004). En 2005, Pelletier et al. tentaient de recenser les différents articles scientifiques s’y intéressant (Pelletier et al., 2005). Ils dénombrèrent ainsi 94 références proposant des indicateurs relatifs aux impacts écologiques des AMPs, 32 aux impacts économiques et seulement 10 aux impacts sociaux. Ce constat renforce la fausse impression qui consiste à penser que les sciences sociales ne sont pas en mesure de fournir des résultats opérationnels, susceptiblesd’orienter les choix de gestion au même titre que les deux autres disciplines.

« Réserve » au sens d’acceptation sociale

La contribution des sciences sociales aux problématiques de conservation est pourtant multiple. Les objets de recherche sont aussi diversifiés que l’étude des pratiques et des usages, les représentations et les perceptions, la patrimonialisation de la nature, les régimes d’appropriation, les mécanismes de régulation sociale, les modalités de concertation, les arrangements institutionnels, les modes de gouvernance, etc. (Michon, 2003). Cependant, la nature majoritairement qualitative des données issues de ces études rend difficile la conversion en indicateur de suivi opérationnel. Non pas que cela les rende moins intéressantes, loin de là. Mais il existe une forte demande de rapportage (reporting) auprès des décideurs et bailleurs de fonds, exercice qui nécessite des mesures synthétiques et chiffrées, tels que des indicateurs, permettant l’évaluation de la performance des projets de conservation.

Quelques études récentes ont tout de même tenté d’identifier les facteurs sociaux et économiques participant au succès des projets de conservation en testant la corrélation statistique entre l’augmentation de la biomasse de poissons et différents facteurs socio-économiques (McClanahan et al., 2006 ; Pollnac et al., 2010). Pour autant ceux-ci se limitent à des facteurs tels que la taille de la population locale, la distance du village à l’AMP, le niveau d’éducation, l’emploi local ou encore le degré de respect des réglementations. L’apport des sciences sociales aux problématiques de conservation ne se réduit évidemment pas à des données factuelles de la sorte. En revanche, il est progressivement admis que le support et l’adhésion des populations locales constituent l’une des conditions majeures de la réussite à long terme des AMPs (Agardy et al., 2003 ; Pelletier et al., 2005 ; Kareiva, 2006). Gilmore avance ainsi que le succès des projets de conservation

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repose sur trois piliers d’importance équivalente : la durabilité écologique, l’acceptation sociale et la faisabilité économique (Gilmore, 1997).

Si la durabilité écologique et la faisabilité économique des AMPs font déjà l’objet de nombreuses recherches (Pelletier et al., 2005), l’acceptation sociale est un domaine encore peu exploré. Certains chercheurs français s’y sont récemment intéressés, appliquée aux espaces protégés montagnards (Depraz, 2005 ; Laslaz, 2008 ; Duval-Massaloux, 2009 ; Laslaz, 2009 ; Micoud, 2010), mais aucune référence ne s’intéresse jusqu’ici à l’acceptation sociale des AMPs.

Tous font état d’un processus complexe qui se nourrit de la diversité des perceptions et représentations individuelles. Son estimation ne peut donc pas se réduire à une simple réponse binaire « oui, j’accepte ; non, je refuse ». L’acceptation sociale est, en effet, à distinguer de l’acceptabilité sociale. Alors que cette dernière se limite à la mesure d’un assentiment accordé à un outil (« est-ce acceptable ? »), l’acceptation intègre également l’appropriation réelle et le respect par les actes de la mesure (« est-ce accepté ? »). Elle fournit, selon nous, une synthèse de l’état de l’ensemble des dynamiques sociales au sein des AMPs.

Le territoire, un concept géographique au coeur de l’acceptation sociale

De l’ensemble de ces considérations, se pose la question de l’apport de la géographie dans l’étude de l’acceptation sociale des AMPs.

La spécificité de cette discipline par rapport aux autres sciences humaines et sociale est d’analyser systématiquement les rapports entre l’homme et la nature à travers le filtre du territoire. Central en géographie, ce concept a fait l’objet de nombreuses définitions (e.g. Raffestin, 1980 ; Bonnemaison, 1981 ; Le Berre M., 1992 ; Di Méo, 1998 ; David, 2005) qui s’accordent à considérer que le territoire possède une double dimension, matérielle et idéelle. La première renvoie au territoire-milieu, au territoire-ressource, au territoire-support des pratiques, tandis que la seconde est à rapprocher des systèmes de représentations qui guident les sociétés dans l’appréhension qu’elles ont de leur « environnement » (Moine, 2006). Toutes deux, distinctes ou combinées, fondent un sentiment d’appartenance (« je suis de là ») et d’appropriation (« c’est à moi, c’est mon espace ») au fil du temps.Plusieurs études, notamment dans le Pacifique, ont montré le rôle décisif des liens au territoire marin dans la compréhension des jeux et stratégies d’acteurs (David, 1999 ; Decoudras et Soye, 2004 ; Herrenschmidt et Clua, 2006). Ces liens sont évalués selon l’importance donnée aux espaces appropriés. Ils sont puissants et conditionnent les logiques d’action ainsi que l’acceptation de tout projet de conservation. La Figure 1 propose ainsi un extrait de bande dessinée, particulièrement illustratif de l’expression de ces territorialités.

La mise en place d’une AMP doit donc être appréhendée comme la création d’un nouveau territoire réglementaire qui viendrait se superposer à un maillage de territoires pré-existants, résultant de l’appropriation de l’espace marin par les différents types d’usagers habituels (David et al., 2006 ; Chaboud et al., 2008 ; David, 2010). Ces territoires pré-existants sont porteurs d’enjeux pour les populations locales, enjeux que l’AMP vient contraindre par la régulation de l’accès à certaines zones ou la réglementation de certaines pratiques. Le terme enjeu est à prendre aux sens de « ce qu’il y a en jeu » ou de « ce qu’on espère gagner ou qu’on s’expose à perdre » lors de la création de l’aire protégée. Ils sont l’expression à la fois des valeurs que les usagers accordaient aux services que rendaient ce territoire avant qu’il ne soit protégé mais aussi de la crainte de perdre ces services. L’acceptation sociale de l’AMP est ainsi fonction du degré de satisfaction des enjeux territoriaux des acteurs.

Acceptation sociale des AMPs, indicateurs, territoire, territorialités, enjeux territoriaux sont

autant de concepts clés qui structurent cette thèse. Ils participent à son cadrage thématique et

feront l’objet d’une étude plus approfondie dans la première partie du corps du présent document.

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Extrait de la bande dessinée « Où le regard ne porte pas » © Dargaud Pont/Abolin

Figure 1 : Le territoire au coeur de l’acceptation sociale

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Une dynamique régionale enclenchée

L’ensemble de ce travail est conduit à partir de l’exemple des AMPs de la région sud-ouest de

l’océan Indien, appartenant à la Commission de l’océan Indien (COI).

La région du sud-ouest de l’océan Indien s’étend sur plus de 7 millions de km² et couvre 595 000

km² de terres émergées réparties entre Madagascar qui, à elle seule, en représente 99%, et les îles et archipels d’origine volcanique pour la Réunion, les Comores, Rodrigues et Maurice, corallienne ou

granitique pour les Seychelles (Mirault et al., 1999) (Carte 1). A l’exception de Mayotte, toutes

appartiennent à la COI. Au total, cette organisation intergouvernementale et régionale créée en 1984 par l’Accord Général de Victoria (Seychelles), regroupe quatre Etats : Les Comores, Madagascar, Maurice et les Seychelles, et un département d’outre-mer français : La Réunion. Sa mission est de répondre aux difficultés posées par l’insularité de ses membres (isolement, étroitesse des marchés, fragilité environnementale, exposition aux catastrophes naturelles, etc.). En 1999, la population de ces pays membres était estimée à treize millions d’habitants (Guébourg, 1999).

Carte 1 : Les pays membres de la COI dans la région sud-ouest de l’océan Indien

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En 1995, les 5 états membres de la COI se dotent d’un programme régional sur l’environnement (PRE-COI), financé par l’Union Européenne (7ème FED) jusqu’en 2000. L’objectif est de contribuer à la promotion d’une politique régionale de gestion durable des ressources naturelles (COI, 2000). A cette occasion, émerge l’idée de créer un réseau régional d’AMPs (Bigot et al., 1999 ; David, 1999). Ce projet n’est effectivement lancé qu’en juillet 2005, lors du troisième sommet des chefs d’Etat et de Gouvernement de la COI à Antananarivo. Piloté par la COI, et géré par le WWF, le projet est conjointement financé par le FFEM, le WWF, Conservation International et le Ministère Français des Affaires Etrangères pour un montant avoisinant 2 millions d'euros (FFEM, 2005).

A ce jour, on estime à 36 le nombre d’AMPs créées dans les pays de la COI. Sous l’appellation AMP sont classés différents types d’outils de conservation, variant selon la juridiction locale. On trouve ainsi 11 réserves de pêche (6 à Maurice, 5 à Rodrigues), 2 réserves marines (1 à La Réunion, 1 à Rodrigues), 15 parcs marins (5 à Madagascar, 6 aux Seychelles, 2 à Maurice, 1 à Rodrigues et 1 aux Comores) et 8 AMPs au statut spécial, exclusivement aux Seychelles. Il existe également 12 AMPs en cours de création, principalement à Madagascar. L’ensemble des AMPs existantes et en projet, seront plus amplement décrites dans le Chapitre 2 du présent document.

Dans le but d’identifier un réseau d’espaces prioritaires, d’intérêt majeur pour la conservation de la biodiversité et des ressources marines et côtières, une analyse éco-régionale fut programmée (composante 1 du projet). Basée sur des données d’ordre environnemental, biologiques et socioéconomiques, elle fut l’occasion de rappeler la richesse de la biodiversité marine de la région et les menaces qui pèsent sur cette dernière.Les résultats de cette analyse1 font état de caractéristiques remarquables pour la biodiversité internationale et régionale. On peut notamment citer :

Le troisième plus grand complexe de récif barrière dans le monde situé sur la côte ouest de Madagascar ;

Les seules îles océaniques granitiques du monde (principales îles des Seychelles comme Mahé, Praslin…)

Des concentrations d’oiseaux marins et de tortues marines remarquables au niveau international ;

Une des populations de thons les plus importantes dans le monde avec des zones de très

forte productivité.

Cette évaluation de la biodiversité fut suivie par une analyse des menaces qui affectent les

milieux marins:

La pêche artisanale intensive et généralisée atteint les limites de renouvellement des populations de poissons et induit la dégradation les milieux coralliens ;

La sédimentation et la pollution autour des zones urbaines et à l’embouchure des grands fleuves continue à provoquer la dégradation des écosystèmes côtiers et des récifs ;

Des événements majeurs de blanchissement des coraux ont déjà été observés dans la région. De tels événements vont certainement se produire de plus en plus fréquemment avec le changement climatique, rendant les coraux plus vulnérables et impactant les écosystèmes et les pêches ;

Le développement touristique sur les côtes est associé à la dégradation des milieux récifaux ;

Le braconnage des espèces comme les tortues continue à menacer leur population ;

La pêche aux thons, principalement opérées par des sociétés internationales, est en train de

rapidement engendrer la réduction des populations de thons de la région qui risquent de dépasser le seuil de renouvellement provoquant un effet cascade sur le reste de l’écosystème pélagique ;

1 Ces résultats sont issus de la Gazette des îles n°6, journal édité dans le cadre du projet Réseau des AMPs de la COI pour informer l’ensemble des partenaires.

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Les baleines et les dauphins sont probablement affectés par le dérangement occasionné par

l’important trafic maritime de la région.

La mise en place de ce réseau participe donc à créer une véritable dynamique régionale autour

des AMPs du sud-ouest de l’océan Indien. Ainsi a-t-il fournit un cadre géographique idéal pour la

réalisation de cette thèse.

Un cadre de recherche stimulant

Le sujet de cette thèse découle et s’insère au sein de projets de recherche innovants, orientés vers l’aide à la décision en matière de gestion des AMPs.

Il s’inscrit, tout d’abord, dans une démarche logique de l’US 140 Espace de l’IRD, récemment intégrée à l’UMR ESPACE- DEV, laboratoire d’accueil de l’auteure. Les projets de recherche conduits à La Réunion par les chercheurs de cette unité, ont successivement abordé

l’environnement littoral de la Réserve Naturelle Marine (RNM) de La Réunion, à travers le projet VALSECOR (Valeurs socio-économiques des récifs coralliens de La Réunion) qui suivit une démarche axée sur l’étude et l’estimation des valeurs socio-économiques des usages du récif ;

l’environnement terrestre et son impact potentiel sur le milieu récifal via les flux hydriques, à travers le projet AGIL (Aide à la gestion intégrée du littoral).

En parallèle, cette thèse répond également à une demande innovante et opérationnelle, émanant du Groupement d’Intérêt Public (GIP), gestionnaire de la RNM de La Réunion. Lors de sa création en Février 2007, l’IRD fut chargé de réaliser la caractérisation socio-économique de l’état initial de la RNM. L’objectif était de fournir au gestionnaire une photographie instantanée des dynamiques socio- économiques au sein de son AMP, à l’heure de son démarrage. Le diagnostic fait, il s’agissait également de lui proposer des mesures synthétiques sous forme d’indicateurs, lui permettant notamment de suivre dans le temps les impacts de ses mesures de gestion. Ce type d’exercice n’avait, jusqu’ici, jamais été réalisé au démarrage d’une AMP. Son caractère innovant et sa finalité opérationnelle ont ainsi offert un cadre stimulant à ce travail. Cette demande locale a d’ailleurs largement contribué à en préciser l’orientation et le contenu.

Pour finir, ce travail s’inscrit au sein de deux projets de recherche, d’envergure nationale, ayant donné l’occasion à l’auteure d’interagir avec de nombreux chercheurs travaillant sur la conservation du milieu marin et de confronter ses résultats de recherche avec d’autres cas d’AMPs. Il s’agit, tout d’abord, du projet PAMPA (indicateurs de la Performance des Aires Marines Protégées pour la gestion des écosystèmes côtiers, des ressources et de leurs usAges), faisant suite au projet Liteau II « Développement d’outils diagnostics et exploratoires d’aide à la décision pour évaluer la performance d’aires marines protégées ». D’une durée de trois ans à compter de 2007, son objectif est de construire et de tester des tableaux de bord d’indicateurs fiables, opérationnels et documentés portant sur les écosystèmes, les usages et la gouvernance, afin d’évaluer la performance de systèmes de gestion des écosystèmes côtiers incluant les AMPs. Pour y parvenir, des scientifiques relevant de disciplines aussi diverses que le droit, la géographie, l’écologie, l’économie et les statistiques ont travaillé avec les gestionnaires des AMPs suivantes : le Parc Marin de la Côte Bleue, les Réserves Naturelles de Banyuls et Bonifacio et le cantonnement de pêche de Cap Roux pour la Méditerranée, les AMPs de la Province Sud de Nouvelle-Calédonie, les réserves naturelles de La Réunion et de Saint- Martin ainsi que quelques réserves marines de Mayotte pour l’outre-mer français.

Cette thèse a également contribué à la conduite du projet GAIUS (Gouvernance des AIres Marines Protégées pour la gestion durable de la biodiversité et des USages côtiers), financé par l’Agence Nationale pour la Recherche (Programme blanc 2007) pendant 3 ans. L’enjeu de ce projet consiste à mettre en relation l’analyse de la gouvernance et de la prise de décision avec les 20 indicateurs écologiques, économiques et sociaux qui seront produits, afin de nourrir une réflexion collective et pluridisciplinaire sur la contribution des AMPs à la gestion durable des écosystèmes côtiers et de leurs usages.

L’ensemble de ces projets a fourni à cette thèse un cadre institutionnel et scientifique de qualité. Le décalage dans les échelles de travail entre le projet local de RNM à La Réunion et les réflexions plus globales menées dans le cadre des projets PAMPA et GAIUS ont apporté une plus-value certaine aux travaux menés.

Une approche géographique de l’acceptation sociale des AMPs

Cette thèse a pour but de contribuer, par le biais d’une approche géographique, à la réflexion émergente sur l’acceptation sociale des espaces protégés, appliquée aux AMPs. Elle ambitionne également de répondre aux attentes des gestionnaires en matière d’outils d’aide à la décision utiles pour la gestion locale, tout en gardant à l’esprit le besoin croissant de mesures destinées au rapportage. Au final, l’objectif général est d’élaborer une méthode standardisée de suivi des dynamiques sociales au sein des AMPs qui permette la construction d’indicateurs utiles pour la gestion locale comme pour le rapportage.

Cet objectif méthodologique s’articule autour de deux problématiques conceptuelles dans le domaine de la Géographie, chacune faisant l’objet d’une hypothèse de recherche reposant sur des postulats.

Problématique 1 : Comment traduire les dynamiques sociales au sein des AMPs sous une forme opérationnelle, utile au gestionnaire ?

Hypothèse 1 : La déclinaison opérationnelle des dynamiques sociales au sein des AMPs se fait au moyen d’indicateurs d’acceptation sociale.

Postulats sous-jacents :

• L’acceptation sociale est une condition nécessaire pour garantir l’efficacité d’une AMP ;

• Les indicateurs permettent de synthétiser l’information, de la hiérarchiser et de prendre des décisions en conséquence pour améliorer la gestion locale.

Problématique 2 : Comment standardiser l’approche des dynamiques sociales au sein des AMPs lorsque ces dernières se situent dans des contextes politiques, économiques, historiques et culturels aussi variés que ceux des pays du sud-ouest de l’océan Indien ?

Hypothèse 2 : Le territoire est un filtre d’analyse générique permettant d’étudier l’acceptation sociale dans les AMPs de la région.

Postulats sous-jacents :

• L’appropriation de l’espace marin révèle des territoires relatifs aux usages, aux représentations et à la réglementation ;

Une AMP est une création territoriale qui, en se surimposant à un maillage de territoires déjà existants, révèle la territorialité des populations locales ;

L’acceptation sociale d’une AMP est fonction de la satisfaction des enjeux territoriaux des usagers.

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Plan de thèse

Cette thèse s’organise en de trois parties.

La première partie a pour objectif de poser les cadres contextuel, géographique, scientifique et méthodologique de ce travail. Elle est divisée en trois chapitres.

Le chapitre 1 s’attache à dresser le cadre contextuel et ambitionne ainsi de positionner la géographie au sein des problématiques de conservation de la biodiversité. Il propose une mise en parallèle de l’histoire des logiques de conservation de la biodiversité (1) avec l’appropriation progressive des problématiques environnementales par les disciplines de sciences humaines et sociales (2), avant de resituer la géographie au coeur de la gestion des aires protégées (3).

Le chapitre 2 revient sur le cadrage géographique de la thèse. Après avoir retracé l’historique de la protection des récifs coralliens dans la région sud-ouest de l’océan Indien, le projet de réseau régional d’AMPs évoqué dans cette introduction sera présenté plus en détails comme l’aboutissement d’une ambition commune de fédérer les connaissances et les expériences en matière de conservation à l’échelle régionale (1). Par la suite, les 48 AMPs de la COI seront présentées pour chaque pays membre et une brève description des contextes environnementaux socio-économiques et politiques dans lesquels elles s’inscrivent sera effectuée. Enfin, une typologie des AMPs de la COI sera proposée en fonction des logiques de conservation en présence (2).

Le chapitre 3 s’intéresse au cadrage scientifique et méthodologique du travail. Basé sur une analyse critique des méthodes utilisées dans les AMPs de la région pour suivre les dynamiques sociales (1), le positionnement scientifique de la thèse est précisé (2). Les postulats sur lesquels reposent les hypothèses de recherche, sont présentés et les concepts incontournables tels que l’acceptation sociale, un indicateur, le territoire, la territorialité ou encore les enjeux territoriaux sont discutés.

Pour finir, le chapitre 3 est l’occasion de présenter la démarche méthodologique suivie pour estimer l’acceptation sociale des AMPs (3). A travers un emboîtement d’échelles, les terrains étudiés sont, entre autres, présentés et les stratégies d’échantillonnage justifiées.La seconde partie ambitionne d’apporter des éléments de réponse à notre première problématique. Ainsi, vise-t-elle à tester et décliner notre démarche méthodologique au cas de la Réserve Naturelle Marine de La Réunion (RNM). Pour chaque type d’usager de la RNM, un diagnostic socio-économique est réalisé, permettant l’identification d’enjeux territoriaux. Sur cette base des indicateurs d’acceptation sociale sont proposés. Cette seconde partie s’organise ainsi autour de quatre chapitres, numérotés dans la continuité de ceux de la première partie.

Le chapitre 4 introduit cette démarche et s’attache à retracer l’historique de la mise en place de la RNM. Les opinions et perceptions actuelles des différents usagers et l’analyse de l’acceptation sociale ne peuvent effectivement pas être correctement abordées sans opérer un retour sur l’histoire des négociations ayant concouru à la mise en place de l’aire protégée. Ce chapitre s’inspire d’un corpus documentaire composé d’articles de presse, de documents d’archives et d’entretiens auprès d’acteurs clé et ambitionne de révéler les jeux et stratégies d’acteurs au cours de la période 1999-2007.

Le chapitre 5 s’intéresse aux usagers extractifs de la RNM, c'est-à-dire à toutes les activités reposant sur l’extraction de ressources (poissons, crustacés, poulpe, etc.) au sein de l’écosystème récifal. Les pêcheurs professionnels (1), les pêcheurs plaisanciers embarqués (2), les pêcheurs à pied (3) et les chasseurs sous-marins (4) sont successivement étudiés.

Le chapitre 6 fait écho avec le précédent puisqu’il s’intéresse aux usagers non-extractifs. Y sont abordés les pratiquants de sports de glisse (1), les plongeurs sous-marins (2), les usagers de la plage (3) et les activités de découverte du milieu (4).

Le chapitre 7 se propose de dresser une analyse critique de la démarche suivie à La Réunion pour estimer l’acceptation sociale. Les avantages et intérêts sont d’abord exposés (1) avant de présenter les limites (2), qu’elles soient intrinsèques à la méthode ou liée à la collecte des informations.

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La troisième partie contribue à répondre à notre seconde problématique. Elle pose la question de la généricité de la démarche développée à La Réunion. Elle tente de confirmer ou d’infirmer notre deuxième hypothèse de travail, laquelle suppose que le territoire est un filtre d’analyse générique qui permettrait de dépasser l’hétérogénéité des contextes locaux des îles de la région sud-ouest de l’océan Indien. Cette troisième partie s’organise en trois chapitres. Le chapitre 8 ambitionne d’appliquer la démarche mise en place à La Réunion au cas du parc marin de Mohéli (PMM). Après avoir dressé l’historique de sa création et relater l’excellence de la démarche de concertation (1), les résultats des enquêtes de terrain font l’objet d’une analyse débouchant sur l’élaboration d’un diagnostic socio-économique par village (2). Celui-ci fait apparaître un certain nombre de réalités propres à Mohéli, qui justifient l’impossibilité de poursuivre la démarche à l’identique, notamment de construire des indicateurs d’acceptation sociale (3). Le chapitre 9 propose de dépasser ces réalités locales et tente de démontrer que les dynamiques territoriales au sein des AMPs restent invariantes malgré l’hétérogénéité des contextes. Au gré des exemples du PMM (1) puis de l’AMP de Velondriake à Madagascar (2), leur rôle prépondérant dans la construction de l’acceptation sociale de l’AMP est présenté.Le chapitre 10 vient compléter cette analyse en présentant les facteurs contextuels complémentaires, indépendants des dynamiques territoriales, participant également à la construction de l’acceptation sociale. Ces facteurs relèvent de la gouvernance internationale des projets de conservation comme de la gouvernance locale. Sont successivement abordés la pérennité financière des AMPs (1), la création d’activités alternatives génératrices de revenus adaptées au contexte local (2) et le rôle primordial de l’Etat et de la Justice locale (3).

* *

*

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Première partie

L’Homme au coeur des Aires Marines Protégées, un sujet de recherche géographique

« L’histoire naturelle de l’Homme est inséparable de l’histoire humaine de la Nature ».

« Depuis plusieurs siècles en Occident, la nature se caractérise par l’absence de l’Homme, et

l’Homme par ce qu’il a su surmonter de naturel en lui ».

Philippe Descola, 2001

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Introduction de la première partie

Il est aujourd’hui largement admis que les Aires Marines Protégées (AMPs) constituent un outil indispensable pour la conservation des écosystèmes marins, notamment des récifs coralliens (Agardy et al., 2003 ; McClanahan et al., 2006). Longtemps abordées selon un unique point de vue biologique, les AMPs étaient considérées comme un succès dès lors que les conditions environnementales s’amélioraient et que les stocks halieutiques augmentaient (Sanchirico, 2000). Plusieurs études ont cependant montré que relativement peu d’usagers acceptaient réellement ces AMPs et qu’elles pouvaient donc représenter des échecs en termes sociaux (Christie, 2004 ; Oracion et al., 2005 ; Pelletier et al., 2005 ; Cinner et al., 2008). Or, il existe une étroite relation entre le succès écologique d’une AMP et son succès social (Pollnac et al., 2010). Le contexte social conditionne en effet la réussite durable d’une AMP en termes écologiques. C’est pourquoi il est indispensable de se poser la question de la place que l’on souhaite accorder à l’homme au sein des projets de conservation. C’est l’objet de cette première partie.

Composée de trois chapitres, elle vise à démontrer que l’étude des dynamiques sociales au sein des aires protégées, dont les AMPs sont des cas particuliers, est un sujet de recherche pertinent et innovant tant il a été peu abordé jusqu’ici (Depraz, 2008 ; Heritier et Laslaz, 2008). Bien que complexe, leur appréhension est pourtant nécessaire pour aider les gestionnaires dans leurs travaux quotidiens et ainsi améliorer la gouvernance de l’aire protégée. Majoritairement biologistes ou halieutes, ces derniers sont fréquemment confrontés à des problèmes d’ordre sociaux, dont la résolution dépasse leurs compétences. C’est pourquoi cette première partie tente de dresser l’état de l’art des connaissances et des expériences sur le sujet afin de justifier le positionnement scientifique et la méthodologie suivis dans cette thèse. Ainsi, la géographie et son approche territoriale constituent-elles un filtre d’analyse particulièrement adapté pour aborder la complexité des dynamiques sociales propres aux AMPs (Chartier et Rodary, 2007).

Le premier chapitre (Chapitre 1) est l’occasion d’effectuer une analyse historique par le biais de la mise en parallèle de l’évolution des logiques de conservation dans le monde et de la lente appropriation du paradigme environnemental par les sciences sociales, en particulier par la géographie. L’idée est ici de montrer que l’intérêt tardif des géographes pour la question de la conservation est à la fois subi et voulu mais qu’il n’en reste pas moins pertinent et justifié. Le second chapitre (Chapitre 2) se propose de présenter l’ensemble des AMPs de la région sud-ouest de l’océan Indien en se focalisant sur les pays membres de la COI. Pour ce faire, une typologie est réalisée selon l’une des deux logiques de conservation identifiées au cours du premier chapitre : « conservation-exclusion » ou « conservation-participation ».Pour finir, le troisième chapitre (Chapitre 3) présente la démarche géographique mise en place pour étudier l’acceptation sociale des AMPs. Basée sur une analyse critique des suivis socioéconomiques existants, notre positionnement scientifique est précisé (problématique, hypothèses,postulats et concepts) et la démarche méthodologique détaillée.

25

26

Chapitre 1 - Aires protégées et sciences

humaines et sociales : quelle place pour la

géographie ?

Sommaire

1. Approche historique des logiques de conservation…………………………………… 27

1.1 La logique « éco-centrée » : histoire d’un échec……………………………………... 27

1.2 L’émergence de la notion de Développement Durable……………………………… 30

1.3 Vers une démarche participative……………………………………………………. 32

2. Les sciences humaines et sociales et le paradigme environnemental…………………….. 36

2.1 L’exclusion subie et voulue des sciences humaines et sociales………………………... 36

2.2 Un intérêt progressif pour les sciences humaines et sociales…………………………. 37

2.3 Une demande croissante en sciences humaines et sociales…………………………... 40

3. La géographie au coeur de la gestion des aires protégées………………………………... 43

3.1 Des conflits de géographes………………………………………………………….. 43

3.2 Vers une géographie de la conservation ?...................................................................................... 44

3.3 La géographie culturelle : toile de fond de la thèse…………………………………... 47

Introduction

L’histoire de la conservation de la biodiversité a été ponctuée de sommets, déclarations et

conférences qui ont façonné au cours du temps les logiques de création et de gestion des aires

protégées. L’analyse chronologique de ces dernières renvoie à celle des douloureux rapports entre

sciences biologiques et sciences humaines et sociales. La conservation est en effet, une thématique de

recherche qui n’a longtemps intéressé que les sciences dîtes « dures », la logique sous-jacente étant

entièrement « éco-centrée ». Depuis peu, quelques géographes en font cependant leur sujet de

recherche et commencent à revendiquer l’existence d’une Géographie de la Conservation.

Par le biais d’une approche diachronique, ce premier chapitre ambitionne donc de positionner la

géographie au sein des problématiques de conservation de la biodiversité. Il propose une mise en

parallèle de l’histoire des logiques de conservation de la biodiversité (1) avec l’appropriation

progressive des problématiques environnementales par les disciplines de sciences humaines et

sociales (2), avant de resituer la géographie au coeur de la gestion des aires protégées (3).

Il convient de préciser que ce chapitre ne prétend nullement faire figure d’étude épistémologique

de la conservation et des aires protégées. Il a vocation à fournir l’indispensable cadrage historique au

travers duquel les rapports entre les sciences sociales, et plus particulièrement la géographie, et la

conservation seront abordés.

1. Approche historique des logiques de conservation

Considérée par Chartier et Rodary (2007) non pas simplement comme une procédure de

gestion de la nature, mais également comme un domaine de l’action politique, la conservation

représente une des formes les plus extrêmes de matérialisation des exigences environnementales

(Chartier et Rodary, 2007). Ces auteurs la considèrent donc comme « l’excroissance par laquelle

l’écologie s’est le plus galvaudée ». Ainsi, les aires protégées représentent-elles les outils réglementaires

qui tendent à s’imposer pour décliner localement les politiques de conservation décidées à l’échelle

nationale voire internationale. Depuis la fin du XIXème siècle, ces dernières ont connu de profonds

bouleversements au gré des expériences menées et de l’évolution des mentalités, bouleversements

qui ont façonné les modes de gestion des aires protégées.

1.1 La logique « éco-centrée » : histoire d’un échec

L’histoire des aires protégées remonte à 1872, date de la création du parc de Yellowstone,

premier parc national aux Etats-Unis. Dans la région sud-ouest de l’océan Indien, c’est en Afrique du

sud que le premier parc naturel, le parc Kruger, voit le jour en 18982. Jusqu’à la fin des années 1960,

la logique qui guide la création des aires protégées sacralise la nature. Elle est dite éco-centrée

(Hatem, 1990). Cette logique vise deux objectifs : soustraire la nature des menaces anthropiques

quand elles existent, puis recouvrir les qualités supposées originelles de la nature. Ainsi, l’isolement

d’îles de nature sous la forme d’aires protégées s’appuie-t-il essentiellement sur des outils

réglementaires visant à exclure les activités humaines (David, 1998).

a) Critères esthétiques et pratiques : les balbutiements des aires protégées

Au commencement, cependant, le choix des espaces à protéger s’appuyait uniquement sur des

critères esthétiques, faisant ainsi abstraction du paradigme anthropique (Thomassin, 2005). Les

conclusions alarmantes sur l’avenir de la planète et le rôle dévastateur des activités humaines sur

l’environnement n’effleuraient alors que de très loin les préoccupations des gouvernements

nationaux et des organisations internationales. Les parcs étaient installés sur des espaces naturels

vierges, là où le paysage était remarquable et surtout, loin des foyers de population. A propos des

aires protégées en Afrique, Benoit (1998) affirme d’ailleurs que la plupart des sites identifiés étaient

situés au coeur des anciens no man’s land guerriers (Benoit, 1998). La stratégie de l’Etat, unique

initiateur des projets de conservation à cette époque, visait à geler le foncier non pas pour le

contrôler mais davantage pour préserver son état sauvage remarquable.

Rapidement, cette logique fut dépassée du fait de la croissance démographique et fut remplacée

par une approche plus pratique de la conservation. La légitimation des pratiques coloniales et

aristocratiques puis, à la suite de la décolonisation, le développement conjoint du tourisme

international et de la demande largement occidentale de conservation des grands mammifères, furent

autant de raisons qui justifièrent la création d’aires protégées durant la première moitié du XXe

siècle (Rodary, 1998). En Afrique, les premières aires protégées furent d’ailleurs des réserves de

chasse, dans lesquelles les habitants avaient l’interdiction d’exploiter l’espace, entièrement dévoués

aux grands mammifères et aux chasseurs blancs (Benoit, 1998).

2 Créé en 1898 sous la forme d’une petite réserve animalière (Sabie Game Reserve), il ne devient parc

national qu’en 1926 après avoir subit de multiples agrandissements et s’étend aujourd’hui sur près de 2 millions

d’hectares.

29

b) Prise de conscience environnementale et mise sous cloche de la Nature

A partir de l’après-guerre et jusqu’à la fin des années 1960, une succession d’évènements

historiques ont concouru à renforcer cette approche éco-centrée. On peut citer notamment le

phénomène Hiroshima qui, à partir de 1945 fait peser sur l’Humanité la menace d’une catastrophe

nucléaire (Boutaud, 2005). Le succès retentissant du film « Le Monde du silence » de Jacques-Yves

Cousteau et Louis Malle en 1956 témoigne de la prise de conscience des ravages causés par les

activités anthropiques sur l’environnement. Autre évènement marquant, en juillet 1969, à

l’occasion de la mission Apollo XI, l’homme marcha pour la première fois sur la lune et contempla la

terre depuis un autre astre. Cet événement historique, largement rediffusé par les médias, fit prendre

conscience de l’immensité de l’univers, de la dimension dérisoire de la Terre et suscita de

nombreuses réflexions sur sa finitude.

Le catalyseur de ces craintes fut la publication du rapport Meadows en 1972. Commandité par

le club de Rome, ce rapport, intitulé « les limites de la croissance », expose les résultats des

simulations issues du premier modèle réalisé du monde (Meadows et al., 1972). Ce système Monde,

élaboré par J.W. Forrester se compose de six grands ensembles en interrelations : la population,

l’espace géographique, les ressources naturelles, le capital investi, la fraction de ce capital consacré à

l’agriculture et la pollution (Aracil, 1884). Considérant la croissance économique comme le principal

outil pour résorber le sous-développement qui affecte nombre de pays de la zone intertropicale, le

modèle teste l’application au monde entier du modèle de développement américain et conclut à un

effondrement global du système. La planète n’a pas assez de ressources naturelles pour faire face à la

croissance démographique qui l’affecte et à la pollution générée pour permettre à l’ensemble des

humains de bénéficier de l’american way of life. L’avenir de l’humanité passe donc par une

modification radicale des modèles de développement en vigueur (David, 2008).

C’est dans ce contexte qu’a lieu la première conférence sur les Parcs Nationaux à Seattle en

1960. Ceux-ci sont en effet les seuls modèles d’aires protégées existants à cette époque. 12 ans plus

tard se tient le sommet sur « l’Homme et l’environnement » à Stockholm en 1972, au

cours duquel émerge officiellement la question des relations homme/nature. L’homme est mis en

cause dans les dégradations avérées de l’environnement et est désormais considéré comme une

menace pour la nature. A ce sujet, David et al. (1999) ajoutent que « (…) pour de nombreux

participants au Sommet de la Terre, il est du devoir de l’homme de soustraire de ses méfaits une partie de

celle-ci (la nature) afin de léguer aux générations futures des sanctuaires représentatifs des différents

écosystèmes de la planète. Cette logique de « l’arche de Noé » va inspirer la mise en place de stratégies de

protection de l’environnement par la conservation axées sur la création de parcs naturels et d’aires

protégées » (David et al., 1999, p.4). Ce premier Sommet de la Terre est sans aucun doute, l’occasion

d’officialiser l’approche éco-centrée et de promouvoir la mise sous cloche d’un espace vidé de

son occupation humaine comme modèle de conservation de la nature. Il permet également la

diffusion à l’échelle internationale d’une vision considérant les rapports entre les sociétés humaines et

leur milieu sous l’angle des relations « prédateur / proie », où les hommes sont les prédateurs et les

ressources naturelles : les proies (Thomassin et David, 2009). Ainsi, les dynamiques socioéconomiques

locales, les pratiques de gestion des ressources naturelles en place, les différents types

d’usage associés à une ressource et les connaissances des acteurs locaux sont-ils largement ignorés.

c) L’approche éco-centrée : un constat d’échec

Dans le cas du Parc Kruger, cette logique de conservation a entraîné l’expulsion de toutes les

tribus qui y vivaient. Les débuts de l’histoire des aires protégées ont ainsi vu les populations locales

totalement écarté des instances de gestion et de formulation des politiques environnementales,

quand elles n’étaient pas simplement exclues de leurs lieux de vie (Constantin, 1988). Cet exode

forcé, appelé également « déguerpissage », incite d’ailleurs Beuret (2006) à se demander « s’il faut

voir le parc comme ce qui est à l’intérieur du périmètre et permet la gestion de la faune et de la flore ou s’il

ne s’agit pas d’un parc humain, constitué par la zone qui entoure le parc, dans lequel les hommes sont

30

cantonnés pour être privés de tout accès aux ressources dont ils vivaient auparavant » (Beuret, 2006, p.38).

Les réfugiés de la conservation, tels qu’on les surnomme, se voient soustraits à leurs terres

contre leur gré, soit par la force, soit par toute une gamme de mesures moins coercitives. Les

méthodes les plus douces sont appelées soft éviction (expulsion douce) ou volontary resettlement

(recolonisation volontaire), notion tout à fait contestable (Muller, 2007).

Si ce modèle de conservation stricte est de moins en moins appliqué aujourd’hui, certains

témoignages attestent des ravages économiques, sociaux et culturels qu’il a pu et peut encore

entraîner (Encadré 1-1). L’Organisation des Nations Unies (ONU), l’Union Internationale pour la

Conservation de la Nature (UICN)3 et quelques anthropologues ont estimé que le nombre de

réfugiés de la conservation pouvait varier entre 5 millions et plusieurs dizaines de millions. Tandis que

C. Geiser, sociologue à l’Université de Cornell, s’est penché sur les déplacements de population en

Afrique et est convaincu que le nombre de réfugiés sur ce seul continent dépasse les 14 millions

(Muller, 2007).

“Nous sommes désormais des ennemis de la conservation”, a déclaré le chef massaï Martin Saning’o

lors d’une session du Congrès mondial de la nature organisée en novembre 2004 sous l’égide de

l’UICN à Bangkok. Au cours des trois dernières décennies, les nomades massaïs ont perdu une large

part de leurs pâturages au profit de projets de conservation dans tout l’est de l’Afrique. En fait, “au

début, les conservateurs de la nature, c’était nous”, a ajouté Martin Saning’o. Dans le silence qui a suivi, il

a calmement expliqué la façon traditionnelle dont les éleveurs de bétail, bergers et nomades, ont

toujours préservé leurs pâturages. Puis il a tenté de comprendre l’étrange démarche de préservation

de la nature qui a plongé son peuple dans la misère – plus de 100 000 Massaïs ont été expulsés du

sud du Kenya et des plaines du Serengeti, en Tanzanie. Comme les Twas, les Massaïs n’ont pas

bénéficié de compensations adéquates. Leur culture est en train de disparaître et ils vivent dans la

misère. “Nous ne voulons pas vous ressembler”, a poursuivi Martin Saning’o devant une assemblée de

visages blancs choqués. “Nous voulons que vous nous ressembliez. Nous sommes ici pour changer vos

mentalités. Vous ne pouvez pas protéger l’environnement sans nous.”

Encadré 1-1 : Témoignage sur les effets de la conservation par le chef Massaï Martin Saning’o.

(Source : Muller, 2007)

De ces démarches « top-down »4, ou descendantes en français, qui émanent des hautes sphères

nationales voire internationales et qui viennent imposer la réalité d’un espace protégé à une

communauté locale sans l’inclure dans le projet, on tire un constat d’échec. En découlent des

conflits liés à l’accès aux ressources naturelles, appelés aussi conflits d’appropriation (Descola, 2008), et

des perturbations des rapports homme-nature, premiers effets conduisant à des phénomènes

d’exclusion sociale et de dégradation environnementale (Sébastien et Brodhag, 2004). Il est certain

qu’une population installée depuis des générations sur un espace, que l’on déguerpit violemment sans

prévoir de compensations ou de solutions alternatives acceptables ne peut que désavouer et

s’opposer au projet de conservation. De réfugiés, ils deviennent ennemis de la conservation et,

pour survivre ou éviter d’avoir à s’exiler, enfreignent délibérément les règles de protection. En

l’absence d’un système de surveillance et de contrôle performant, nécessitant d’importants moyens

humains et financiers, ces nouvelles pratiques, qualifiées de braconnage, condamnent l’aire protégée

à ne pouvoir atteindre les objectifs de protection de l’environnement.

Les leçons tirées de l’échec, notamment économique et social, des logiques de conservation de la

première partie du XXème siècle ont progressivement entrainé une prise de conscience des grands

organismes internationaux dictant les recommandations globales en matière de création d’aires

protégées. Ainsi, l’UICN créée dès 1948 sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies pour

3 Egalement appelée Union Mondiale pour la Nature

4 Egalement appelées « gestion directe » par Beuret (2006) lorsque le gestionnaire, ici l’Etat, acquiert des

droits de propriété sur l’espace à protéger de manière à appliquer une gestion qui réponde à ses propres

objectifs.

31

l’Education, la Science et la Culture (UNESCO), est-elle un des acteurs clé dans la formulation du

concept de Développement Durable qui émerge timidement dans les années 1970. Ce nouveau

concept, qui tente de concilier protection de l’environnement et développement économique et

social, marque un tournant considérable dans la conception même de la conservation.

1.2 L’émergence de la notion de Développement Durable

a) Un Développement Durable à 2 piliers : une approche anthropo-centrée ?

Dès le début des années 1970, une vague contestataire composé d’intellectuels prend forme afin

de dénoncer les dérives de la société de consommation et les dangers de la croissance sur l’avenir de

l’humanité. Ce mouvement gagne rapidement la société civile. En témoignent la création de

nombreuses Organisations Non Gouvernementales (ONG) écologistes telles que Les amis de la Terre

en 1970 et Greenpeace en 1971 (Boutaud, 2005). Rapidement, les Nations Unies se positionnent en

tant que médiateur et organisent, dans le courant des années 1970, une série de conférences

internationales (Founex en 19715, Stockholm en 1972 et Coyococ en 19746) pour préparer les

négociations autour du binôme « environnement – développement » qui fait tant débat. La

conférence de Stockholm est la plus connue. Alors qu’elle officialise l’approche éco-centrée en

accusant l’homme d’être une menace pour l’environnement, elle porte également aux yeux du

monde entier la nécessité urgente de trouver des alternatives afin d’allier concrètement les

nécessités de développement socio-économique et celles du respect de l’environnement. M. Strong,

secrétaire général de la conférence, fait publiquement connaître le nouveau concept

d’Ecodéveloppement, émanant de différents auteurs dont Ignacy Sachs. Ce dernier le définit comme

une stratégie de développement, fondée sur l’utilisation judicieuse des ressources locales et du

savoir-faire paysan applicable aux zones rurales isolées du tiers-monde (Sachs, 1980). Ce concept, qui

pose pourtant les bases du futur Développement Durable, ne connaîtra qu’un succès modéré.

Il faut attendre 1980 et la publication de la Stratégie Mondiale de la Conservation7 pour

que le concept de Développement Durable voit le jour. La Stratégie constate que les problèmes de

l'environnement ne peuvent être résolus que par un effort à long terme et par la conciliation active

des objectifs de l'environnement et du développement. Elle prône un type de développement qui

prévoit des améliorations réelles de la qualité de la vie des hommes et en même temps conserve la

vitalité et la diversité de la Terre. Le but est un développement qui soit durable. À ce jour, cette

notion paraît utopique, et pourtant elle est réalisable. De plus en plus nombreux sont ceux qui sont

convaincus que c'est notre seule option rationnelle (UICN et al., 1980).

Dans la foulée, la négociation menée par les Nations Unies est relancée 10 ans après Coyococ,

avec la création, en 1983, de la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement

(CMED), présidée par Madame Gro Harlem Bruntdland. En ressort, en 1987, le célèbre rapport

Brundtland, intitulé « Notre avenir à tous » (Our Common Future) qui fait la synthèse des points

de vue recueillis tout au long des quatre années de travail de la CMED. C’est le premier document

officiel à proposer une définition du Développement Durable (ou « soutenable » lorsque que l’on

opère une mauvaise traduction du sustainable development anglais) : « Le développement soutenable est

un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures

5 La conférence de Founex avait pour objectif de préparer la conférence de Stockholm. Elle donne lieu à la

publication du rapport Founex, mettant en exergue la montée en puissance des problèmes environnementaux

liés aux activités humaines. Le contraste entre pays du Nord et pays du Sud concernant la prise de conscience

environnementale est également mentionné, ces derniers étant plus préoccupés par la question de la

satisfaction des besoins vitaux des populations locales.

6 A l’occasion du symposium du PNUE et du CMUED à Mexico en 1974, la déclaration de Coyococ

permet de recentrer le débat autour de la question du développement. L’accent est mis sur un certain nombre

de dérives liées à la mauvaise utilisation des ressources naturelles et les modèles traditionnels de

développement sont ainsi remis en cause.

7 La Stratégie Mondiale de la Conservation est lancée en 1980 par le Programme des Nations Unies pour

l’Environnement (PNUE), créé lors du Sommet de Stockholm, le WWF et l’IUCN, avec le concours de

l’UNESCO et de la FAO.

32

de répondre aux leurs. (…) Au sens le plus large, le développement soutenable vise à favoriser un état

d’harmonie entre les êtres humains et entre l’homme et la nature » (CMED, 1988). Ainsi, l’émergence de

ce nouveau concept est-il le fruit d’un long processus de consultation dont l’aboutissement atteste du

passage d’une vision éco-centrée de la conservation à une vision plus anthropo-centrée qui place la

nature au service de l’homme à qui elle fournirait ressources et cadre de vie (Veyret, 2004). Elle

symbolise le dépassement de ce qu’Aubertin appelle « le stade de confrontation tranchée entre

utilitaristes et conservationnistes » (Aubertin et al., 1998).

L’analyse de Sébastien et Brodhag (2004) montre pourtant que même si la dimension sociale du

développement durable apparaît déjà à cette époque à travers la notion d’ « harmonie entre êtres

humains » qui traduit une nécessaire cohésion sociale, « lorsqu’il s’agit de lister les impératifs stratégiques

du développement durable, l’harmonie entre êtres humains se transforme vite en accès aux besoins essentiels

et la dimension sociale paraît engloutie dans le mélange confus de la protection de l’environnement et du

développement économique » (Sébastien et Brodhag, 2004, p.3). Ainsi, jusqu’au Sommet de la Terre de

Rio en 1992, qui marque l’aboutissement des réflexions menées depuis plus de 20 ans, le

développement durable est-il fondé sur deux piliers : l’environnement et le développement économique.

C’est au sein de ce dernier qu’il faut chercher la dimension sociale qui reste encore bien confuse.

b) La sensibilisation au service de l’adhésion et du respect des règles

L’émergence du concept de développement durable dans les discours internationaux sur la

conservation de la biodiversité est à l’origine de la prise de conscience relative à l’importance de la

consultation des populations locales. Autrefois ignorées, elles occupent progressivement une place

de plus en plus importante au sein des projets de conservation touchant leur territoire (Chartier et

Sellato, 1998). Avec le programme Man And Biosphère (MAB), l’UNESCO avait ouvert cette voie

dès le début des années 1970. Ce programme visait à développer une base de recherches

multidisciplinaires pour améliorer les relations de l'homme avec son environnement. A partir de

1976, 300 réserves de biosphère, dans 76 pays sont reconnues. Selon l’UNESCO (1987), ces réserves

sont « des lieux reconnus par le MAB, dans lesquels les communautés locales sont activement impliquées

dans la gouvernance et la gestion, la recherche, l’éducation, la formation et le suivi, cela dans l’intérêt à la fois

du développement socio-économique et de la conservation de la biodiversité » (MAB UNESCO, 1987). Elles

n'excluent donc pas la présence de l'homme mais permettent au contraire l'étude des interactions

de l'homme avec la nature. Toutes se structurent selon un modèle auréolaire dont le centre se

compose d’une zone sanctuaire. En périphérie, on trouve une zone dédiée au développement des

populations locales dans le respect de la protection de l’environnement. L’espace intermédiaire est

qualifié de tampon.

La logique de conservation qui guide ce type de programme est celle de l’association des

populations locales par le biais de la sensibilisation et de l’éducation à l’environnement. Pour avoir

quelques chances d'être atteint, l'objectif de conservation de la nature demande d'abord que les

populations locales comprennent le fonctionnement de leur environnement et soient convaincues de

l’intérêt et de la nécessité de la protéger, l’idée étant que leurs modes de vie soient respectés, et que

leur soit garanti un développement économique. Sans parler, à ce stade, de démarche participative, les

communautés locales sont consultées dans un but précis : leur présenter et leur expliquer le projet

afin qu’ils y adhèrent et respectent les nouvelles réglementations (Thomassin, 2005). L’approche est

bonne puisqu’elle permet, par la sensibilisation et l’explication des règles d’usage du territoire,

d’assurer une relative pérennité de l’aire protégée.

Cependant, la communauté ne reste qu’associée au projet. Elle n’a pas à intervenir dans les prises

de décision ou dans la conception même des réglementations. Ses savoirs et logiques ne sont pas pris

en compte et l’unique participation qui leur est accordée est l’adhésion au projet. Beuret (2006) parle

ainsi de « démocratie représentative », à ne pas confondre avec la démocratie participative. Cette

logique peut donc encore être assimilée à une démarche descendante dans laquelle les

décideurs cherchent une légitimité d’intervention et une assurance de réussite sur le terrain.

33

1.3 Vers une démarche participative

a) Les limites d’une simple « association » des communautés locales

La simple « association » des communautés n’a pas fait ses preuves et ses limites sont rapidement

apparues. Pour expliquer cet échec, Bationo propose plusieurs pistes (Bationo, 1998). Tout d’abord,

il considère que les communautés locales ne sont consultées que de trop loin dans la conception des

projets et dans le choix des actions en leur faveur. Il prend l’exemple de la coopération technique et

financière qui s’opère trop souvent dans les hautes sphères étatiques et internationales, reléguant, au

mieux, les communautés locales au rang de « bénéficiaires de seconde main ». Il insiste donc sur

l’importance de les impliquer dès le départ, dans toutes les étapes du projet.

Il met également en cause le décalage existant entre le modèle occidental véhiculé sur le terrain

par les ONG et les organisations internationales, et le modèle traditionnel des communautés locales.

Ce décalage serait à l’origine d’ « une incompréhension paralysant le dialogue entre les deux parties en

présence et d’un déséquilibre dans la répartition des responsabilités » (p.289). Pour les ONG et les

organisations internationales, l’approche participative aurait pour objectif « de garantir un bien être

social favorable au bon déroulement du projet », alors que pour les communautés, « c’est le progrès

économique qui serait recherché avant tout ». Il est certain qu’une plus forte implication des

communautés locales dans les projets de conservation ne peut garantir la disparition de ce décalage.

Cependant, elle faciliterait le dialogue, permettrait une meilleure compréhension des deux côtés et

atténuerait donc la distance existant entre les deux discours.

Portés par des acteurs extérieurs au territoire, les projets de conservation de la nature ignorent

souvent les dynamiques socio-économiques locales, les pratiques de gestion des ressources

naturelles en place, les différents usages associés à une ressource et les connaissances des acteurs

locaux (Gomez-Pompa et Kaus, 1992). Pourtant, les exemples témoignant d’une gestion durable des

ressources naturelles par des communautés traditionnelles ne manquent pas. Sébastien et Brodhag

(2004, p.7) affirment ainsi que « l’établissement collectif d’une série de règles sociales permet la mise en

place d’un régime de propriété commune assurant la disponibilité sur le long terme des ressources

collectives ». Ces propos s’inspirent de la théorie développée par Elinor Ostrom qui a notamment

montré que des collectivités pouvaient gérer de manière économiquement optimale un bien commun

– dans notre cas, un écosystème - sans conduire à son effondrement. Elle propose notamment la

création d’un cadre institutionnel novateur basé sur la gestion collective et non plus sur les droits

de propriété individuels ou étatique (Ostrom, 1990).

Il ne s’agit pas ici de défendre l’idée selon laquelle les acteurs locaux ont toujours évolué en

harmonie avec la nature, mais simplement de souligner le fossé existant entre les présupposés de

certains conservationnistes et la réalité du terrain. Une meilleure prise en compte des hommes

vivant sur ce territoire, de leurs logiques de fonctionnement, de leurs besoins et de leurs attentes est

une condition nécessaire pour résorber ce fossé. Ce n’est pas une simple association des

communautés, passant notamment par des opérations de sensibilisation à la protection de

l’environnement, qui peut fournir ces connaissances aux décideurs.

b) la gestion participative, nouveau modèle de gouvernance des aires protégées

Le Sommet de la Terre de Rio en 1992 et la publication de la Convention sur la

biodiversité marquent un tournant en matière de gouvernance des aires protégées. Trois axes

prioritaires sont dégagés : la conservation de la diversité biologique, son utilisation durable et le

partage juste et équitable des bénéfices découlant de l'exploitation des ressources génétiques. Ainsi

l’intérêt des communautés locales est-il considéré au même titre que ceux des autres acteurs, les

retombées des projets devant également leur bénéficier. La conférence de Rio est aussi l’occasion

34

d’instituer le concept de gestion intégrée de l’environnement. Cette dernière est « le premier pas

vers la bonne gouvernance qui place d’emblée les populations locales au coeur du dispositif de

gestion, sans naïveté idéologique, en tant qu’acteurs politiques, en tant que citoyens »

(Herrenschmidt et Clua, 2006). Les processus de gestion intégrée doivent permettre une

compréhension plus approfondie des stratégies d’acteurs, une meilleure adaptation des outils ainsi

qu’une réelle interaction entre acteurs locaux et acteurs institutionnels.

En quelques années, la gestion des espaces protégés change donc de mains et s’oriente vers une

gestion participative. Autrefois, elle était confiée exclusivement aux services spécialisés des États

(administration des eaux et forêts, de l’environnement ou des parcs nationaux…). L’État était

considéré comme le seul garant de l’intérêt général et, à ce titre, gérait ces espaces seul, et souvent

contre tous ceux qui pouvaient, à ses yeux, les dégrader. Ce type de gestion autoritaire est

remplacée par une certaine ouverture et une vision pluraliste des responsabilités et compétences des

acteurs concernés par les espaces protégés (Thomassin, 2005). L’émergence de nouveaux acteurs sur

les scènes internationales et locales a considérablement modifié les conditions de prise de décision et

de gestion des espaces protégés. Dorénavant, les communautés locales ou riveraines, les

organisations non gouvernementales locales et internationales et les autorités élues ou coutumières

sont souvent des parties prenantes actives dans les processus de décision. De nouveaux acteurs,

comme les opérateurs touristiques ou économiques, s’y intègrent peu à peu (Babin, 2003).

Ce mouvement général trouve son expression dans les recommandations du Sommet Mondial

pour le Développement Durable de Johannesburg en 20028 au cours duquel un troisième pilier est

ajouté à la définition du développement durable pour former le célèbre triptyque économique –

social – environnement. Certains ajoutent même un quatrième pilier, la dimension culturelle, qui

peut être englobé dans le social. Un an plus tard, ce sommet est relayé par le Congrès Mondial des

Aires Protégées de Durban (2003). Réunie tous les 10 ans sous l’égide de l’UICN, cette assemblée

fait un bilan critique de la situation des aires protégées mondiales et définit les objectifs prioritaires

de la prochaine décennie. L’une des principales recommandations est celle d’établir avant 2012, un

réseau mondial d’aires protégées marines et côtières dont la gestion dépasse la juridiction

nationale. L’idée étant de favoriser l’association de tous les acteurs, y compris les communautés

locales, aux différentes étapes (de la conception au partage des avantages) par des processus de

participation (Dahou et al., 2004). Ceux-ci sont le socle d’une nouvelle gouvernance des aires

protégées qu’il est recommandé de mettre en place comme déclinaison locale des principes du

développement durable.

Les logiques de gouvernance descendantes (ou « top-down »), dénoncées dès 1996 par la

Commission européenne lors de la conférence de l’Organisation des Nations Unies (ONU) sur les

établissements humains, laissent ainsi la place aux démarches ascendantes (ou « bottom-up »)

basée sur une gestion collaborative (ou « co-management »). Les décisions en matière de gestion des

ressources naturelles sont progressivement décentralisées et confiées aux communautés locales. Ce

transfert de compétences a nécessité une organisation à l’échelle locale, donnant lieu à la création

d’organisations communautaires (ou « Community-Based Organizations », CBO). Dans la région

sud-ouest de l’océan Indien, de nombreux exemples de CBO pour la gestion des ressources marines,

ont vu le jour. Le Beach Management Unit (BMU) au Kenya, en est une illustration. Dans les années

1990, le ministère kenyan des Pêches commence à développer un cadre légal permettant le partage

des responsabilités en matière de pêche avec les communautés locales (Cinner et al., 2008). Ces

dernières sont alors regroupées au sein d’un forum d’usagers, le BMU. Depuis 2006, les BMUs sont

responsables de la gestion des zones de débarquement des pêches. Ils sont également impliqués dans

les décisions relatives à la gestion durable des pêcheries (législation, collecte de données, résolution

des conflits, etc.). D’autres exemples de CBO peuvent être cités, comme les zones de gestion

8 A la suite du Sommet de Rio, des conférences internationales sont organisées tous les 5 ans : la

conférence de New York en 1997 et celle de Johannesburg en 2002. Le prochain Sommet de la Terre, prévu

en 2012, devrait se tenir à Rio de Janeiro au Brésil, 20 ans après le Sommet de Rio de 1992.

35

collaborative (ou « Collaborative Management Areas », CMA) en Tanzanie (Wells et al., 2010) et la

Gestion Locale Sécurisée (GELOSE) à Madagascar (Babin et al., 2002).

Ces expériences de gestions collaboratives conservent cependant encore certaines lacunes en

termes d’efficacité de la conservation (Agrawal et Gibson, 1999). Cinner et al. (2008) cite notamment

les faiblesses relatives au suivi des ressources et à la surveillance des usages. Il insiste également sur le

manque de flexibilité de certains accords de co-gestion. Dans le cadre de la GELOSE par exemple, la

gestion des pêcheries est uniquement envisagée par le biais de la fermeture permanente de zones de

pêche, alors qu’il existe une forte demande en réserves tournantes. On assiste alors à l’émergence

de CBO locale, en dehors du cadre législatif malgache et non reconnue à l’échelle nationale.

Les faiblesses et les avantages respectifs des approches descendantes et ascendantes posent la

question de la bonne gouvernance des aires protégées. Si les grandes instances de l’UICN

recommandent de combiner ces deux approches pour parvenir à une bonne gouvernance, elles ne

proposent pas pour autant, de méthodes opérationnelles pour y parvenir (Kelleher, 1999 ; IUCNWCPA,

2008). La réflexion est donc actuellement en cours et fait l’objet de nombreux ateliers de

travail lors des conférences internationales. En témoigne l’atelier intitulé « Governing MPAs – A

guide to getting the balance right » qui s’est tenu lors de l’International Marine Conservation Congress à

Washington en Mai 2009. Des débats autour de la notion de bonne gouvernance, en sont ressortis

trois approches, chacune caractérisée par un ouvrage de référence :

La logique administrative qui induit une forte intervention de l’état permettant la résolution des

conflits d’usage et le respect de la réglementation. Cette logique est prônée dans l’ouvrage

« Requiem for Nature » (Terborgh, 2004).

La logique économique qui répond à la loi du marché et qui est détaillée dans l’ouvrage

« Capturing carbon and conserving biodiversity. The Market approach » (Swingland, 2003). Cette

logique a fait naître la thématique de recherche sur les services écosystémiques, l’idée étant de

donner une valeur aux actifs naturels.

La logique participative, centrée sur l’homme et l’intérêt du public est décrite dans l’ouvrage

« Nature Unbound : Conservation, Capitalism and the Future of Protected Areas » (Brockington

et al., 2008).

La gestion collaborative basée sur la combinaison de ces trois logiques a ainsi été présentée

comme l’archétype de la bonne gouvernance. Elle permettrait de combiner une gestion locale avec

l’intervention de l’Etat, dont le rôle passerait de « contrôleur » à « facilitateur », tout en favorisant le

développement d’outils économiques. Pourtant, cette solution n’est pas encore admise par tous.

Certains la considèrent comme une réaction à une trop forte intervention passée de l’Etat tandis que

d’autres pensent la participation comme une nouvelle tyrannie qui masquerait le contrôle de l’Etat

derrière des partenariats avec des ONGs.

En guise de synthèse, la Figure 1-1 schématise les logiques de conservation qui se sont succédées

depuis le début de l’histoire des aires protégées. Elle rappelle ainsi que l’émergence du concept de

Développement Durable au début des années 1980 (Stratégie Mondiale pour la Conservation puis

rapport Brundtland en 1987) a permis de passer d’une logique axée sur le binôme « conservationexclusion

», autrement appelé « conservation-répression » (David, 1998), au binôme « conservationassociation

». Il faudra ensuite attendre les années 1990, et notamment le Sommet de Rio, pour que

les communautés locales soient véritablement intégrées au processus de décisions et que le binôme

« conservation-participation » soit officialisé lors du Sommet de Johannesburg en 2002.

Côté français, les logiques de conservation suivent la même évolution. La première « réserve

naturelle », prise au sens actuel, remonte à 1913. Il s’agit d’une zone de protection de la population

de macareux moine présente sur l’archipel des Sept-Îles, en Bretagne, mise en place par la Ligue

Française pour la Protection des Oiseaux, créée un an auparavant.

36

Figure 1-1 : Synthèse de l’évolution des logiques de gestion des aires protégées

Par la suite, et jusqu’en 1992, la politique française de protection de l’environnement adopte une

démarche défensive et opportuniste face à la pression anthropique croissante sur le littoral, plutôt

qu’une démarche offensive et volontariste de création d’aires protégées à vocation purement

conservationniste. Ainsi, en 1960, la loi du 22 juillet relative à la création de parcs nationaux (Loi 60-

708), promulguée par décret le 31 octobre 1961 (n°61-1195), permet-elle à la France de créer 3 ans

plus tard, ces deux premiers parcs nationaux, la Vanoise et le Parc National de Port-Cros. En 1971, la

France crée un Ministère de la protection de la nature et de l'environnement. Des avancées

législatives significatives sont permises en quelques années puisque le Conservatoire de l'espace

littoral et des rivages lacustres est créé en 1975 et en 1976, la loi relative à la protection de la nature

est adoptée.

1992 marque donc un tournant majeur dans la stratégie française de création d’aires protégées,

notamment avec la Directive CEE 92/43 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de

la faune et de la flore sauvages. Elle prévoit notamment la création, d’ici 2004, d’un réseau écologique

européen pour la conservation des habitats naturels et des espèces d’intérêt communautaire (réseau

Natura 2000). La création de la Réserve Naturelle des Bouches de Bonifacio en 1999 est le témoin

de ce tournant (Musard, 2003).

Enfin, à la suite du Sommet de Johannesburg en 2002 et de la publication de la Convention sur

Biodiversité, la France édite sa Stratégie nationale pour la Biodiversité (2004). De celle-ci, découle

notamment le Plan d’Action Mer (2005) qui précise la stratégie nationale de création d’Aires Marines

Protégées pour les eaux métropolitaines (2007), la création d’un nouvel outil de protection dédié à la

mer, le Parc Naturel Marin (2006), la création d’une institution chargée de la mise en oeuvre de cet

outil, l’Agence des Aires Marines Protégées (2006) ainsi que la révision et l’élargissement de la loi

relative aux parcs nationaux de 1960 à celle du 14/04/2006 sur les parcs nationaux, les parcs naturels

régionaux et les parcs naturels marins.

Ainsi le cas des AMPs illustre-t-il l’orientation prise par la France dans les logiques de

conservation. Dans la plupart des cas, l’Etat reste à l’origine des projets et dans tous les cas, il

contrôle les décisions prises car il a compétence en mer. Les collectivités conservent des possibilités

d’initiative qui leur sont propres (Réserve Naturelle pour les Régions par exemple) et sont des

partenaires importants pour traiter de l’interface terre/mer. Les usagers (organisations socioprofessionnelles,

comités régionaux des pêches etc.) sont force de proposition et détiennent des

compétences en matière de gestion.

37

Les politiques publiques ont d’abord mis en place des mesures sectorielles pour gérer les usages

en mer mais se sont rapidement heurtées à de nombreux conflits. C’est pourquoi elles s’orientent

aujourd’hui vers des approches plus intégrées, telles que la Gestion Intégrée des Zones Côtières

(GIZC). Ainsi le nouveau statut de Parc Naturel Marin a-t-il vocation à favoriser cette approche

intégrée en conciliant des objectifs de protection de la nature et de développement durable des

activités humaines. Le Plan d’Action Mer prévoit ainsi de créer, d’ici 2012, une dizaine de parcs

naturels marins (8 en métropole et 2 en outre-mer). A ce jour, le Parc Naturel Marin d’Iroise (2007)

et celui de Mayotte (2010) sont officiellement créés.

2. Les sciences humaines et sociales et le paradigme

environnemental

Par sciences humaines et sociales, on entend en général un ensemble de disciplines diverses et

hétérogènes, telles que, par exemple et dans le désordre, la sociologie, l'économie, l'ethnologie,

l'anthropologie, la psychologie, l'histoire, la géographie, les sciences politiques, les sciences

administratives, le droit, etc. Les sciences humaines ont pour objet d'étude ce qui concerne les

cultures humaines, leur histoire, leurs réalisations, leurs modes de vie et leurs comportements

individuels et sociaux, tandis que les sciences sociales s’attachent à étudier les sociétés humaines,

entités distinctes regroupant les humains pour des motifs divers. Les sciences humaines et sociales

s'opposent ainsi aux sciences de la nature. Après avoir longtemps été exclues de la recherche sur la

conservation de la biodiversité, elles connaissent depuis la fin des années 1980 un intérêt nouveau

pour cette thématique. Leur réelle intégration dans des programmes interdisciplinaires se révèle

pourtant longue mais la contribution des différentes disciplines n’est, aujourd’hui, plus à prouver tant

l’efficacité des aires protégées est conditionnée par des facteurs sociaux et économiques. Au final, il

existe un synchronisme évident entre l’évolution des logiques de conservation et l’appropriation

progressive des problématiques environnementales par l’ensemble du corpus des sciences sociales.

D’autres causes, souvent intrinsèques aux disciplines, nous sont cependant apparues comme facteurs

explicatifs de cette appropriation tardive.

2.1 L’exclusion subie et voulue des sciences humaines et sociales

Jusqu’au début des années 1980, les sciences humaines et sociales (SHS), dans toute leur

diversité, s’avèrent quasi absentes des programmes de recherche relatifs à la conservation. Il faut dire

que la logique même de création des aires protégées, à cette époque, n’incite pas les scientifiques à

investir ces problématiques. Cette mise à l’écart est à la fois subie, du fait du postulat écologique

opposant fermement l’Homme à la Nature, mais également voulue, pour différentes raisons relevant

du positionnement des SHS.

a) Mise à l’écart des SHS contre montée en puissance des sciences naturelles

La logique éco-centrée qui a prévalu jusqu’au début des années 1980 envisage, en effet, le réel de

manière binaire en distinguant, voire en opposant, la Nature et l’Homme. Ainsi la première est-elle

perçue comme « un collectif autonome et objectif d’êtres et de choses » et le second, « comme un individu

en lutte pour ne pas être assimilé à ce collectif » (Delahaye et Garcier, 2004). Descola ajoute, à ce sujet,

que « depuis plusieurs siècles en Occident, la nature se caractérise pas l’absence de l’homme, et l’homme par

ce qu’il a su surmonter de naturel en lui » (Descola, 2001). Alors que l’on a cherché pendant longtemps

à « socialiser la nature de manière à accroître le bien-être de l’homme », la nécessaire sauvegarde de

l’environnement renverse l’ordre des priorités et l’on assiste à un mouvement qui cherche, cette fois

ci, à « naturaliser la société dans ses moindres interstices » (Latour, 1991).

38

Ce retournement de situation n’est pas sans conséquence sur la hiérarchisation des disciplines

les une par rapport aux autres. On assiste à une mise à l’écart des SHS voulue par la montée en

puissance de l’intérêt pour les sciences de la nature (Henry et Jollivet, 1998). L’analyse des rapports

sociaux devient secondaire au vu des problèmes de sauvegarde et de dégradation de la biosphère

(Kalaora, 1998). L’Homme est ainsi considéré comme le perturbateur et le destructeur d’un ordre

naturel qu’il convient de protéger et les chercheurs en sciences naturelles sont ainsi perçus comme

les seuls légitimes à travailler sur des problématiques environnementales. Le divorce entre

humanistes et naturalistes est donc bien réel et l’organisation même de l’enseignement au Collège de

France témoigne de la scission entre les sciences de la nature et les sciences de la culture, que le

XIXème et le début du XXème siècle ne cesseront d’approfondir (Descola, 2001).

b) Les problèmes d’environnement : « des gadgets écologistes »

L’absence des SHS dans les problématiques environnementales résulte également d’une faible

appropriation de la thématique, voulue par les chercheurs de l’époque. Il existe plusieurs raisons

justifiant ce constat.

C’est dans les années 1970, en parallèle du développement du mouvement écologiste aux Etats-

Unis, que le concept d’environnement émerge. Il se révèle, dès sa naissance, peu adapté au

langage des chercheurs en SHS, ni aux objets sur lesquels ils ont l’habitude de travailler (Henry et

Jollivet, 1998). Pour certains, l’environnement est perçu comme un terme non scientifique dont la

définition est floue, abstraite et bien trop générale (Godard, 1992). Il faut dire que les questions

environnementales sont, alors, posées par les sciences de la nature et qu’elles n’ont donc rien à voir

avec l’état d’avancement des connaissances et des débats scientifiques des disciplines sociales et

humaines (Kalaora, 1993). Sentant que leur intervention ne peut se situer qu’en aval des sciences

naturelles et que leurs problématiques doivent être commandées par ces dernières, les chercheurs

en SHS refusent cette position sous influence et rejettent de fait, l’idée de s’investir dans les questions

environnementales. Ce positionnement est particulièrement exacerbé en France où, selon Henry et

Jollivet (1998, p.9), « les problèmes d’environnement ont longtemps été perçus (…) comme des gadgets

écologistes. S’intéresser à l’environnement était considéré comme manquer de sérieux (…) C’était donc,

pour les chercheurs, accepter de ne plus figurer dans la liste de thématiques majeures de leur discipline ».

Godard (1992) complète cette analyse en proposant des causes conjoncturelles pour expliquer

l’absence des SHS. Il rappelle que l’émergence de la thématique environnementale s’est effectuée au

même moment que l’essor de la société industrielle et urbaine. « La plupart des recherches s’est donc

centrée sur le devenir des espaces ruraux face à ce développement industriel, en terme de rentabilité, laissant

les problématiques environnementales comme celles de la pollution associée ou de la gestion des ressources

naturelles, à l’écart » (Godard, 1992, p.197). Il poursuit en disant qu’un temps d’assimilation de ces

nouvelles problématiques a été nécessaire pour que les chercheurs parviennent à passer d’une

inscription ruraliste à une inscription environnementaliste.

Si l’appropriation du concept d’environnement a posé problème aux chercheurs en SHS,

l’émergence du Développement Durable, concept se voulant intégrateur des dimensions naturelles et

humaines, marque un tournant décisif dans l’intérêt progressif porté aux SHS, bien qu’il continue à

soulever de nombreux débats.

2.2 Un intérêt progressif pour les sciences humaines et sociales

Sans être intégrés aux programmes sur la conservation de la biodiversité, les chercheurs français

en SHS commencent dès les années 1970, de leur propre initiative, à se préoccuper de la

problématique environnementale. En parallèle, la recherche en écologie évolue et les thématiques

migrent de l’espèce au système et du strict inventaire à la dynamique des peuplements (Barbault,

39

2007). Les écologues, habitués à raisonner sur une nature dont ils excluent l’intervention humaine,

commencent à s’interroger sur cette dernière. Pour la grande majorité, l’homme reste perçu comme

un simple prédateur. En témoigne l’ouvrage de référence de Ramade, Eléments d'écologie appliquée,

action de l'homme sur la biosphère, qui place l’homme comme acteur premier de la dégradation de la

biodiversité (Ramade, 1974). Duvigneaud fait cependant exception puisqu’il consacre un chapitre

entier à l’anthroposphère dans son ouvrage La synthèse écologique (Duvigneaud, 1974) et qu’il tente,

dès les années 1980, de lier les composantes physiques et biologiques d’un écosystème avec celles

qui relèvent des aspects socio-culturels.

a) La double contribution des économistes

Les premières recherches en SHS sont essentiellement menées par des économistes. Ceux-ci

s’intéressent soit aux énergies et aux problèmes climatiques planétaires, soit à l’économie

du développement, autour des concepts d’éco-développement et de développement durable (Henry et

Jollivet, 1998). Ainsi les économistes sont-ils les premiers chercheurs en SHS à être intégrés dans des

programmes traitant d’aires protégées. Leur apport se veut double.

Il s’agit tout d’abord d’engager une réflexion sur la valeur économique de la nature afin

notamment, de fournir des arguments chiffrés, plus explicites que des indicateurs de biodiversité, aux

décideurs et aux bailleurs de fonds. L’idée étant de les intéresser aux questions environnementales et

de les inciter à s’engager dans le financement de nouveaux projets. Cette première contribution

relève de l’économie de l’environnement, discipline qui prend son essor à la suite de l’article de

Constanza et al. (1997) consacré à la valeur économique des écosystèmes de la planète, envisagé

comme un capital naturel (David et al., 2007). L’étude des interactions complexes entre l’économie

humaine et le fonctionnement des écosystèmes éveille pourtant l’intérêt de certains économistes dès

la fin des années 1980. C’est notamment le cas de Weber qui introduit l’Environnement dans la

comptabilité nationale et initie, de ce fait, dès 1986 l’Ecole française de comptabilité du patrimoine

naturel, institution qui ne s’est malheureusement pas imposée à l’échelle internationale (Weber,

1986).

Le défi que doivent relever les économistes de l’environnement est de parvenir à donner une

valeur à un écosystème alors que les services et les fonctions que ce dernier est susceptible de

rendre, échappent à toute évaluation monétaire dans la mesure où ils ne font pas l’objet de

transactions sur un marché. Pour y parvenir, la notion de prix est placée au centre de la réflexion sur

la valeur d’un écosystème en considérant que l’évaluation environnementale se ramène à une

question de préférence (assimilable à une demande) des agents pour l’utilisation ou la conservation

d’un bien naturel. La valeur de ce bien peut alors être estimée en fonction d’un prix révélé soit par le

comportement des usagers de l’écosystème en question (méthodes des coûts de transport ou des

prix hédonistes), soit par un consentement à payer pour l’utilisation ou la conservation de celui-ci.

Ces méthodes reviennent donc à créer artificiellement un marché qui n’existe pas mais s’attachent à

n’évaluer qu’une partie de la valeur économique de l’écosystème9. Pour contourner ces biais et

proposer une mesure globale, la notion de valeur économique totale d’un bien naturel (VET) est

introduite au début des années 1990. Elle est aujourd’hui, couramment utilisée par une majorité

d’économistes de l’environnement. La VET se décompose en quatre valeurs distinctes (David et al.,

2007) :

la valeur d’usage qui se rapporte à l’ensemble des usages qui sont fait de l’actif naturel. Elle

peut être directe lorsqu’elle s’exprime sous la forme d’un bien de consommation, ou indirecte

lorsqu’elle s’exprime sous la forme de services écologiques ou économiques ;

la valeur d’existence qui correspond à la valeur que porte un individu à l’existence d’un milieu

naturel sans en avoir un usage présent ou futur. Elle est estimée par le biais de l’évaluation

contingente qui permet d’estimer les sommes que la population consent à payer pour la

préservation de l’état actuel du milieu en question ;

9 La méthode des coûts de transport s’applique par exemple essentiellement à l’activité touristique

40

la valeur d’option qui s’attache à estimer ce qu’un individu est prêt à payer pour maintenir

l’option d’usage futur du milieu. Elle peut être assimilée à une prime d’assurance payée en avance

pour se garantir d’un futur incertain ;

la valeur de legs qui correspond à la projection dans le futur de la valeur d’existence.

La contribution des économistes à également vocation à évaluer les conséquences

économiques d’une aire protégée sur la population locale. L’ambition est de fournir des

indicateurs économiques attestant de la durabilité des projets de conservation. L’évaluation

économique du bien être matériel est perçue comme l’unique moyen d’évaluer le bonheur des

populations locales et la durabilité du développement n’est abordée que sous l’angle économique. La

maximisation de la production de richesses est assimilée au garant du meilleur ordre social et donc

de l’efficacité de la protection de l’environnement. Beuret (2006, p.12) cite Say pour résumer

l’approche de l’époque : « le point de vue économique embrasse tout l’état social. L’intérêt et l’économie

embrasse toute la loi sociale. L’économie politique, en un mot, est toute la science sociale ».

b) l’interdisciplinarité instrumentalisée

L’organisation et l’ouverture institutionnelle des recherches en SHS sur l’environnement sont

liées à la création du Programme Interdisciplinaire de Recherche sur l’Environnement (PIREN), initié

en 1979 par le CNRS10. C’est en effet à cette époque qu’émerge la nécessité de promouvoir

l’interdisciplinarité au sein des problématiques de conservation de la biodiversité. Pour ce faire, le

PIREN se fixe pour objectif de faire converger les différentes disciplines de SHS, pour mieux les

mobiliser, pour les organiser dans une démarche générale centrée sur la question de l’environnement

et pour les mettre en phase avec les recherches déjà initiées du côté des géosciences, des sciences

de la vie et de l’ingénieur (Henry et Jollivet, 1998). Des appels d’offre spécifiques aux SHS sont créés

pour inciter les chercheurs à s’investir sur la thématique de la conservation. En parallèle, les

écologues reconnaissent de plus en plus l’importance d’une véritable approche interdisciplinaire en

revisitant la notion de nature via la médiation environnementale (Kalaora, 1998).

Si le programme MAB de l’UNESCO a été l’occasion de voir émerger de beaux succès d’études

interdisciplinaires (Brookfield, 1980), l’intérêt progressif porté aux SHS n’est pourtant pas la preuve

d’une réelle reconnaissance de leur nécessaire contribution à la gestion environnementale. Il est,

pour beaucoup de chercheurs, une stratégie permettant d’attester auprès des bailleurs de fonds,

d’une dimension éthique et humaniste des projets de conservation. L’association d’un chercheur en

SHS à une équipe majoritairement constituée d’écologues, devient une condition pour obtenir

des financements. De plus, son rôle est souvent réduit à celui de convaincre la population locale

du bien fondé des aires protégées afin qu’elles ne viennent pas entraver leur bon fonctionnement.

Telle est du moins, la conception de certains chercheurs, rapportée par Whyte, sur la place des

sciences sociales dans les programmes MAB de l’UNESCO : « les spécialistes des sciences sociales

peuvent jouer un rôle utile auprès de la population en expliquant et en faisant accepter les projets

gouvernementaux » (Whyte, 1982).

c) Mobilisation pour une nouvelle science en réponse à l’appel d’Heidelberg

Le Sommet de Rio en 1992 marque, une fois de plus, un tournant important dans cette

conception, lorsque l’association Global Chance11 se mobilise pour répondre à l’appel d’Heidelberg.

Cet appel, rédigé par Michel Salomon et signé par plus de trois mille scientifiques et universitaires,

dont 72 récipiendaires du Prix Nobel, dénonce « l’émergence d’une idéologie irrationnelle qui s’oppose au

progrès scientifique et technique et nuit au développement scientifique et social » (Salomon, 1992).

10 Centre National de la Recherche Scientifique

11 Global Chance est une association de scientifiques qui s’est donné pour objectif de tirer parti de la prise

de conscience des menaces qui pèsent sur l’environnement global pour promouvoir les chances d’un

développement mondial équilibré

41

L’imprécision de « l’idéologie irrationnelle » évoquée, a engagé une vive polémique au sein du monde

scientifique et incité les chercheurs travaillant sur les problématiques de la conservation à se

positionner. Le message est effectivement compris comme : « faisons confiance à la science et à

l’industrie pour résoudre l’ensemble des problèmes, évitons de les brider par des fausses considérations

humanistes ». Les nombreuses réponses signées par l’association Global Chance ou publiées à titre

individuel, ont été l’occasion de faire émerger une « nouvelle science » qui n’est en fait qu’une

concrétisation des ambitions énoncées 13 ans auparavant par le PIREN. Barrère affirme à ce propos

qu’ « une telle science, par nécessité interdisciplinaire et en résonance permanente avec les individus,

apparaît comme un préalable indispensable à toute décision en matière d’environnement et de

développement. Pour que l’après Rio ait un sens, les scientifiques doivent la construire » (Barrère, 1992). Les

grands principes énoncés en réaction à l’appel d’Heidelberg peuvent se résumer par :

Une opposition à « l’intégrisme scientifique » en affirmant que la recherche est au service de la

société, que son rôle est d’apporter des éléments permettant la prise de décision - et non pas de

dicter les décisions - et qu’elle doit éviter tout dogmatisme en se gardant d’énoncer des

certitudes lorsque les faits ne sont pas étayés de manière indiscutable ;

Un positionnement affirmé pour le rapprochement de toutes les disciplines scientifiques comme

gage d’une bonne compréhension de l’environnement et d’une construction de nouveaux modes

de développement. A ce titre, Barrère (1992) ajoute que « la fameuse tour d’ivoire des chercheurs

s’écroule avec les sciences de l’environnement. Comment promouvoir les réserves naturelles uniquement

pour préserver les espèces, quand les sciences sociales sont présentes pour rappeler que toute tentative

n’a de sens que si elle rétablit l’équilibre entre l’homme et la nature ? »

Les nombreuses réactions à l’appel d’Heidelberg mobilisent des chercheurs de toutes les

disciplines, qu’elles soient naturelles ou qu’elles relèvent des SHS. Ainsi, cette prise de position

témoigne-t-elle d’une appropriation réelle des problématiques environnementales par les

SHS et de la reconnaissance grandissante de leur légitimité par les sciences naturelles. Elle entraîne

un nécessaire élargissement du champ des recherches en SHS avec de nouvelles contributions

apportées par la géographie, l’histoire, l’anthropologie, les sciences politiques etc., couplé à une

montée en puissance de programmes de recherche dans lesquels l’interdisciplinarité n’est plus un

mythe.

2.3 Une demande croissante en sciences humaines et sociales

Depuis une vingtaine d’années, la nécessité d’une réelle participation des populations locales

comme gage d’efficacité et de réussite des aires protégées est communément admise. L’expérience a

montré que l’objectif de protection de la biodiversité était trop souvent mis en péril par des

problèmes d’ordre sociaux et économiques, dont la résolution dépasse souvent les compétences des

gestionnaires. Il en résulte une demande croissante de recherches en SHS et un besoin nouveau

d’opérationnalité au service de la gestion des aires protégées.

a) Diagnostic socio-économique et concertation : un besoin en SHS

L’analyse des programmes scientifiques de l’International Marine Conservation Congress (IMCC -

Washington, Mai 2009) et du 6ème congrès de la Western Indian Ocean Marine Science Association

(WIOMSA – La Réunion, Août 2009) témoigne de l’importance progressive de la place accordée aux

SHS dans les conférences internationales sur la conservation de la biodiversité. 30 à 40% des sessions

portent sur des problématiques économiques et/ou sociales, telles que la gestion des petites

pêcheries, les dynamiques sociales des usages, l’éducation, le renforcement des capacités locales, les

services écosystémiques, le financement des aires protégées, les CBOs, l’efficacité des aires

protégées et/ou leur gouvernance. En outre, la première conférence spécialement dédiée aux

sciences sociales au sein des espaces protégés a été organisée en septembre 2009, à l’initiative de

42

l’Université de Chambéry. Son intitulé est évocateur des problématiques abordées : « Espaces

protégés, acceptation sociale et conflits environnementaux ».

Ainsi, la thématique environnementale a-t-elle induit des innovations au sein des problématiques

abordées par les sciences sociales (Kalaora, 1998). Les chercheurs sont de plus en plus sollicités pour

réaliser des diagnostics socio-économiques, chargés de dresser un portrait des populations en

présence (composition des ménages, cadre de vie, revenus, etc.), de leurs usages, de leurs

perceptions du milieu et de leurs opinions sur les problèmes qu’ils rencontrent et les solutions qu’il

faudrait y apporter. En parallèle, leur intervention s’étend rapidement aux techniques de

concertation, thématique qui a largement contribué à rendre légitime l’environnement comme

objet de recherche en SHS (Labranche et Warin, 2003). Enfin, et depuis peu, ces chercheurs

commencent à s’intéresser à l’efficacité des politiques publiques et tentent de déblayer le terrain

de la gouvernance des aires protégées.

b) Quand l’opérationnalité des résultats hiérarchise les sciences

Malgré la diversité et la complexité des thématiques abordées par les différentes disciplines de

SHS, il persiste encore une hiérarchisation dans la légitimité des sciences à fournir des

résultats opérationnels, notamment dans l’esprit des décideurs et des gestionnaires pour qui les

données scientifiques font référence. Bénéficiant d’un recul de plusieurs décennies sur les

problématiques environnementales, les sciences de la nature, en particulier la biologie, ont en effet

acquis de nombreuses méthodes permettant d’évaluer la biodiversité d’un milieu et de suivre son

évolution au fil des années. Leur perfectionnement au cours du temps a permis de fournir des

indicateurs sur l’état de santé d’un écosystème, informations parlantes et facilement appropriables

pour les décideurs.

De la même manière, les sciences économiques ont rapidement été mises à contribution pour

fournir des arguments chiffrés sur la valeur environnementale d’un milieu naturel ou sur l’activité

économique dégagée de son exploitation. Traduits sous forme monétaire, ces arguments ont une

forte valeur opérationnelle aux yeux des décideurs et des bailleurs de fonds et placent les sciences

économiques en seconde position sur l’échelle de légitimité des sciences, pour l’aide à décision en

matière de conservation.

En queue de peloton, les sciences telles que la géographie, la sociologie ou encore

l’anthropologie, ont pris du retard dans le développement de recherches finalisées sur les

thématiques environnementales. A leur décharge, les sujets auxquels elles s’intéressent, comme

l’acceptation sociale, la résolution des conflits, la concertation ou encore la gouvernance, reposent

sur des informations essentiellement qualitatives, telles que des opinions, des perceptions ou des

histoires de vie, qu’il est difficile, parfois impossible et souvent réducteur, de transcrire sous la forme

d’indicateur chiffré. Les résultats obtenus n’en restent pas moins fondamentaux pour orienter les

prises de décisions. Mais leur nature qualitative les réduits trop souvent à des informations de second

rang, de contexte. Ainsi, l’exigence croissante, de la part des bailleurs de fonds et des décideurs, de

réponses de type déterministe, permettant de hiérarchiser les causes à un problème précis (Jollivet,

1992) a-t-elle du mal à être satisfaite par ces disciplines tant la nature même des sujets des

recherches en sciences sociales semble peu s’y prêter.

c) Réponses des SHS aux besoins d’opérationnalité

Pour répondre à ce besoin d’opérationnalité, des méthodologies et des outils voient tout de

même le jour. On peut citer notamment l’ingénierie sociale de Kaloara, qui propose l’observation

des comportements sociétaux sur le terrain « pour remettre constamment dans la discussion publique ce

qui est monopolisé abusivement par les scientifiques, les décideurs et parfois les médias » (Kalaora, 1998,

p.98) et élaborer des réponses adaptées aux problèmes environnementaux. Ou encore la

43

recherche-action – ou recherche participante - qui permet, à partir d’un recueil de données

identifiées et collectées au plus près des acteurs, de monter des actions, de mobiliser les potentiels

existants et de redynamiser les acteurs d’un territoire. Fondée par K. Lewin au début des années

1940, cette démarche favorise la production d’informations qualitatives et/ou quantitatives avec

l’élaboration d’un diagnostic afin de répondre aux enjeux et dynamiques des parties prenantes,

d’obtenir une meilleure évaluation des problèmes et, conjointement, de trouver des réponses plus

rapides et mieux adaptées. Elle émane d’une demande sociale et induit une nécessaire restitution des

résultats à l’échelle locale.

Depuis une dizaine d’années, et face au dénuement des gestionnaires, un certain nombre de

manuels chargés, entre autres, de guider l’élaboration de suivis socio-économiques en appui aux aires

protégées ont été publiés. The Society for Conservation Biology s’est chargée de référencer l’ensemble

des outils existants à l’échelle internationale, sur leur site internet:

http://www.conbio.org/workinggroups/sswg/catalog/. Un panel d’approches et de méthodologies sont

proposées par des disciplines aussi diversifiées que l’anthropologie, l’économie, les sciences de

l’éducation, la géographie humaine, les sciences de gestion, les sciences politiques, la psychologie ou

la sociologie.

L’objectif ici n’est pas de dresser une liste des différentes méthodes utilisées par les sciences

sociales, mais de montrer que malgré le retard accumulé par la lente appropriation des

problématiques environnementales et la difficulté de formaliser des données en majorité qualitatives,

les chercheurs tentent de s’adapter aux besoins exprimés par les opérationnels et développent

progressivement un panel de méthodes « clé en main », chargées d’assister les gestionnaires dans la

collecte et l’analyse d’informations sociales.

Le positionnement des sciences sociales dans l’échiquier de la recherche sur la conservation de la

biodiversité, s’est fait progressivement, en parallèle de l’évolution des logiques de gestion des aires

protégées à l’échelle internationale. Aujourd’hui, la majorité des disciplines s’est appropriée le

paradigme environnemental comme objet d’étude et il est communément admis que l’amélioration

de l’efficacité des aires protégées n’est possible qu’en intégrant les dynamiques sociales des

populations locales.

Il persiste tout de même une hiérarchisation dans les sciences. En témoignent la constitution des

équipes de gestion d’aires protégées, majoritairement, voire totalement, constituées de biologistes. Si

l’interdisciplinarité s’est progressivement instituée dans les équipes de recherche, elle ne l’est pas

encore sur le terrain, ce qui explique des orientations de gestion parfois peu adéquates. Il faut dire

que la lente appropriation des problématiques environnementales par les SHS n’a pas favorisé la

formation de jeunes chercheurs spécialisés dans la gestion d’aires protégées. Rares sont les diplômes

universitaires qui intègrent cette pluridisciplinarité. On assiste aujourd’hui à une pénurie de

personnes formées en SHS dédiées à la conservation.

Cependant il serait faux de penser que cette pénurie explique l’absence de sociologue ou de

géographe dans les équipes de gestion d’aires protégées. Un apriori sur la capacité des SHS à être

opérationnelles subsiste, alors que la démarche scientifique des biologistes apparaît bien plus

objective donc plus fiable. Ces derniers n’ont pourtant pas plus de compétences en gestion et bien

moins d’expérience en termes de concertation et de gestion des conflits – pourtant les principales

préoccupations d’un gestionnaire - que n’importe quel ressortissant des SHS. Mais les mentalités

mettent du temps à changer, nous l’avons vu avec la construction du concept de Développement

Durable. Les chercheurs en SHS montrent progressivement que leur contribution à la gestion des

aires protégées peut être tout aussi opérationnelle que celle des sciences de la nature. Laissons le

temps. Il fait bien les choses…

44

3. La géographie au coeur de la gestion des aires protégées

Les relations qui se nouent entre les hommes et leur environnement ont depuis toujours retenu

l’attention des géographes. Elles sont l’objet de nombreuses recherches par le biais des concepts de

milieu et de paysage sans que celui d’environnement ne soit utilisé. Ainsi la géographie française de la

fin du XIXème et du début du XXème siècle ne parvient-elle pas à considérer la question

environnementale comme faisant ontologiquement corps avec son champ d’intervention. Elle n’arrive

pas « à capitaliser un savoir propre sur l’environnement » (Chartier et Rodary, 2007, p.37). A l’image des

autres disciplines de SHS, la géographie ne s’approprie ses thématiques qu’au début des années

199012. Outre le problème de l’éco-centrisme de la conservation qui exclu la plupart des disciplines

de SHS, les causes de ce retard s’avèrent également intrinsèques à la géographie.

3.1 Des conflits de géographes

Le retard avéré de la recherche en géographie sur cette problématique résulte à la fois de

bouleversements internes à la discipline, mais également de l’image généraliste et opportuniste qu’elle

renvoie.

a) Des changements internes à la discipline

Le déterminisme allemand a constitué la pensée dominante en géographie jusqu’au début du

XXème siècle. Développé par F. Ratzel et C. Ritter, il se base sur le fait que l’homme est déterminé

par le milieu dans lequel il vit et doit se développer. Ainsi ce courant considère-t-il que toute cause

naturelle produit une conséquence sociale. En réaction à ce courant, P. Vidal de la Blache propose

une nouvelle version du déterminisme, appelée également possibilisme, qui considère que le milieu ne

détermine pas les sociétés humaines mais qu’il leur offre plutôt des possibilités face auxquelles

l’homme peut faire des choix qui influencent le développement. Ainsi, il n’y a pas de déterminants

géographiques mais des possibilités que l’homme choisit ou non d’ « utiliser ». La nature propose,

l’homme dispose. Le déterminisme vidalien permet donc à la géographie française de se détacher

de cette vision strictement naturaliste sans pour autant proposer un appareillage méthodologique

(Claval, 2001 ; Chartier et Rodary, 2007). Jusqu’à la fin des années 1950, il fonde d’ailleurs l’unité et

l’homogénéité de la géographie française, symbolisées par la forte reconnaissance à l’international de

l’Ecole française de géographie.

Sous l’influence grandissante des courants géographiques internationaux13, les années 1960

marquent un tournant dans la discipline avec l’émergence de la Nouvelle Géographie, appelée

aussi géographie quantitative, qui s’impose face aux nombreuses critiques de la géographie régionale

vidalienne14. Mathieu affirme à ce propos que cette dernière est alors perçue « comme une géographie

de caractère subjectif à laquelle on ne peut accorder aucun crédit scientifique parce qu’elle n’est valable que

pour certaines époques et pour certains lieux » (Mathieu, 1992, p.144). S’opère alors un changement du

paradigme fondateur de la discipline qui passe de l’étude de la relation entre l’homme et la nature à

celle entre les sociétés et l’espace. La volonté de modéliser, d’expliquer et d’élaborer des lois dans

l’organisation spatiale des activités humaines se substitue aux analyses régionales. D’une définition de

la géographie comme « description de la surface de la terre et de ses habitants », elle devient « science

des interactions spatiales reposant sur l’usage des échelles, des réseaux, des modèles, des stratégies… »

12 Dans les années 1950, M. Sorre propose une orientation originale vers « une géographie biologique ». Il

ne fera cependant pas école.

13 Ces nouveaux courants sont notamment portés par des géographes tels que Peter Haggett au Royaume-

Uni, David Harvey et Peter Gould aux Etats-Unis.

14 La géographie régionale de Vidal de la Blache est un courant spécifiquement français, développé par le

biais de l’Ecole française de géographie. Il s’agit de traiter des spécificités régionales (idiographie), évitant ainsi

les dérives nomothétiques, mais tombant dans une connaissance encyclopédique (Wikipédia).

45

(Bailly et Ferras, 2001). Et Mathieu (1992, p.146) d’ajouter que « la création de la revue Espace

Géographique en 1972 est l’expression la plus remarquable du changement de paradigme et de méthode ».

Ce nouveau paradigme fait émerger de multiples courants de pensées que l’on peut rassembler en

deux filières principales :

La géographie physique qui aborde l’environnement par le concept de milieu et s’attache à

reconstituer son évolution naturelle en ignorant l’action anthropique. Sont représentées ici les

spécialités comme la géomorphologie, la climatologie, l’hydrologie ou l’océanographie ;

La géographie humaine qui, en abandonnant les concepts de milieu et de paysage, s’intéresse aux

sociétés humaines et à l’organisation qu’elles font de l’espace. Appelée « géographie sociale hors

sol » par Chartier et Rodary (2007), les géographes tentent de théoriser le changement spatial via

des analyses quantitatives des processus sociaux. Sous la dénomination de géographie humaine,

sont regroupés des courants aussi diversifiés que la géographie urbaine, celle des transports, du

tourisme, de la santé, la géopolitique ou encore la géographie culturelle etc.

Ainsi, jusqu’à la fin des années 1970, la géographie à l’échelle internationale et particulièrement

française, est-elle en proie à des bouleversements de fond, relatifs à l’émergence de nouveaux

courants de pensée. Le besoin de restructuration et de redéfinition des concepts fondateurs de la

discipline, l’enlise dans un conflit entre géographie physique et géographie humaine qui l’empêche de

s’investir sur les problématiques environnementales. A ces problèmes d’ordre épistémologique,

viennent se greffer des changements institutionnels dans la discipline qui renforcent ce clivage. L’unité

avérée du début du siècle est en effet concomitante avec le peu de postes de géographe ouverts dans

les universités françaises. Dans la plupart, un seul et unique poste existe et l’heureux élu est en

charge d’enseigner la discipline dans sa complexité et sa diversité. Avec l’avènement de la Nouvelle

Géographie dans les années 1960, s’ouvrent de nombreux postes universitaires dans le but de créer

de nouveaux départements de géographie. Les géographes s’engagent alors dans « un processus de

distinction interne en spécialités de plus en plus pointues et de plus en plus dissociées dans la pratique »

(Mathieu, 1992, p. 145).

b) Une image généraliste et opportuniste

En plus du conflit historique entre géographes « physiciens » et « humanistes », cette vague de

spécialisations à outrance contribue à brouiller l’image renvoyée par la géographie. Ses objets de

recherche, ses méthodes et ses outils se multipliant, la singularité de sa contribution à la recherche

en matière de conservation de la biodiversité n’en est que moins lisible. La géographie est perçue

comme une science trop généraliste, qui ne possède pas de sujet d’étude propre. Il lui est

reproché d’être opportuniste et peu innovante car elle semble puiser son inspiration dans les

fondements théoriques des autres disciplines de SHS. L’addition des différentes spécialités internes à

la discipline n’apparaît pas unifiée autour d’une même problématique. Sa légitimité à faire avancer la

recherche est donc remise en cause et expliquerait la sous représentation des géographes dans les

projets de conservation de la biodiversité. Ainsi, malgré cette prédisposition à englober les

dimensions naturelles et sociales, le géographe a-t-il du mal à se positionner dans les projets

interdisciplinaires car - et c’est un comble – son paradigme fondateur l’est déjà trop. Alors que cette

spécificité aurait dû lui accorder le rôle de médiateur au sein des réflexions inter-sciences, elle

complexifie la lecture et la compréhension de la science géographique.

3.2 Vers une géographie de la conservation ?

L’étude de la relation entre l’homme et la nature représente le paradigme fondateur de la

géographie. Malgré ces conflits, la géographie reste donc un archétype de la pluridisciplinarité et

développe des concepts et des outils intégrant cette bipolarité. Peu reconnue, la géographie détient

cependant des spécificités avérées, utiles pour améliorer la conservation de la biodiversité.

46

a) La géographie : archétype de la pluridisciplinarité

Science de transition étudiant la relation des sociétés à leur environnement, la géographie est la

seule discipline de sciences sociales à prendre expressément en compte dans son approche le milieu

naturel (Marchand, 1986). Cette bipolarité en fait un archétype de la pluridisciplinarité sur le

front des rapports entre sciences sociales et sciences de la nature (Mathieu, 1992). En témoigne la

difficulté de la situer au sein du délicat découpage des disciplines : en France, la géographie est

rattachée au corpus des sciences humaines et sociales alors que dans les universités allemandes et

dans plusieurs universités américaines, elle a été institutionnalisée avec les sciences de la vie. Ainsi les

frontières disciplinaires varient-elles selon les pays, voire même selon les époques (Rhein, 2003).

L’un des précurseurs ayant étudié les rapports entre les hommes et leur environnement naturel

est d’ailleurs le célèbre géographe Alexandre de Humboldt qui, de 1799 à 1804, parcouru l’Amérique

centrale et l’Amérique du Sud. Dans sa leçon inaugurale pour la chaire d’Anthropologie de la nature,

Descola (2001, p.1) le présente comme le fondateur de la géographie comme science de

l’environnement : « (…) lorsqu’il étudiait un phénomène en géologue ou en botaniste, c’était pour le lier aux

autres phénomènes observables dans le même milieu, sans en exclure les faits historiques et sociologiques, et

pour s’employer ensuite à éclairer les relations ainsi dégagées par la considération de situations analogues

dans d’autres régions du monde ». Ainsi, l’étude de la relation entre les sociétés et la nature est-elle

omniprésente dans l’ensemble des textes des grands géographes de la seconde moitié du XIXème

siècle, textes qui contribuent à la fondation de l’Ecole française de géographie dont la réputation

internationale fut incontestable dans les années 1900 (Luginbühl et Muxart, 1998). Sur les traces de la

géographie régionale de P. Vidal de la Blache, on peut également citer la large contribution du

géomorphologue E. de Martonne.

Avec la diffusion de l’approche systémique dès les années 1950, de nouveaux concepts à

l’interface entre sciences naturelles et sciences sociales émergent. Le géosystème, défini par

Vergnolle-Mainar (2004, p.2) comme « un concept permettant d’analyser les combinaisons dynamiques de

facteurs biotiques, abiotiques et anthropiques associés à un territoire » (Vergnolle-Mainar, 2004), est

introduit en France par Bertrand et Beroutchachvili à la fin des années 1970 (Bertrand et

Beroutchachvili, 1978 ; Beroutchachvili et Rougerie, 1991). En 1992, J-W Lapierre propose le

sociosystème tandis que l’anthroposystème apparaît en 2003, fruit de la collaboration entre différents

chercheurs. Lévêque et Muxart (2004, p.2) définissent l’anthroposystème comme « une entité

structurelle et fonctionnelle prenant en compte les interactions sociétés-milieux, et intégrant sur un même

espace un ou des sous-systèmes naturels et un ou des sous-systèmes sociaux, l’ensemble co-évoluant dans la

longue durée » (Levêque et Muxart, 2004). L’anthroposystème inclut l’écosystème, plus ou moins

anthropisé et le socio-système qui en est une partie intégrante et non pas extérieure. Enfin, l’écosocio-

système est proposé par Goffin, dès 1993, et désigne un système aux éléments multiples dont

les deux principales composantes sont, d’une part l’écosystème, c'est-à-dire l’ensemble des éléments

biophysiques du milieu et, d’autre part, le sociosystème, combinaison des facteurs socio-culturels de

ce milieu. La dynamique de l’éco-socio-système résulte donc d’interactions complexes entre la

dynamique naturelle et la dynamique sociale (Corlay, 1995).

De la même manière, les outils d’analyse spatiale qu’utilise classiquement le géographe,

permettent de considérer les dimensions naturelles et sociales comme faisant parti d’un même

système au-delà des conflits interdisciplinaires. La carte et les Systèmes d’Information Géographique

(SIG) offrent en effet la possibilité de superposer différentes couches d’information, se rapportant

chacune à des champs disciplinaires distincts. Le géographe est alors en mesure de visualiser les

interactions entre ces couches et acquiert ainsi une vision globale du fonctionnement du système.

Pourtant, la géographie ne se positionne que tardivement sur les problématiques de conservation

de la biodiversité. Comme l’histoire ou l’anthropologie, elle fait parti des disciplines qui attendent le

47

début des années 199015 pour s’approprier cette thématique (Henry et Jollivet, 1998) et être

intégrées aux programmes interdisciplinaires. Si sa composante physique, étudiant les divers

compartiments des milieux naturels, s’est rapidement trouvée intégrée, la composante humaine a

beaucoup plus tardé à s’impliquer. Ainsi, les problèmes de l’interdisciplinarité se posent-ils au sein

même de cette discipline. Enlisée pendant plusieurs dizaines d’années dans des luttes internes, la

conservation de la biodiversité devient une opportunité de rétablir le dialogue entre spécialités de

géographie physique et celles de géographie humaine.

b) Les spécificités de la géographie pour la conservation de la biodiversité

Dans le Dictionnaire de la géographie, Lévy et Lussault (2003) identifient la « nouvelle

géographie de l’environnement » comme un des trois courants qui structurent actuellement la

géographie française (Lévy et Lussault, 2003). Même si ce courant n’est, selon leurs termes, « non

encore complètement identifié », Chartier et Rodary (2007) insistent sur le fait que le simple fait d’être

nommé représente une étape importante dans l’histoire de l’épistémologie de la discipline. Les

fondements de ce nouveau courant couvrent un champ large de concepts, tels que : pratiques,

sociétés locales, stratégies d’acteurs, usages, enjeux, conflits, savoirs, représentations, régime

d’appropriation, mécanismes de régulation sociale, modalités de concertation, valorisation

économique, protection juridique, arrangements institutionnels etc. (Luginbühl et Muxart, 1998 ;

Michon, 2003). L’ensemble de ces concepts n’appartient pas pour autant à la seule discipline

géographique mais est également utilisé par d’autres disciplines de SHS comme la sociologie,

l’anthropologie ou le droit. La géographie conserve cependant une approche qui lui est propre, basée

sur le concept de territoire.

Dès 1933, Demangeon met en avant la notion de « base territoriale des groupements humains ».

Il affirme que c’est précisément la considération de ce lien territorial qui différencie la méthode

géographique de la méthode sociologique. « Les sociologues ont trop tendance à méconnaître les relations

des hommes avec la terre, à traiter de l’homme comme si il était détaché de la surface de la terre »

(Demangeon, 1920) cité par (Barthélémy et Weber, 1989). La spécificité de la géographie par rapport

aux autres SHS est d’analyser systématiquement les rapports entre l’homme et la nature par le biais

du filtre territorial, condition qui, selon Luginbühl et Muxart (1998, p.48) permettrait « de lier les

systèmes naturels aux groupes sociaux ».

Abusivement utilisé par toutes les disciplines, le concept de territoire, possède une signification en

géographie qui lui est propre et qui fait toujours couler l’encre16. Il se réfère à un espace approprié

par un groupe social. Cette appropriation en fait une entité idéelle qui existe à travers les

représentations et les perceptions des individus qui l’occupent. Il est vecteur d’enjeux identitaires,

politiques et culturels forts, qui fondent la plupart des comportements des sociétés dans l’espace

(Bonnemaison, 2000). Ainsi, l’analyse de la territorialité constitue-t-elle une dimension essentielle

dans la compréhension des rapports entre les hommes et les espaces protégés et représente-t-elle

l’une des contributions majeures de la géographie à l’avancée des recherches en matière de

conservation de la biodiversité.

A ce sujet, Grenier (2000) propose une mise en parallèle de l’approche géographique et de

l’approche biologique et justifie ainsi l’existence d’une géographie de la conservation. Cette

dernière s’attacherait à l’étude des lieux qui, selon lui, « forment la texture durable, visible et vécue par

les populations, de l’organisation sociale de la Terre en espaces » (Grenier Christophe, 2000, p.337). Ils

sont l’expression de « la relation d’une société à l’espace et à la nature » (Berque, 1986). Ainsi comparet-

il le biotope utilisé en biologie évolutive comme habitat d’une communauté, au lieu qui serait l’une

des dimensions (« topique ») du milieu géographique, avec le biotope comme unité de base de la

15 La première vague d’appropriation lancée par le PIREN à la fin des années 1970 n’était ciblée que sur

trois disciplines : l’économie, le droit et la sociologie.

16 Le Chapitre 2 sera l’occasion de revenir de manière plus approfondie sur le concept de territoire

48

diversité biologique, intégré au sein d’un écosystème et le lieu comme unité de base de la diversité

culturelle, constitutif du territoire17. C’est cette géodiversité, « permettant la perpétuation des processus

de diversification tant biologiques que culturelle » (Grenier, 2000, p.338), qui doit devenir le défi des

politiques de conservation. La géodisparité, composante élémentaire de la géodiversité (Mathevet et

Poulin, 2006), caractérise ainsi la diversité des modes d’accès, des usages et des dynamiques des

interactions entre ressources renouvelables et usages. « La disparition d’un usage, d’une culture, d’un

paysage permet [ainsi] de mesurer l’appauvrissement de la géodisparité et sa contribution au déclin de la

géodiversité » (Mathevet et Poulin, 2006, p.7). Avec comme fondations le lieu, le territoire et la

culture, cette géographie de la conservation s’inscrit dans un courant de pensée plus large, assimilé à

la géographie culturelle.

3.3 La géographie culturelle : toile de fond de la thèse

Si l’analyse géographique a toujours pris le facteur culturel en compte, notamment dans la

géographie humaine française, ce n’est que dans les années 1970, à la faveur de la critique du

positivisme par la Humanistic Geography aux États-Unis, que la « nouvelle » géographie culturelle prit

son envol. S’inspirant de la phénoménologie, la géographie humaniste cherche alors à réintroduire

dans l’analyse, l’agent, le sujet, son imagination, sa volonté. L’accent est mis sur l’analyse des

représentations, des paysages, des valeurs, des identités, bref, du sens. Dans les années 1990, les

critiques post-modernes et post-coloniales font prendre aux sciences sociales un véritable tournant

culturel qui provoque un développement fulgurant des études culturelles.

a) Le tournant culturel de la géographie

Alors que les géographes du début du siècle se donnaient comme modèle les sciences naturelles,

les travaux des années 1950 et 1960 s’inspiraient davantage des sciences sociales comme l’économie.

Tous s’efforçaient de gommer les aspects subjectifs de la réalité (rêves, symboles, idéologies,

aspirations) en supposant que les décisions prises par les hommes étaient rationnelles (Claval, 2003).

Inspirée de l’anthropo-géographie de Ratzel puis des travaux de l’école de Berkeley fondée par C.

Sauer, la géographie culturelle française connaît un renouveau dans les années 1970. Les travaux de P.

Claval et de J. Bonnemaison ainsi que ceux de l’école de la géographie tropicale, notamment de P.

Gourou, de G. Sautter et d’A. Berque, ont très largement contribué à la diffusion de ce nouveau

courant de pensée.

La géographie culturelle d’aujourd’hui s’intéresse davantage au sens que les hommes donnent au

milieu dans lequel ils vivent. Elle défend l’idée que « l’homme ne s’explique pas seulement par l’économie

ou par la recherche de son intérêt matériel – qui sont des approches réductrices – mais qu’il est un système

de valeurs, une structure de l’esprit, une affectivité, une volonté de territoire, une quête d’idéal et d’absolu,

bref un ensemble culturel » (Bonnemaison, 2000, p.44). L’émergence de la géographie culturelle est

ainsi liée à l’inaptitude du déterminisme matériel à expliquer les transformations qui affectent le

monde à cette époque (résurrection des nationalismes, l’émergence du fondamentalisme).

Basée sur trois dimensions, le milieu géographique, le géosymbole, et le territoire (Bonnemaison,

2000), la géographie culturelle se donne également comme sens ultime de « retrouver la richesse et la

profondeur de la relation qui unit l’homme aux lieux », parce que « la lecture des lieux conduit à lire au

coeur même de la société » (Bonnemaison, 1981 ; 1987) cité par (Grenier, 1998). Elle s’interroge sur la

nature des identités et le lien territorial. Raison, par exemple, tente d’expliquer l’installation précoce

du groupe Merina sur les Hautes Terres centrales de Madagascar, pourtant réputées pauvres, par des

facteurs culturels (Raison, 1977). De même, Bonnemaison (1987) s’intéresse aux gens de Tanna, au

Vanuatu, et explore leur mythologie pour comprendre la manière dont l’espace est vécu et structuré.

17 Le territoire est alors considéré comme un système spatial plus vaste, composé de lieux, également

support de la diversité culturelle.

49

L’espace vécu (Frémont, 1976) devient un objet de recherche à part entière et rend indispensable

l’étude approfondie des représentations culturelles. Ces dernières, et notamment celles que se font

les sociétés et les individus de la réalité, sont, selon Bonnemaison (2000, p.58), « plus importantes que

la réalité elle-même ; ou plus exactement, que cette réalité n’existe que dans la représentation qu’on se fait

d’elle ». Au coeur de la compréhension du territoire, l’étude des représentations (ou perceptions)

rattache le courant culturel à une géographie comportementale, par distinction aux géographies

classique, néopositiviste et radicale (Bailly et Beguin, 1998). Le chercheur se doit d’adopter un point

de vue nomothétique18 et une démarche déductive puisqu’il étudie des mécanismes spatiaux

généraux et recherche les similarités existantes.

Ce tournant culturel ne se cantonne pas à un unique courant. Il affecte l’ensemble de la discipline

de géographie humaine. Claval (2003) affirme ainsi qu’il n’est « plus question de comprendre la

géographie économique si on oublie que la consommation comme l’entreprise sont bâtis à coup de

préférence culturelles, plus question d’analyser la géographie politique en négligeant le rôle de la

gouvernance, ou la géographie sociale en négligeant les faits d’architecture sociale et les valeurs qui les

fondent ».

b) Positionnement épistémologique de la thèse

Les travaux menés dans le cadre de cette thèse trouvent leurs fondements épistémologiques au

sein du courant de géographie culturelle précédemment décrit. Ils se proposent d’analyser les

dynamiques sociales au sein des aires marines protégées (AMP) en utilisant le filtre du territoire.

Dans le but de répondre aux besoins d’opérationnalité des SHS, exprimés par les gestionnaires et les

bailleurs de fonds, ces travaux se réfèrent également à la recherche-action, l’idée étant de

proposer une démarche méthodologique permettant la création d’indicateurs sociaux, basés sur les

représentations du territoire. La combinaison de ces deux cadres de travail – la géographie culturelle

et la recherche-action – doit permettre à ces indicateurs d’éclairer les gestionnaires sur les liens

qu’entretiennent les populations locales avec l’AMP et, ainsi, d’en améliorer sa gouvernance.

* *

*

18 La science nomothétique s’oppose à la science idiographique, axée sur les différences et sur les

spécificités régionales.

50

Conclusion

La Figure 1-2 propose une synthèse de la mise en parallèle des logiques de conservation, de

l’implication des SHS sur les problématiques environnementales et de la place de la géographie.

Figure 1-2 : Parallèle diachronique entre logiques de conservation, SHS et Géographie

Une humanisation croissante de la conservation de la nature s’opère depuis le début des années

1990, laissant progressivement la place aux sciences humaines et sociales au sein des programmes de

recherche. Depuis quelques années, la géographie, avec ses outils d’analyse spatiale, son approche

territoriale et sa vision interdisciplinaire, se positionne parmi les disciplines les plus légitimes pour

contribuer à l’avancée des recherches sur la conservation mais également pour proposer des outils

opérationnels d’aide à la décision.

* *

*

51

Chapitre 2 - Les Aires Marines Protégées

des pays de la commission de l’océan

Indien

Sommaire

1. Vers un réseau régional d’AMPs dans le sud-ouest de l’océan Indien……………………. 53

2. Histoire des logiques de conservation dans les pays de la COI : une typologie des AMPs 57

2.1 Le modèle « Conservation-Exclusion » : les AMPs des Seychelles et de Maurice……… 57

2.2 Les AMPs malgaches et réunionnaises : de l’exclusion à la participation……………... 62

2.3 Le modèle « Conservation – Participation » : Les AMPs des Comores et de Rodrigues 77

Introduction

Après avoir décrit l’avènement progressif du modèle participatif dans la gestion des espaces

protégés à l’échelle internationale, nous centrerons ce deuxième chapitre de manière thématique et

géographique. La dimension thématique s’attachera à traiter des aires marines protégées (AMP),

comme cas particulier d’espace protégé et nous limiterons notre espace de travail aux pays membres

de la Commission de l’Océan Indien (COI), à savoir Madagascar, l’ïle Maurice (l’île Rodrigues incluse),

les Comores, les Seychelles et La Réunion.

La première partie de ce chapitre s’attache à retracer l’historique de la protection des récifs

coralliens dans la région sud-ouest de l’océan Indien. Le projet d’un réseau régional d’AMPs sera

présenté comme l’aboutissement d’une ambition commune de fédérer les connaissances et les

expériences en matière de conservation à l’échelle régionale. La seconde partie tentera d’élaborer

une typologie des différentes AMPs existantes ou en projet dans les Etats membres de la COI selon

le mode de gestion en présence.

52

1. Vers un réseau régional d’AMPs dans le sud-ouest de

l’océan Indien

Depuis le Sommet de la Terre à Rio en 1992, la région sud-ouest de l’océan Indien est le théâtre

de nombreuses initiatives dans le domaine de la protection de l’environnement littoral et marin. La

Convention de Nairobi, signée en 1985, et ses différents protocoles fournissent les bases légales

pour les actions en matière d'environnement marin dans le sud-ouest de l’océan Indien (COI, 1997).

Elles concernent globalement la protection, la gestion et le développement de l'environnement marin

et côtier de la région et, plus précisément, les aires marines protégées, la faune et la flore sauvage

ainsi que la coopération en matière de lutte contre la pollution marine. Le Programme des Nations

Unies pour l’Environnement (PNUE) est chargé, depuis 1985, de sa promotion et de sa mise en

application. Pourtant, ce n’est que 10 ans après son adoption, qu’elle entre en vigueur, le 30 mai

1996. Entre temps, un certain nombre d’organismes oeuvre dans la région pour structurer une

démarche commune.

Ainsi, la WIOMSA est-elle créée en 1992, avec le soutien de la Commission Océanographique

Intergouvernementale (IOC) de l’UNESCO et du Gouvernement suédois, représenté par la Swedish

International Development Agency (SIDA) et la Swedish Agency for Research Cooperation with developping

countries (SAREC). Basée en Tanzanie, cette association a pour vocation de fédérer l’ensemble du

dispositif recherche en sciences marines dans la partie occidentale de l’océan Indien. La compétence

géographique de la WIOMSA couvre l’ensemble de l’Afrique de l’est et les îles de la partie

occidentale de l’océan Indien où en réalité elle intervient peu (David et al., 1999, p.4).

On peut également citer l’ICRI (International Coral Reef Initiative) qui, du fait de la présence

d’écosystème corallien dans la région, se positionne en temps que partenariat environnemental entre

différents pays pour la préservation et l’usage durable des récifs coralliens. La biodiversité corallienne

constitue en effet une richesse indéniable pour la région sud-ouest de l’océan Indien qui figure parmi

les 34 points chauds à l’échelle mondiale. Les récifs sont présents dans les cinq états membres de la

COI même si leur importance varie selon les contextes économiques, sociaux, culturels et

environnementaux. Ce milieu naturel constitue aujourd’hui un patrimoine régional en péril, menacé

par différents facteurs de dégradation (anthropiques ou naturels). Face à ce constat, le gouvernement

des Etats-Unis, avec les gouvernements d’Australie, de France, de Jamaïque, du Japon, des Philippines,

de la Suède, du Royaume Uni ainsi que des agences telles que la Banque Mondiale et le PNUE,

lancent l’ICRI en 1994 lors de la conférence sur les petits Etats insulaires en développement à la

Barbade. Depuis, l’ICRI s’est agrandit et regroupe 80 pays. Ceux-ci ont adopté un plan d’action qui

s’articule autour de 4 axes principaux :

Gestion intégrée des zones côtières,

Information / sensibilisation,

Développement des moyens d’actions,

Evaluation des mesures prises

Entre 1999 et 2000, la France est chargée de la présidence de l’ICRI. A cette occasion, elle crée

l’IFRECOR (Initiative Française pour les REcifs COralliens) dont l’objectif est la protection et la

gestion durable des récifs coralliens des collectivités d’Outre-Mer. Il existe donc, depuis juillet 2000,

un comité local IFRECOR dans chacune des collectivités d’Outre-Mer, et notamment à la Réunion et

à Mayotte pour ce qui concerne le sud-ouest de l’océan Indien. Ces comités locaux constituent une

instance de concertation entre les différents acteurs concernés, en vue d’élaborer et de proposer un

plan d’action en faveur de la protection et de la gestion durable des milieux coralliens, et d’en assurer

le suivi, dans le respect des compétences de chacun. Il n’a pas vocation à financer des actions mais il

pourra soutenir des projets opportuns auprès des instances nationales et locales.

53

L’acteur majeur de la protection de l’environnement marin dans la région, reste la COI. En 1995,

les 5 états membres de la COI se dotent d’un programme régional sur l’environnement (PRECOI)

financé par l’Union Européenne (7ème FED). Prévu jusqu’en 2000, l’objectif global, initialement

prévu, était « la promotion d’une politique régionale de protection et de gestion des ressources

naturelles et marines », par la suite modifié en « contribution à la promotion d’une politique régionale de

gestion durable des ressources naturelles » (COI, 2000). Le PRE-COI a été conçu pour venir en appui à

des projets environnementaux de dimension régionale et pour renforcer les capacités des pays de la

COI dans les domaines de la protection et la gestion des zones côtières et de la protection des

espèces végétales endémiques. En plus d’un appui aux experts nationaux et régionaux de chaque pays

membre, un Groupe de Renforcement des Efforts Environnementaux Nationaux (GREEN) fut

nommé pour mener à bien l’expertise environnementale. Composé d’un consortium d’experts du

CIRAD, de l’IRD, de l’IFREMER et du GOPA (bureau d’études allemand), le GREEN a d’abord dressé

un état des lieux environnemental de chaque pays afin d’identifier un éventail de problématiques

communes. Celles-ci ont ensuite été regroupées selon quatre thématiques dominantes :

l’écotoxicologie, les récifs coralliens, l’érosion et la pollution.

La problématique AMP est issue de la thématique récif. Elle émerge en 1998 à l’issu de l’atelier

récif de Tuléar (Charpy et al., 1993) et l’idée de créer un réseau régional d’AMPs est confirmé un

an plus tard (Bigot et al., 1999 ; David, 1999). Pourtant en 2000, lors de la fin du PRE-COI, sa mise en

place n’est pas effective et ce réseau n’en reste qu’au stade de projet. Il faut attendre novembre 2003

pour qu’à l’initiative du directeur régional du WWF, les gestionnaires des AMPs de la région décident

de relancer le processus de création d’un réseau régional d’AMP. Une petite équipe technique pilotée

par l’ARVAM et le WWF France se met alors en place pour construire un projet finançable par le

FFEM. Cette initiative est entérinée et appuyée en Juillet 2005, lors du troisième sommet des chefs

d’Etat et de Gouvernement de la COI à Antananarivo. La nécessité de la mise en place d’un réseau

d’AMPs dans la région est réaffirmée. Les arguments sur lesquels s’appuie cette décision sont les

suivants (COI, 2005) :

l’implantation des AMPs s’est faite selon une perspective purement nationale, sans vision

écologique régionale. La représentativité des milieux est insuffisante et des sites essentiels pour

les espèces phares ne sont pas encore protégés ;

peu de sites sont reconnus au plan international ;

les capacités des gestionnaires et l’expertise scientifique sont insuffisantes ;

les gestionnaires des AMPs sont isolés et ont besoin d’échanger leur expérience.

Le projet est donc relancé et sa finalité est « de contribuer au maintien de la biodiversité et des

ressources marines et côtières de l’éco-région de l’océan Indien occidental, au travers d’un réseau régional

cohérent d’aires marines protégées gérées efficacement ». L’une des priorités est celle du développement

régional durable et notamment « la préservation des ressources halieutiques de l’océan par une

amélioration de la connaissance de ces ressources partagées, une rationalisation de leur gestion et un effort

soutenu porté à la conservation de la biodiversité marine et côtière » (COI, 2005). Piloté par la COI, et

géré par le WWF, ce réseau doit créer une véritable dynamique régionale entre tous les acteurs de

la zone autour des AMPs. Le projet est conjointement financé par le FFEM, le WWF, Conservation

International et le Ministère Français des Affaires Etrangères pour un montant avoisinant 2 millions

d'euros (FFEM, 2005).

Le projet, prévu jusqu’en Juin 2010, s’articule autour de 4 composantes.

Composante 1 : « Elaboration d’une stratégie régionale de gestion de la biodiversité et des ressources

marines. » L’objectif est d’identifier un réseau d’espaces prioritaires, d’intérêt majeur pour la

conservation de la biodiversité et des ressources marines et côtières, en mettant en oeuvre une

analyse éco-régionale, aboutissant à la validation d’une stratégie régionale de conservation et de

gestion de la biodiversité et des ressources naturelles. Les résultats de l’analyse éco-régionale

doivent orienter les activités envisagées pour les composantes 2, 3 et 4, ainsi que les autres

projets régionaux de conservation ;

54

Composante 2 : « Appui au renforcement (ou a la création) d’aires marines protégées ». L’objectif est

de soutenir directement le développement du réseau régional des AMP et d’inscrire les sites

prioritaires aux conventions et programmes internationaux ;

Composante 3 : « Mise en place du forum régional des gestionnaires d’aires marines protégées ». Les

objectifs sont nombreux. Ils s’organisent autour de la nécessité de créer ou de renforcer les

échanges d’expériences entre les gestionnaires des AMP de la région afin de promouvoir les

bonnes pratiques en matière de gestion ;

Composante 4 : « Sensibilisation et information sur l’utilité des aires marines protégées ». L’objectif est

de mobiliser les institutions et la société civile en faveur des AMP, afin de faire émerger une

dynamique régionale de conservation de la biodiversité et des ressources marines.

Au sujet de la composante 1, un premier atelier technique pour l’analyse écorégionale de

WIOMER (Western Indian Ocean Marine EcoRegion19) s’est tenu en Avril 2009 à Maurice. L’objectif

général était de faire progresser l’analyse écorégionale en rassemblant les experts marins de la

région, leur permettant ainsi d’échanger et de réfléchir ensemble sur les facteurs et les

problématiques qui doivent être pris en compte dans le processus de priorisation des zones à

protéger. Les participants ont conclu que cette priorisation devait se baser sur des données

environnementales, biologiques et socio-économiques qui devront être analysées à l’aide d’outils

informatiques de modélisation et de planification de la conservation. Les résultats ont été présentés

lors d’un second atelier, cette fois ci à Madagascar, en Novembre 2009. 35 paysages marins20

prioritaires pour la conservation de la biodiversité et des ressources marines de la région ont ainsi

été identifiés. Ces résultats doivent encore être consolidés et soumis à la haute sphère de décision

de la COI pour parvenir à la formulation d’une stratégie commune régionale.

Concernant la composante 2, un certain nombre d’actions prioritaires ont déjà été initiées voire

réalisées dans le but de renforcer les capacités des AMPs existantes ou d’en créer de nouvelles.

Parmi ces actions, on peut citer notamment l’aide d’urgence accordée au Parc Marin de Mohéli

(Comores) qui, avec l’achèvement du projet GEF/PNUD21, s’est trouvé sans financements pérennes.

Un renforcement à l’élaboration du plan de gestion a ainsi été engagé, accompagné de formations en

écotourisme et d’une aide au classement en réserve de Biosphère dans le cadre du programme MAB

de l’UNESCO. A Maurice, un inventaire écologique du parc marin de Balaclava, associé à la formation

des gestionnaires et à la démarcation du parc a également été financé. A Rodrigues, la création de la

réserve marine de Rivière Banane a été soutenue notamment par le biais de la création d’activités

génératrices de revenus. Aux Seychelles, des activités de surveillance et de contrôle par le biais de

technologies radar ont été lancées sur le parc marin de Curieuse, la réserve spéciale de Cousin et la

réserve naturelle d’Aride. Le développement d’activités écotouristiques a également et engagé pour

le parc marin de Sainte-Anne ainsi qu’un audit détaillé sur l’utilisation et l’identification d’énergies

renouvelables permettant un meilleur système de gestion environnementale au niveau de la station

de recherche d’Aldabra. A Madagascar, une aide a été accordée à la délimitation et à l’élaboration du

plan de gestion des futures AMPs à Andavadoaka et au sud de Tuléar et des activités alternatives ont

été développées à Nosy Tanikely. Enfin, l’analyse de la valeur socio-économique des AMPs de la

région représente également un chantier prioritaire de la composante 2. Deux sites pilotes ont déjà

été identifiés. Il s’agit de l’île Curieuse aux Seychelles et de Mananara nord à Madagascar.

Dans le cadre de la composante 3, le réseau régional des gestionnaires d’AMP de la COI

est en passe de voir officiellement le jour. En attendant son officialisation, ce réseau se réunit

annuellement pour échanger et partager les expériences mais aussi pour participer à des formations.

A chaque fois, ces réunions se déroulent à proximité d’une AMP différente, la dernière ayant eu lieu

en Juin 2009 à la Réunion. Cette dernière a été l’occasion de discuter du statut, de la gouvernance,

19 Ecorégion marine de l’océan indien occidental

20 A été considéré comme paysage marin, une zone marine ou côtière relativement étendue qui rassemble

des caractéristiques biologiques et écologiques distinctes (par exemple un paysage de récif barrière) auxquelles

sont associées des assemblages d’espèces particulières.

21 Fond Global pour l’Environnement / Programme des Nations Unies pour le Développement

55

de l’organisation et du fonctionnement du réseau. Dans le cadre de la composante 3, des documents

techniques sont également diffusés pour aider les gestionnaires dans leurs missions. Le Toolkit de

l’IUCN destinés aux gestionnaires d’AMP a ainsi été traduit et distribué dans la région. Il est

disponible sur le lien suivant : http://whc.unesco.org/fr/series/23/.

Enfin, la composante 4 concerne la communication vers l’international mais aussi vers le grand

public notamment au travers d’un site internet : http://www.amp-coi.org/ et par le biais d’une

exposition itinérante visant à sensibiliser le grand public et à former la jeune génération au

comportement écologique à adopter et à la bonne gestion des ressources naturelles marines. Cette

exposition a débuté en Novembre 2007 à Madagascar. Elle s’est déplacé à la Réunion en Juin 2008 à

l’occasion de la semaine de l’Océan puis en Septembre 2008 à Maurice lors de l’inauguration du

deuxième site RAMSAR22 (parc marin de Blue Bay). Un bulletin d’information sur le projet est

également transmis régulièrement par voie électronique sous le nom de '' La gazette des îles''.

Une cinquième composante concerne la gestion globale du projet. Ainsi un comité de pilotage23

(COPIL) a été constitué et se réunit chaque année pour vérifier la bonne exécution du projet, aider à

la maîtrise d’oeuvre, définir les orientations, et approuver les budgets.

La mise en place de ce réseau d’AMP dans la région sud-ouest de l’océan Indien est un projet

ambitieux tant les contextes politiques, économiques, sociaux et culturels sont variés. En témoigne le

Tableau 2-1 qui dresse un basique portrait environnemental et socio-économique des différents

membres de la COI.

Tableau 2-1 : Portrait environnemental et socio-économique des pays de la COI

Contexte environnemental* Contexte socio-économique**

Superficie

(km²)

Linéaire

côtier (km)

Récifs coralliens

(km²)

Densité de

pop au km²

PIB/hab (US$)

2007-08

IDH / Rang

2007

Comores 1862 350 430 376 633 0,576 / 139

Madagascar 592000 5603 2230 32 263 0,543 / 145

Maurice 1860 200 870 645 5200 0,804 / 81

Réunion 2512 208 12 325 24333 0,881 / 34***

Seychelles 453 600 1690 190 6700 0,845 / 57

Sources: http://www.amp-coi.org/contexte-regional/1-contexte-environnemental.html

http://www.diplomatie.gouv.fr/

** Sources: http://www.diplomatie.gouv.fr/ PNUD, Tableau économique de la Réunion 2007-2008

*** (Goujon, 2008)

Les logiques de conservation et les modes de gestion locale n’en sont que plus diversifiés. La

création d’un réseau cohérent d’AMP, notamment en termes de connectivité, couplée à

l’harmonisation d’une approche régionale de gestion et d’évaluation de l’efficacité de la conservation

posent la question de la comparaison inter-sites et du développement d’outils génériques d’aide à la

gestion. Or l’hétérogénéité des contextes des différents pays de la COI est un premier obstacle,

auquel vient s’ajouter le poids de l’histoire de la mise en place des AMP dans chacun d’eux.

22 La Convention sur les zones humides d’importance internationale, appelée Convention de Ramsar, est

un traité intergouvernemental qui sert de cadre à l’action nationale et à la coopération internationale pour la

conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides et de leurs ressources. Négocié tout au long des

années 1960 le traité a été adopté dans la ville iranienne de Ramsar, en 1971, et est entré en vigueur en 1975.

C’est le seul traité mondial du domaine de l’environnement qui porte sur un écosystème particulier et les pays

membres de la Convention couvrent toutes les régions géographiques de la planète.

23 Le comité de pilotage est constitué du secrétaire générale de la COI (Président), d’un représentant de

chaque Etat membre de la COI (point focal du projet), d’un représentant de chaque bailleur de fond (FFEM,

WWF, CI, MAE), un délégué du comité d’appui scientifique et technique, le chef de projet (WWF) et l’assistant

technique régional environnement marin.

56

2. Histoire des logiques de conservation dans les pays de la

COI : une typologie des AMPs

Si l’on combine les statistiques de la Western Indian Ocean Marine Science Association (WIOMSA)

avec les données de terrains, le nombre d’AMPs dans la région sud-ouest de l’océan Indien est de 86,

parmi lesquelles 12 sont actuellement en cours de création. Sous l’appellation AMP sont classés

différents types d’outils de conservation, variant selon la juridiction locale. Au total, on trouve 12

réserves de pêche, 9 réserves marines, 22 parcs marins et plus de 30 autres types d’AMPs (Tableau

2-2).

Tableau 2-2 : Les différents types d’AMPs dans la région sud-ouest de l’océan Indien

(Sources : http://www.wiomsa.org/mpatoolkit/MPAs_in_the_WIO.htm et données de terrain)

AMP créée

Localisation Réserve de

pêche

Réserve

marine

Parc

marin Autres

AMP en cours de

création

Iles Eparses 4*

Mayotte 1 1+1PNM 1**

La Réunion 1

Kenya 5 1

Madagascar 5 9

Seychelles 6 8

Maurice 6 2

Rodrigues 5 1 1 3

Comores 1

Mozambique 2 1°

Afrique du Sud 5°°

Tanzanie 2 2 3**, 9°°

TOTAL 12 9 22 31 12

* réserve naturelle terrestres ° réserve faunistique PNM : Parc Naturel Marin

** zone de protection °° aire marine protégée non précisée

Les lignes surlignées en gris dans le tableau 2-2 correspondent aux pays membres de la COI. La

description des AMPs présentes dans ces pays fait l’objet de cette seconde partie. En dressant un

historique de leurs mises en place respectives, ces AMPs sont présentées et font l’objet d’une

typologie en fonction des différentes logiques de conservation identifiées dans le Chapitre 1 :

« Conservation – Exclusion » et « Conservation – Participation ». L’ensemble de cette partie s’est

inspirée des informations mises à disposition sur les sites internet de la COI (http://www.ampcoi.

org/pays-membres/) et du réseau des AMPs de la région (RAMPOI) (http://www.rg-ampoi.

org/index.php/contenu/page/le-reseau-des-amp#top). De nombreuses informations historiques

sont également puisées dans (David, 1998 ; Thomassin, 2005).

2.1 Le modèle « Conservation-Exclusion » : les AMPs des

Seychelles et de Maurice

a) Les AMPs seychelloises

La République des Seychelles est constituée de 115 îles, totalisant une superficie de 455 km², et

déterminant une ZEE de 1 900 000 km². Ces îles sont dispersées sur le banc des Seychelles, qui

s’étend sur 31 000 km² de faible profondeur (moins de 60 mètres) et forme la partie nord-ouest du

plateau des Mascareignes. Les Seychelles comprennent 41 îles granitiques, les autres étant d’origine

corallienne. Les trois îles de Mahé, Praslin et La Digue accueillent la plus grande partie des 84 000

habitants du pays. 80% des habitants sont installés à Port Victoria, la capitale. La pêche thonière et le

57

tourisme constituent les principales activités économiques des Seychelles : le secteur de la pêche

représente 58% des recettes annuelles globales des Seychelles (100 millions de dollars d’exportation

pour le thon), et le tourisme 26% (source : http://www.amp-coi.org/).

En 1969, les Seychelles, encore sous mandat britannique, sont le premier Etat de la COI à se

doter d’une législation relative à la conservation de la nature et aux parcs nationaux24. Est instaurée

une commission pour la conservation de la nature et les parcs naturels, qui a toute autorité pour

proposer la création d’aires protégées et pour veiller à leur gestion (David, 1998). Sous l’égide de

cette commission se met en place en 1971 un réseau des parcs et réserves et, en 1973, le premier

parc marin des Seychelles est créé autour des îles Sainte-Anne, à proximité de la capitale Victoria. En

1976, lors de l’accession du pays à l’indépendance, cette commission est rebaptisée Commission

Nationale des Seychelles pour l’Environnement (CNSE) et les droits de l’environnement sont

intégrés dans la Charte des droits humains fondamentaux des Seychelles. En 1994, à l’occasion de la

mise en place de l’Environment Protection Act, qui complète le National Parks and Nature Conservancy

Act de 1991, la Seychelles Marine Park Authority (SMPA) est créée et se trouve en charge des

compétences de la CNSE en matière d’aires marines protégées25. La SMPA gère aujourd’hui 6 parcs

nationaux marins26, ouverts au public mais dans lesquels la pêche est interdite. Il existe aussi d’autres

statuts nationaux de protection. On compte ainsi 3 réserves spéciales27, fermées au public, où ne

sont autorisées que des activités subordonnées à la conservation du milieu. Elles sont gérées par des

ONGs comme la Seychelles Island Foundation pour la réserve d’Aldabra28, l’Island Conservation Society

pour la réserve de l’île d’Aride ou encore Nature Conservation pour la réserve de l’île Cousin. Enfin, la

Seychelles Fishing Authority gère 4 Shell reserves, initialement mises en place pour la protection de

crustacés à forte valeur économique comme les langoustes, ainsi que les African Banks, situés par 4°

53' 49" S et 53° 23' 2" E (Figure 2-1).

Fort de plus de 230 km² de surface marine protégée, l’archipel des Seychelles constitue un

exemple à l’échelle internationale en matière de protection de l’environnement marin. Le nombre

d’AMPs (14 au total), leur étendue ainsi que leur ancienneté (toutes créées avant le Sommet de Rio

en 1992) sont assez d’arguments valables pour accorder au gouvernement seychellois le titre de

lauréat des AMPs.

Cependant, lorsque l’on y regarde de plus près, le constat s’avère moins glorieux. Lorsqu’en

197329, le premier parc marin d’importance (Sainte-Anne) est créé, la concertation avec la population

locale n’est pas dans l’air du temps. Un fois la délimitation décidée par les autorités, la gestion est

confiée à la SMPA dont la principale responsabilité était de réprimer le braconnage. Après plus de 30

ans de fonctionnement du parc de St Anne, force est de constater que le braconnage y sévit toujours

et que la pêche, qui devait être totalement prohibée, y est tolérée. L’exemple du parc marin de St

Anne n’est, malheureusement, pas unique aux Seychelles. Aucune étude socio-économique n’a été

menée en amont de la création des différents parcs. Il en résulte de nombreux conflits avec les

pêcheurs qui se plaignent de ne plus pouvoir pêcher et assimilent les rangers de la SMPA à des

militaires. Ce ne sont pas les quelques réunions d’information auprès des communautés qui peuvent

24 Il s’agit de la « National Parks and Nature Conservancy ordinance », transformée à l’indépendance en

1976 en « National Parks and Nature Conservancy Act » dont l’ultime révision date de 1991 et constitue le

chapitre 141 de la loi des Seychelles. En 1994, le «National Parks and Nature Conservancy Act » est remplacé

par l’«Environment Protection Act » qui en reprend les principales lignes.

25 La SMPA est un organisme para-étatique, dépendant du ministère de l’environnement seychellois mais

autonome concernant la collecte de fonds et la gestion des revenus.

26 Selon la loi des Seychelles (1991), chapitre 141, section 2 : “National Park means an area set aside for

the propagation, protection and preservation of wild life or the preservation of places or objects of aesthetic,

geological, prehistoric, historical, archaeological or other scientific interest for the benefit, advantage and

enjoyment of the general public and includes in the case of a Marine National Park an area of shore, sea or seabed

together with coral reef and other marine features to set aside. »

27 « Special Reserve means an area set aside in which characteristic wild life requires protection and in

which all other interests and activities are subordinated to this end » (Law of the Seychelles, 1991, chap 141)

28 La réserve d’Aldabra est également classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNSECO depuis

1982

29 En 1973, les Seychelles sont encore sous le contrôle des britanniques. Ce n’est qu’en 1976 que l’archipel

devient indépendant. Il reste membre du Commonwealth et de la Francophonie.

58

changer la donne. A. Cedras, ancien responsable de la SMPA, mentionne également d’importants

conflits avec les hôteliers qui, selon lui, jouent un double jeu : ils dénoncent les pêcheurs

contrevenants mais continuent de temps à autre à leur acheter du poisson pour la restauration des

touristes. Enfin, il déplore le peu de relations existants avec les politiques qui semblent se

désintéresser de la cause environnementale et privilégier plutôt le développement économique,

notamment touristique.

Figure 2-1 : Les aires marines protégées des Seychelles

59

L’implication de la population locale n’a donc, jusqu’ici, pas été une priorité dans les stratégies de

gestion des AMP aux Seychelles. Cependant, le modèle « conservation-exclusion » n’étant pas

durable, un changement de cap semble progressivement s’opérer, du moins dans les parcs marins

nationaux gérés par la SMPA. En 2008, les premières études socio-économiques ont été menées

auprès des usagers des parcs de Curieuse et de Sainte-Anne, sur la base du Socioeconomoic Monitoring

Guidelines for Coastal Managers of the Western Indian Ocean30 (Malleret-King et al., 2006). En outre, le

ministère de l’environnement envisage la création d’un nouveau parc marin au sud de l’île de Mahé

qui, cette fois-ci, devrait être basé sur une démarche participative. Cette dernière a été fortement

défendue par la SMPA qui, sur le terrain, est confrontée quotidiennement aux actes de braconnage,

conséquences désastreuses du manque d’implication des communautés locales.

b) Les AMPs mauriciennes

La République de Maurice englobe l’île principale de Maurice, d’origine volcanique, et les îles de

Rodrigues, Saint-Brandon et Agalega. Il n’est ici question que de l’île principale de Maurice. Environ

1175000 habitants y vivent pour une densité de 633hab./km². Autrefois pays à ressource unique (le

sucre), Maurice a réussi à se diversifier avec les industries secondaires. Dans les années 1980,

l'industrie textile a ainsi connu une expansion considérable, et le secteur du tourisme s’est engagé

dans un développement rapide (source : http://www.amp-coi.org/). En 2008, le Bureau Central des

Statistiques du Gouvernement Mauricien dénombre ainsi près de 1226400 visiteurs, ce qui en fait la

première destination touristique de l’océan Indien.

La concentration de la plupart de la population mauricienne sur la frange côtière, doublée d’une

industrie touristique essentiellement tournée vers la mer engendrent une pression anthropique

considérable sur l’écosystème marin. Dès le début des années 1970, les organisations internationales

tentent d’inciter le gouvernement mauricien à classer 16 sites littoraux particulièrement

remarquables en parcs marins (Procter et Salm, 1974 ; Robertson, 1974) in (David, 1998). Mais il

faudra attendre le début des années 1990 pour que le gouvernement mauricien commence à se

mobiliser en lançant le premier Plan national pour l’environnement. En octobre 1997, par le biais du

Wildlife and National Act 1993, il créé 6 réserves de pêche et proclame 2 Parcs Nationaux : Blue Bay

et Balaclava. Ceux-ci sont par la suite, déclarés Parcs Marins en juin 2000 sous le Fisheries and Marine

Resources Act 1998. Ce réseau d’AMPs est géré par une agence nationale dépendant du Ministère de

l’Agriculture et des Pêches, l’Institut halieutique d’Albion (Figure 2-2). A la différence des Seychelles

où l’accent est plutôt mis sur la conservation, les parcs marins de Maurice ont beaucoup plus une

fonction de gestion spatiale des activités maritimes et littorales. L’extraction de sable et le

piétinement y sont interdits. En revanche, le ski nautique et la plongée sont autorisés dans des aires

réservées à cet effet. Dans les réserves de pêche, la pêche à la senne est strictement interdite, tandis

que les casiers et l’appâtage motorisé sont autorisés mais nécessitent une licence. Quant à la pêche à

la ligne, elle est autorisée depuis le rivage, sur l’ensemble des AMPs.

Comme aux Seychelles, la protection de l’environnement marin n’apparaît pas comme une

priorité pour le gouvernement mauricien. La primauté revient au développement touristique

balnéaire et les aires protégées sont considérées comme un « gel insupportable du foncier littoral

dans un contexte de raréfaction des sites aménageables pour la construction d’hôtels de classe

internationale » (David, 1998). D’une manière générale, la mise en place des AMP à Maurice a suivi

une logique « top down » qui exclue toute participation des populations locales. Les quelques études

portant sur l’impact des parcs se sont limitées à des travaux d’ordre économique compilant les

différentes statistiques disponibles. A aucun moment, il n’a été question de consulter directement les

populations locales.

30 Ce protocole fera l’objet d’une analyse dans le point 3. de ce chapitre

60

Figure 2-2 : Les aires marines protégées de Maurice (île principale)

Si les réserves de pêche mauriciennes peuvent aujourd’hui être considérées comme des AMPs

papier dans la mesure où le peu de surveillance des coastguards n’est pas réellement dissuasive pour

les pêcheurs à la senne, il semble que la réglementation du parc marin de Blue Bay soit relativement

bien acceptée (Photo 2-1). Malgré une vive opposition de la part des communautés de pêcheurs au

démarrage du projet, la faible étendue du parc, couplée à un dispositif institutionnel conséquent

dédié à la surveillance, a permis de préserver le calme social et de minimiser les risques d’échec

(David, 1998). Le parc marin de Balaclava, en revanche, n’a pas connu le même succès et s’apparente

lui aussi à une AMP papier. Le balisage récent des différentes zones de conservation marque le

démarrage réel de l’AMP, à distinguer de sa création officielle en 1997.

61

Photo 2-1 : Paysages marins, paysages terrestre : exemples d’aires protégées mauriciennes

(Clichés : A. Thomassin, 2009)

Malgré ce bilan mitigé, le gouvernement mauricien s’est récemment engagé, avec le lancement du

deuxième Plan national pour l’environnement (2000-2009), dans la mise en place d’un réseau

institutionnel permettant de développer la gestion participative durable des AMPs. Plusieurs ONG

sont engagées aux côtés du gouvernement mauricien pour la conservation des ressources marines.

On peut citer notamment la Mauritian Wildlife Foundation ou la Mauritius Marine Conservation Society.

Cette dernière est porteuse d’un projet intitulé « Etude de faisabilité pour la mise en place d’une

AMP sur la côte sud-ouest de Maurice » ayant pour objectif de proposer une gestion durable des

ressources marines de la zone située entre Flic-en-Flac et le Morne village. Cette zone,

particulièrement riche en termes de biodiversité (la montagne du Morne est classée au Patrimoine

Mondial de l’Humanité depuis 2008), est soumise à un développement urbain et touristique croissant.

L’étude doit mettre en parallèle une étude environnementale sur l’état de santé de l’écosystème

corallien avec une étude socio-économique chargée de comprendre les différents usages du milieu et

de collecter les attentes et les propositions des pêcheurs comme des opérateurs touristiques. Le

croisement de ces études doit permettre de formuler des recommandations en matière de

conservation du milieu marin auprès des autorités, recommandations basées, cette fois-ci, sur des

critères écologiques, sociaux et économiques.

Les exemples des Seychelles et de Maurice correspondent à la première vague de création

d’AMPs dans la COI. Le choix du modèle « conservation-exclusion », qui exclue toute participation

des populations locales est, dans les deux cas, un échec. Si l’absence d’adhésion des riverains aux

objectifs de préservation en est une des causes, l’implication des gouvernements locaux peut

également être mentionnée. Jusqu’ici, la création d’AMPs a représenté un alibi de bon augure pour

la promotion touristique et la captation d’aides au développement, arguments qui ont trop souvent

prévalu sur une réelle prise de conscience environnementale et un véritable engagement à agir.

2.2 Les AMPs malgaches et réunionnaises : de l’exclusion à la

participation

a) Les AMPs à Madagascar

Avec une superficie de 593 000 km², l’« île-continent » de Madagascar représente l’un des 34

points chauds (« hotspots ») de la biodiversité mondiale. Le linéaire côtier dépasse 5 000 km, avec

plus de 250 îles et îlots, souvent associés au développement de récifs coralliens. Ceux-ci couvrent

une surface d’environ 2 000 km², avec un des plus grands récifs barrière de l’océan Indien occidental,

62

à Tuléar. Le reste de la côte est occupé par des plages de sable, des dunes, des savanes et des forêts

littorales, comprenant encore de vastes ensembles de forêts primaires humides sur la côte Est.

L’institut national de la statistique de Madagascar estime à 18 866 le nombre d’habitants en 2008.

L’extrême pauvreté qui caractérise certaines régions côtières malgaches explique l’important

développement de la pêche vivrière et artisanale destinée à la subsistance alimentaire. Elle

concernerait plusieurs centaines de milliers de familles (source : http://www.amp-coi.org/).

D’un point de vue législatif, le Plan d'Action Environnemental (PAE) est le programme le plus

important dans le domaine de l'environnement que Madagascar n’ait jamais connu. Il a été mis en

oeuvre en 1992, pour une durée de 15 ans, réparti en 3 phases : PAE 1 (1992-96), PAE II (1997-01) et

PAE III (2002-06). Le PAE a permis la création d’outils tels que le COAP (Code des Aires Protégées),

le Plan GRAP (Réseau global des aires protégées) et l’ANGAP (Agence nationale de gestion des aires

protégées). La gestion directe du GRAP est confiée à l’ANGAP, récemment renommée Madagascar

National Parks. Cette association est reconnue, depuis la loi programme du 7 juin 1997, comme

« auxiliaire des pouvoirs publics en vue de promouvoir la politique de gestion de la biodiversité et de

mettre en oeuvre la stratégie de conservation et du développement au niveau des aires protégées »

et reste sous la tutelle du Ministère de l’environnement (source : http://www.parcsmadagascar.

com/).

Jusqu’au début des années 2000, l’essentiel des projets de conservation initiés par l’ANGAP

concerne les milieux terrestres. La composante marine et côtière de la stratégie malgache de

conservation n’est, en effet, prise en compte qu’au cours du PAE II (1997). Elle est mise en oeuvre

par l’ONE (Office national de l’environnement) et le SAGE (Service d’appui à la gestion de

l’environnement), avec l’aide financière et technique de nombreux bailleurs de fonds (PNUD, GEF,

Banque mondiale) et ONG (Billé et Mermet, 2002 ; Galletti et Chaboud, 2004). Les 1000 ha d’îlots et

de récifs de Nosy Atafana et des rivages adjacents intégrés à la réserve de biosphère de Manarara

nord ont longtemps été l’unique AMP du pays (Carte 2-2). Mise en place en 1989 par le programme

MAB de l’UNESCO, cette réserve est découpée classiquement en trois cercles concentriques. Le

parc national marin de Nosy Atafana, situé à environ 2 km de la côte, constitue, avec le parc national

terrestre de 23 000 ha, le coeur de la réserve de biosphère dans lequel toute activité est interdite.

Autour, on trouve une première zone tampon de 20 000 ha dans laquelle sont inclus les récifs et les

eaux côtières bordant les centres urbains d’Antanambé et de Mananara nord. Les activités

économiques extensives et non destructrices du milieu naturel y sont autorisées. Enfin, une seconde

zone tampon de 100 000 ha englobe le tout. C’est une zone de développement à usage multiple, dans

laquelle des activités économiques plus intensives sont mises en oeuvre, mais toujours dans l’optique

d’un développement durable (David, 1998).

En 1997, une seconde AMP voit le jour à l’initiative de l’ONG Care International, à quelques

dizaines de km au nord de celle de Mananara-nord. Il s’agit du parc national marin de Masoala qui

s’étire, lui aussi, dans le prolongement d’un parc national terrestre situé sur la presqu’île. Depuis Juin

2007, le parc de Masoala est classé au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’UNSECO (Carte 2-1).

Ce parc est composé de trois parcs marins satellites : le parc marin de Tampolo, celui de Tanjona et

celui de Masoala, chacun correspondant aux trois principaux foyers de population de la région. Ils ont

pour fonction principale de fixer ces populations sur le littoral et d’éviter ainsi que celles-ci migrent

le long des vallées à l’intérieur de la réserve terrestre et en exploitent les ressources forestières

(Cinner et al., 2008).

63

Carte 2-1 : Les parcs nationaux marins de Mananara-nord et de Masoala (Madagascar)

Lors de la création de ces deux AMP, l’approche participative n’était pas encore au goût du jour.

Leur mise en place a donc suivi une démarche « top down » s’inspirant du modèle « conservationexclusion

» appliqué dans les îles voisines des Seychelles. Les populations riveraines des deux AMPs

se sont vues confisquer autoritairement leurs droits d’usage de la mer, sans qu’aucune explication ni

compensation ne leur soit apportée. La faiblesse du développement touristique de la région, couplée

à l’existence de réglementations strictes relatives à l’exploitation de la forêt du fait de la présence

d’un parc national terrestre, rendaient pourtant ces populations fortement dépendantes des activités

halieutiques. Alors qu’ils étaient avant tout agriculteurs, l’insuffisance des terres disponibles a poussé

les jeunes à s’orienter prioritairement vers la pêche occasionnant, à Mananara-nord un accroissement

de près de 45 % des effectifs de pêcheurs des 4 villages riverains entre 1990 et 1994 (David, 1998).

La mise en place d’une réglementation stricte des activités halieutiques sans qu’aucune consultation

des communautés de pêcheurs ne soit entreprise exposait logiquement l’AMP au refus de coopérer

et au non-respect des interdictions de la part des pêcheurs. Joamanana faisait parti des techniciens de

l’ANGAP chargés de la mise en place du parc de Masoala en 1995. Au cours d’un entretien, il

témoigne :

« On n’a pas fait d’enquêtes socio-économiques mais que des recherches scientifiques. C’était sur la base

des données scientifiques qu’on a fait la délimitation de l’AMP et ce n’est qu’après qu’on a informé la

population locale. Il n’y a eu aucune appropriation de ce projet et ça a créé des conflits ».

64

Comme aux Seychelles, une « milice » chargée de gérer et de surveiller le bon respect de la

réglementation aurait pu être mise en place. Mais le modèle « conservation-exclusion » coûte cher,

trop cher pour un pays comme Madagascar. Face à la multiplication des actes de braconnage, il est

rapidement apparu que l’unique solution pour obtenir l’adhésion des pêcheurs était de leur offrir un

« dédommagement » pour le préjudice causé par l’interdiction de pêcher. Mais l’absence d’étude

socio-économique en amont et le manque de connaissance du contexte local ont conduit à choisir

des

tions locales,

sans en inventer pour eux. Ce type d’étude est également utile pour éviter de faire des choses qui ne servent

à rie

attentes des communautés

locales et notamment s’attacher à proposer des actions d’appui à la pêche artisanale comme le

rep

e diminution nettement plus forte de la pression halieutique

individuelle dans les eaux du parc, et incités les nouveaux pêcheurs à mettre l’accent sur les espaces de

pêc

ndition

écessaire pour parvenir à remplir les objectifs de protection des écosystèmes marins. Les AMPs

mal

GAP réserve 50% des recettes obtenues grâce aux droits d'entrée dans les différents

par dont il a la gestion, pour financer des projets de développement au profit des populations

rive

« dédommagements » peu appropriés. Ainsi Joamanana ajoute que :

« quand on construisait une école les gens disaient « ça c’est l’école de l’ANGAP ». Ca n’était même pas

leur école. Pareil pour les puits d’eau. L’intérêt de l’étude socio-économique c’est d’abord de favoriser

l’appropriation du projet de conservation mais aussi de vraiment identifier les attentes des popula

n, qui ne seront jamais appropriées et qui entraîneront un éternel conflit sans résolution ».

Ainsi ces « dédommagements » doivent-ils avant tout cibler les

ort de l’effort de pêche sur une autre zone que celle du parc marin.

L’exemple de la réserve de Mananara-nord illustre tout à fait ce changement d’orientation.

Lorsqu’en signe de protestation les pêcheurs refusent de respecter l’interdiction de pêcher dans les

limites du parc, l’UNESCO interrompt la procédure de classement du parc et recommence le

processus de négociation avec les contestataires. A l’issu de deux ans de discussions, l’UNESCO

s’engage à apporter une assistance technique et financière aux pêcheurs, complétée d’une formation

technique à la pêche au large et à la pêche côtière, de manière à accroître leurs rendements de

capture et à compenser ainsi le surcroît de distance qui leur était nécessaire pour se rendre à leurs

nouveaux lieux de pêche. Malgré ces efforts, les gestionnaires de la réserve n’ont pu obtenir des

pêcheurs qu’ils cessent toute activité à l’intérieur du parc marin. La pêche s’y trouve donc tolérée

trois jours par semaine entre 6h00 et 17h00. A ce sujet, David (2004, p.3) avance qu’ « il est fort

probable que les résultats en matière de protection de la biodiversité récifale auraient été nettement meilleurs

à la fois dans le parc et au-delà, si la phase de concertation avait eu lieu dès le début du projet. Les pêcheurs

auraient vraisemblablement accepté un

he au-delà du récif » (David, 2004).

La logique de création des deux premières AMPs de Madagascar est donc à rapprocher de celle

des Seychelles et de Maurice. Pourtant, face à la multiplication des conflits et étant donné l’état

d’extrême pauvreté des populations concernées, la stratégie de conservation de l’ANGAP a du

s’adapter et évoluer vers une implication des populations locales croissante, co

n

gaches représentent donc un type à part, différent des modèles seychellois et mauriciens.

La promulgation de la loi GELOSE (Gestion Locale Sécurisée des Ressources Renouvelables) en

1996, est le symbole du changement d’orientation des logiques de conservation malgaches. Elle

constitue désormais la référence sur laquelle reposent les politiques de gestion des aires protégées

engagées par l’ANGAP. Elle permet un contrat entre l’Etat, la Commune et une communauté locale

de base, pour le transfert de la gestion des ressources naturelles. Elle est « locale » car elle s’applique

au niveau des territoires villageois et « sécurisée » car elle garantie la sécurité des ressources vis-àvis

des intentions d’appropriation ou d’exploitation individuelle. Finalement la loi GELOSE permet la

gestion durable des ressources renouvelables et leur valorisation au profit des communautés de base.

Ainsi, l’AN

cs

raines.

65

Depuis 2003, l’association SAGE est mandatée par le Ministère malgache de l’environnement,

pour promouvoir la gestion locale des ressources naturelles. Elle participe aux activités nationales du

PAE à travers plusieurs activités visant la décentralisation effective et l’intégration de la dimension

environnementale dans le développement. Elle intervient dans des domaines diversifiés tels que la

promotion de structures de concertation intégrant acteurs régionaux et locaux, le transfert de

gestion et la valorisation durable des ressources naturelles renouvelables et, enfin, le renforcement

de capacités et la communication sociale. Elle facilite donc la réalisation des initiatives locales et

app

ne se limitent pas à la conservation des écosystèmes marins

mais visent également le développement local et la gestion durable des pêcheries. La gestion de

l’AM

ent dans l’attente d’obtenir son arrêté de protection temporaire.

L’hi oire de la mise en place de cette AMP sera reprise dans la Partie 3 de cette thèse. L’auteur

ayant participé au projet visant sa création, les réussites et les échecs de cette dernière seront

bordés pour compléter l’analyse.

uie les communautés dans la recherche des moyens adéquats pour améliorer leurs conditions de

vie sans gaspiller les ressources naturelles.

Sur ces nouvelles bases, de nombreux projets de création d’AMP basés sur une démarche

participative, ont vu le jour (Figure 2-3). Il faut dire que les engagements pris par le gouvernement

malgache lors du Congrès Mondial sur les Parcs à Durban (Afrique du Sud) en 2003, sont ambitieux

puisqu’il s’agissait de tripler la surface des aires protégées avant 2008. Ainsi, le président de la

République malgache déclarait-il : « (…) je veux vous faire part de notre résolution à porter la surface des

aires protégées de 1,7 millions d’hectares à 6 millions d’hectares dans les cinq ans à venir, et en référence

aux catégories des aires protégées de l’UICN ». La même déclaration présidentielle a proposé

d’augmenter la surface des AMPs, sans toutefois stipuler une surface particulière, étant donné le

manque de lignes directrices internationales à cette époque. Le rapport d’avancement sur la mise en

oeuvre de la déclaration de Durban réalisé par le Ministère de l’environnement (2005) a, depuis, ciblé

un million d’hectares d’AMPs. L’objectif est aujourd’hui loin d’être atteint puisque la surface couverte

par les parcs nationaux marins, officiellement reconnus, n’est que de 37 000 ha. En plus des parcs

marins de Masoala et de Mananara nord, il existe également le parc marin et côtier de Sahamalaza-

Iles Radama au nord ouest de Madagascar qui, lui aussi, est accolé à un parc terrestre et s’inscrit au

coeur d’une réserve de biosphère. Comme les deux premiers parcs, le parc marin constitue une zone

de protection intégrale, entourée d’une zone d’utilisation contrôlée (ZUC), régie par le COAP et

une Dina31. Créé en 2007, ses objectifs

P est chapeautée par l’ANGAP mais garde une base collaborative avec les différentes

communautés villageoises concernées.

Il existe ensuite un panel d’AMPs en cours d’officialisation dont la surface couvre plus de 100000

ha. Certaines, bien avancées dans la procédure d’officialisation, bénéficient déjà d’un arrêté de

protection temporaire. C’est le cas du complexe d’Andrabé au sein duquel une réserve spéciale32

avait déjà été déclarée en 1965 autour de Nosy Mangabé et de l’AMP d’Ambodivahibe, à l’extrême

nord de l’île. C’est également le cas du parc national de Nosy Hara au nord-ouest de Madagascar

dont le responsable n’est autre que Joamanana. Fort de son expérience à Masoala, le projet de Nosy

Hara a bénéficié de nombreuses études socio-économiques en amont et la gestion du parc s’organise

désormais autour de « comités de surveillance » composés des villageois, dont le rôle est de

collecter et de suivre la production halieutique, d’inventorier les pratiques de pêche destructives et

de contrôler le braconnage. Enfin l’AMP de Velondriake (Andavadoaka), située à une cinquantaine de

km au nord de Tuléar, est actuellem

st

a

31 Accord contractuel entre les membres d’une communauté concernant l’usage des ressources naturelles

et garantissant le respect des pratiques non destructrices.

32 Le statut de réserve spéciale correspond à la catégorie IV du Système d’aires protégées malgaches. Il est

dédié à la protection d’espèces remarquables. Ces réserves sont libres d’accès au public, en revanche la chasse,

la pêche et la cueillette y sont interdites.

66

Figure 2-3 : Les aires marines protégées de Madagascar

67

Pour finir, cinq AMPs supplémentaires sont actuellement en cours de création : la demande

d’arrêté de protection temporaire doit être rédigée. Ces AMPs couvrent près de 28000 ha. Il s’agit

tout d’abord du Grand Récif de Tuléar (GRT), classé en réserve de Biosphère depuis 2003. Ce

complexe récifal est constitué de l’AMP de la baie de Salary, de la réserve communautaire de la baie

de Ranobe et du Parc national littoral du sud de Tuléar. Les réserves de Nosy Tanikely au nord ouest

de l’île et Nosy Ve au sud de Tuléar sont les deux dernières. Elles constituent des cas à part

puisqu’elles émanent d’initiatives locales en marge des démarches institutionnelles nationales et

internationales. Il y existe en effet, des Dinas datant respectivement de 1995 et 1999. Celles-ci

confèrent à ces sites un statut d’AMP informel et sont gérées au niveau communal. La signature d’un

arrêté de protection temporaire leur permettrait d’être officialisées et rattachée au réseau d’AMPs

malgaches.

Au total, Madagascar compte plus de 170000 ha d’AMPs. La construction progressive de ce

réseau s’est faite en parallèle des changements advenus dans les logiques de conservation à l’échelle

internationale. Les organismes nationaux comme l’ANGAP, chargés de la gestion des AMPs, ont dû

s’adapter et ont ainsi orienté leur stratégie de conservation sur l’approche participative basée sur les

communautés villageoise. Madagascar est, à ce titre, l’exemple d’une transition réussie, de

l’exclusion à la participation.

c) La Réserve Naturelle Marine de la Réunion

Située par 21° de latitude Sud et 55° de longitude Est, La Réunion appartient, avec les îles de

Maurice et Rodrigues, à l’archipel des Mascareignes. Depuis la loi du 14 Mars 1946, elle a le statut de

Département français d’Outre Mer (DOM) et, à ce titre, fait partie des régions ultrapériphériques de

l’Union européenne. L’île s’étend sur une superficie de 2512 km², ce qui en fait la troisième plus

petite région française après la Martinique et la Guadeloupe.

Au 1er Janvier 2008, la population réunionnaise est estimée à 802 000 habitants. Avec un fort

excédent naturel et une croissance démographique soutenue (1,5% par an entre 1999 et 2006), il est

prévu que la population s’élève à plus de un million dès 2030. Le Produit Intérieur Brut (PIB) de la

région connaît une croissance bien plus rapide que celui de la France entre 1993 et 2002. Il est

estimé, en volume, à 4,3% contre 2,3% pour la France. Mais le PIB par réunionnais reste faible,

dépassant à peine la moitié du niveau moyen français. Le taux de chômage est parmi les plus élevé du

territoire national (27,2% en 2009) et 8,3 % (soit près de 67 000 personnes) des réunionnais

bénéficient du Revenu Minimum d’Insertion (RMI) (INSEE, 2010).

L’émersion de La Réunion est datée à environ 2,1 à 3 millions d’années (McDougall, 1971). Elle

est considérée, à ce titre, comme une île volcanique jeune. Elle est dominée par deux sommets : le

Piton de la Fournaise, volcan actif qui culmine à 2631 m. et le Piton des Neiges, 3069 m., ancien point

chaud qui surplombe trois cirques d’effondrement : Salazie, Mafate et Cilaos. Les crêtes de ceux-ci

culminent en moyenne à plus de 2000 m. d’altitude. Ce relief accidenté joue un rôle essentiel dans la

distribution des vents. Deux grands secteurs peuvent être distingués : la côté au vent, à l’Est, qui

subit les flux dominants que constituent les alizés ainsi que les trains de houles qui en découlent et la

côte sous le vent, à l’Ouest, protégée par les hauts reliefs du centre de l’île.

L’ensemble des ces facteurs explique l’inégale répartition de la population sur le territoire

réunionnais. L’INSEE estime que moins de 20 % des habitants vivent dans la zone des Hauts, à une

altitude supérieure à 800m, zone qui représente les trois quarts de la superficie de l’île. L’essentiel de

la population vit le long des côtes, là où se concentre également le plus gros de l’activité économique.

Ainsi les régions ouest et sud, bordées par les récifs coralliens, accueillent respectivement 25% et

35% de la population réunionnaise et connaissent un taux d’accroissement annuel de plus de 1,5

(INSEE, 2010). Ces facteurs participent également à l’explication de la localisation, de la nature et de

la faible étendue des constructions coralliennes autour de l’île. Principalement localisées dans les

68

régions ouest et sud, les complexes récifaux occupent une surface globale de 12 km², répartis sur 25

km de linéaire côtier, soit 12% du linéaire total (Tessier et al., 2008) (Carte 2-2).

Carte 2-2 : Localisation des constructions coralliennes à La Réunion

Agés d’environ 10 000 ans (Montaggioni, 1978), les constructions coralliennes présentes à La

Réunion sont jeunes. On y trouve des bancs et plate-formes récifales (Photo 2-2) ainsi que des récifs

de type frangeant. Composés d’une zone d’arrière récif, d’un platier récifal et d’une pente externe

(Photo 2-2), ces derniers sont localement appelés « lagons » car ils offrent un espace de baignade

protégé du large (Photo 2-2).

L’histoire de la protection de l’écosystème récifal réunionnais date d’une quarantaine d’année.

Elle a récemment abouti, en Février 2007, à la création de la Réserve Naturelle Marine de La

Réunion (RNM). Au gré des jeux d’acteurs, de l’évolution des usages et des connaissances

scientifiques sur le milieu, nous proposons de retracer ce cheminement que l’on peut appréhender

en 5 grandes étapes successives.

69

Photo 2-2 : Constructions coralliennes et urbanisation littoral à La Réunion

(Clichés : A. Lemahieu, 2010)

1. Jusqu’à 1982 : L’alerte scientifique

Dès les premiers temps du peuplement de la Réunion, le rapport des hommes à la mer a

toujours été distant. La mer a longtemps été considérée comme un milieu hostile et la pêche comme

une activité de parias, réservée aux esclaves « marrons » et aux créoles pauvres vivant à proximité

du littoral (Gerbeau, 1979). Ainsi, jusqu’en 1950, l’exploitation du milieu récifal côtier se résume-telle

à quelques activités marginales de pêche et de cueillette sur le front récifal (Robert, 1977),

l’essentiel des usages étant tourné vers l’extraction de corail pour faire de la chaux. Obtenue par

torréfaction des coraux morts dans de hauts fourneaux de pierre, la chaux était indispensable pour

les constructions en dur. A la fin du XIXème siècle, la création d’usines sucrière modernes a vu la

production s’accélérer, la chaux entrant également dans le cycle de fabrication du sucre (Tergemina,

1999). Pendant un siècle, l’extraction de corail représente donc une activité relativement lucrative

pour toute une frange de la population réunionnaise. Elle connaît un net ralentissement dès le début

du XXème siècle avec la crise du sucre et l’apparition du ciment d’importation. Finalement, l’arrêté

préfectoral n°1.486 DAG-1 du 9 juin 1969 interdit définitivement l’extraction de corail dans les

lagons réunionnais. Si l’on peut considérer cet arrêté comme la première velléité des pouvoirs

publics à gérer le milieu récifal, il n’en reste pas moins symbolique puisque la conjoncture avait fait de

l’extraction de corail, une activité déjà mourante (David et al., 2005).

Les années 1970 marquent le début de la modification des usages du milieu marin. L’arrivée

massive de métropolitains entraîne un développement conséquent de l’urbanisation côtière,

particulièrement dans l’ouest autour des noyaux urbains déjà existants comme Saint-Gilles, ainsi que

l’apparition de nouvelles activités nautiques telles que le surf, la plongée sous-marine ou la chasse

sous-marine. Bien que pratiquée depuis le début des années 1950 (Roos et al., 1998), cette dernière

70

ne prend son essor qu’avec l’organisation de compétitions à la fin des années 1960, initiées par des

chasseurs confirmés originaires des rivages méditerranéens. La mise en place d’une surveillance des

plages par les maîtres nageurs sauveteurs en 1967 est probablement à l’origine de l’accroissement de

la fréquentation balnéaire, tant par les nouveaux arrivants que par les réunionnais qui,

progressivement, tendent à s’approprier l’espace marin et côtier (Cazou, 2000). A cette époque,

l’activité touristique est balbutiante, la fréquentation étant estimée à 14 450 en 1974 (Picard, 2001).

La multiplication des usages marins et côtiers entraîne rapidement l’émergence des premiers

conflits, notamment entre « petits pêcheurs du lagon » et chasseurs sous-marins. Leur résolution

est l’occasion, pour les pouvoirs publics, de prendre position en promulguant le véritable premier

acte de gestion du milieu. En 1976, deux arrêtés préfectoraux sont signés, le premier interdisant la

chasse sous-marine sur l’ensemble de l’île, trois mois par an du 1er octobre au 1er janvier (Arrêté du

25 Mai 1976), le second réglementant tous les types de pêche côtière (Arrêté du 21 Juillet 1976).

Ainsi le ramassage de corail et de coquillages vivants (sauf pour les moules et les oursins) devient-il

prohibé. Il en va de même des utilisations de la dynamite et de filets pour les pêcheurs à pied,

excepté pour les engins fixes. Les marins dits « professionnels » gardent le droit de pêcher au filet

dans les lagons pour capturer des appâts vivants. Quant aux capucins nains, espèce de Mullidés très

recherchée, elle fait l’objet d’une autorisation de capture nominale, octroyée préférentiellement aux

marins professionnels (David et al., 2005).

C’est dans ce contexte que les premières études en écologie récifale sont menées, notamment à

travers les thèses de Bouchon et Ribes en 1978. Ces études sont concordantes : l’écosystème récifal

se modifie. Les algues progressent au détriment des formations coralliennes. La proliférations

anormales d’éponges et d’oursins est un signe d’un changement de la qualité des eaux du lagon,

imputé à la pression anthropique grandissante sur ce milieu (Bouchon, 1978 ; Ribes, 1978). Les

scientifiques commencent alors à multiplier les messages d’alerte à destination des pouvoirs publics

et profitent des Etats généraux de l’environnement de La Réunion de 1982, déclinaison locale des

Etats généraux de l’environnement nationaux, pour apporter une contribution remarquée au « Livre

blanc de l’environnement » (Anonyme, 1982).

2. De 1982 à 1992 : Appropriation locale des problématiques de conservation

La parution du livre blanc de l’environnement concorde avec l’inauguration du laboratoire

d’écologie marine, Ecomar, à l’Université de La Réunion. Par ce biais, les études universitaires sur

l’écologie des récifs se multiplient et les messages d’alerte quant à la dégradation de l’écosystème

s’amplifient (Faure, 1982 ; Guillaume et al., 1983 ; Cuet et al., 1988 ; Naïm, 1989 ; Amanieu et al.,

1993). Des évènements climatiques d’envergure tel que le cyclone Firinga en 1989, engendrent des

modifications dans la structure des communautés benthiques (Guillaume et al., 1983) et provoquent

une mortalité massive (plus de 99%) des coraux des lagons de Saint-Leu et Saint-Pierre (Letourneur

et Chabanet, 1993). Ces changements profonds des communautés coralliennes entraînent des

modifications sur l’organisation structurale des peuplements ichtyologiques (Chabanet et al., 1995) et

en particulier sur celle des jeunes poissons particulièrement vulnérables à la destruction de leur

habitat (Chabanet et Letourneur, 1995).

La fin des années 1980 est également la période au cours de laquelle les activités nautiques

connaissent un véritable essor. L’ouverture de clubs de surf dès 1984 et la création de la Ligue

de surf réunionnaise en 1986 participent à la démocratisation du sport et à la multiplication des

compétitions (Thomassin et Havard, 2008). De même, les clubs de plongée sous-marine se

professionnalisent, en passant du statut associatif courant dans les années 1980 au statut privé, et se

multiplient (Louze, 2007), tandis que l’activité wind-surf se développe progressivement et que la

fréquentation touristique ne cesse d’augmenter.

Les dégradations avérées de l’écosystème corallien et la multiplication des usages posent alors la

douloureuse question de l’équilibre entre la valorisation économique du milieu récifal et sa

protection. En témoigne l’antagonisme des décisions prises à ce sujet par les pouvoirs publics. D’un

71

côté, ces derniers s’approprient progressivement la question de la protection des milieux récifaux et

se saisissent du dossier. Le Conseil Régional de La Réunion jour alors un rôle moteur en

proposant trois actions majeures (David et al., 2005) :

la mise en place d’un réseau de collecte des eaux usées sur l’ensemble des communes du littoral

occidental de la Réunion et la construction de quatre stations d’épuration ;

l’organisation d’une campagne de sensibilisation des usagers du lagon, qui donne lieu à la

publication d’un ouvrage de vulgarisation destiné aux enfants "Le monde merveilleux du récif à la

Réunion" (Gabrié, 1987);

une étude relative à l’aménagement et à la gestion des milieux récifaux de l’île de la Réunion

(Gabrié et al., 1989) qui sera, par la suite, intégrée au futur Schéma de Mise en Valeur de la Mer

(SMVM).

D’un autre, ils tentent de transformer l’espace récifal en un espace rêvé, à destination de la clientèle

touristique. Ainsi, sous l’impulsion du Comité du Tourisme de La Réunion (CTR) créé en 1989, le

calibrage régulier des plages, pour ôter tout débris corallien pouvant nuire au confort des touristes

et usagers locaux, est-il organisé, occasionnant un amaigrissement significatif des stocks de sable et

une érosion importante du linéaire côtier.

Pour peser dans les choix d’actions publiques, les scientifiques, soutenus par la société civile, se

regroupent en association en créant notamment l’ONG environnementale Vie Océane en 1991.

Cette dernière devient un vecteur de diffusion de l’information scientifique tout en représentant une

force d’opposition à des projets jugés dangereux pour la préservation du milieu naturel. Rapidement,

l’association rentre ainsi en conflit avec les institutions représentant les opérateurs touristiques et

dénonce les pratiques de certains chasseurs sous-marins.

Face à ce difficile équilibrage entre valorisation économique et protection des milieux récifaux et

sous la pression des associations de protection de l’environnement, le Conseil Régional et la souspréfecture

de Saint-Paul organisent, en décembre 1991, un colloque intitulé « Protection des

lagons ». Ouvert à l’ensemble des acteurs du littoral, il leur permet de prendre connaissance des

dangers qui menacent les récifs de la Réunion et de débattre des solutions pour réduire ces menaces

(Thiaville, 1992). C’est à l’issue de ce colloque qu’est prise la décision de créer une aire marine

protégée englobant les 25 km de littoral corallien de l’île.

3. De 1992 à 1997 : Un parc marin « papier »

Dans la continuité du colloque « Protection des lagons », l’arrêté préfectoral n°353 DICV/3 du

28 Février 1992 vient modifier ceux de 1976 en instaurant des réserves de pêche englobant

l’ensemble des lagons de l’île ainsi que les deux zones de pente externe jusqu’à 50m de profondeur

(du Cap La Houssaye jusqu’à la Pointe de Boucan et du port de Saint-Gilles jusqu’à la ravine de Trois

Bassins). A l’intérieur de ces réserves, toute pêche est interdite sauf la pêche à la ligne, à pied. (Figure

4-2)

Cet arrêté instaure ce qui a longtemps été appelé le Parc marin, expression tirée du nom de

l’association en charge de son application, qu’il était prévu de créer en même temps : l’Association du

Parc Marin de La Réunion (APMR). Cette dernière ne fut créée que le 17 Juillet 1997, 5 ans plus

tard, reléguant au placard les espoirs des scientifiques de voir enfin une réglementation des pêches

côtières s’appliquer. Sans surveillance efficace, le Parc marin reste au stade de l’AMP « papier » et ne

modifie aucunement les pratiques et les comportements. Il faut dire que la décision de créer un Parc

Marin a été prise sans qu’aucune association ni participation des usagers locaux n’ait été menée.

Aux dires des associations de protection de l’environnement Vie Océane, Ecologie Réunion et la

Société Réunionnaise pour l’Etude et la Protection de l’Environnement (SREPEN), exprimés dans une

lettre ouverte au Ministre de l’environnement envoyée le 12 mars 1997, ce retard s’explique par « la

frilosité d’un représentant sous-préfectoral » et par la succession de fonctionnaires d’état ne sachant pas

« tenir compte de l’investissement de leurs prédécesseurs ». Ainsi, afin d’accompagner le processus de

72

création du Parc et de l’APMR, un comité de pilotage « Parc Marin » d’une cinquantaine de membres

est constitué. Regroupant des élus, des scientifiques, des juristes des responsables du monde socioprofessionnel,

ce comité a pour objectif de définir les contours d’un consensus institutionnel quant à

la création de cette AMP. Il est appuyé par un groupe d’experts techniques. Au total, une soixantaine

de réunions sera nécessaire de 1994 à 1997 avant d’aboutir à la création de l’APMR, association du

type loi 1901, qui regroupe sept communes littorales et dont l’espace de gestion est constitué des

milieux coralliens de chacune d’elles.

En parallèle, les bureaux d’études BCEOM et IARE sont chargés d’analyser la faisabilité du projet.

La présentation des résultats de cette étude en Décembre 1994 expose la nécessité de faire évoluer

les statuts de l’APMR vers ceux d’un syndicat mixte, permettant ainsi de consolider la structure. Il est

également proposé que son espace de gestion acquiert une pérennité garantie par le Gouvernement

français via un statut de Réserve Marine, à défaut du statut de parc naturel régional, trop complexe à

mettre en oeuvre dans le cadre du milieu récifal de la Réunion (David et al., 2005). Le statut de

Réserve Marine permettrait en effet de passer d’une simple, mais stricte, réglementation des usages

associée au statut du Parc marin de La Réunion, à un espace officiellement réglementé autour d’un

zonage des activités.

4. De 1997 à 2007 : Du Parc marin à la Réserve Naturelle Marine de La Réunion

L’année 1997 marque un tournant important dans l’histoire de la protection de l’écosystème

récifal de La Réunion.

Tout d’abord, elle voit finalement aboutir les réflexions et négociations engagées cinq ans

auparavant, avec la création officielle de l’APMR. Constituée d’une équipe opérationnelle (trois

cadres et 9 écogardes), l’association avait en charge d’engager des actions concrètes en faveur de la

protection des récifs, de type : mise en place d’un sentier sous-marin, installation de bouées

d’amarrage, création d’un programme d’éducation et de sensibilisation du grand public mais

également dans les écoles. Le second volet d’intervention de l’APMR concernait la surveillance du

milieu, en vue du respect de l’arrêté de 1992 relatif aux réserves de pêche. Bien que dénués de

pouvoir d’assermentation, le recrutement d’écogardes a rendu officielle la réglementation de l’arrêté

de 1992. Les rondes régulières sur le terrain et les sanctions appliquées à certaines pratiques ont

permis de rendre bien réelle l’ancienne « AMP papier » aux yeux des usagers, tout en faisant naître

les tensions et les conflits qui vont avec.

En outre, l’année 1997 marque le début de la structuration d’un réseau de suivi de l’état de

santé des récifs coralliens à l’échelle de la région sud-ouest de l’océan Indien. Fédéré sous

l’impulsion de la COI à travers le Programme Régional Environnement (PRE-COI, 1995-2000), ce

réseau régional a bénéficié du rôle moteur de La Réunion, en termes d’expertise et d’expérience. En

parallèle, un réseau local, appelé « réseau récif », regroupant les collectivités locales, l’état, les

scientifiques et les associations, s’est effectivement structuré autour du laboratoire ECOMAR de

l’Université, de l’Association Recherche Valorisation Marine (ARVAM), puis, par la suite, de l’APMR.

Le Réunion a joué un rôle très actif dans ce réseau en élaborant notamment un guide de suivi des

récifs coralliens (Conand et al., 1998). L’objectif de ces réseaux est de suivre régulièrement l’état de

santé des récifs coralliens par des méthodes relativement simples, qui puissent être mises en place

dans l’ensemble des pays de la zone. Ainsi, en 1999, le réseau régional créé pendant le PRE-COI est

officiellement reconnu comme « noeud régional » du Global Coral Reef Monitoring Network (GCRMN)

pour la région sud-ouest de l’océan Indien (Chabanet, 2005). Cette structuration avait déjà été

proposée en 1997 par B. Salvat et C.I. Wilkinson lors du colloque « L’Homme et le Récif » à Nosy

Bé.

La décennie 1997-2007 voit progressivement s’intensifier les différents usages du milieu marin,

que ce soit en termes de pêche ou d’activités nautiques. Avec l’ouverture d’un second aéroport à

Saint-Pierre en 1998, la fréquentation touristique de l’île s’intensifie, avec plus de 370 000 visiteurs en

1998. En 2000, le chiffre d’affaire du tourisme dépasse celui de l’industrie sucrière locale et les

73

autorités sont rapidement confrontées à de nouveaux problèmes comme la gestion du foncier et

l’articulation du tourisme et de la culture locale. De nouvelles pratiques apparaissent également.

C’est le cas du kite-surf, qui fait son apparition à La Réunion dans les années 2000 et qui ne cesse,

depuis, d’avoir des adeptes.

Parallèlement, un premier bilan de l’état de santé des récifs coralliens est dressé à partir des

résultats de suivi des différents réseaux entre 1998 et 2006. Globalement, l’évolution des

peuplements benthiques montre un accroissement de la couverture algale aussi bien sur les platiers

que sur les pentes externes. Cependant, si la couverture en corail vivant diminue sur les pentes

externes, aucune évolution particulière n’est à noter sur les platiers. Concernant les ressources

ichtyologiques, les abondances ont fortement augmenté en 2002 sur les platiers, en raison d’un

recrutement exceptionnel. Suite à cela, l’abondance globale sur les pentes externes augmente

également puis se stabilise. Globalement les prédateurs de haut niveau trophique et notamment les

piscivores sont très peu abondants, voire absents, ce qui est caractéristiques des milieux fortement

exploités par les activités halieutiques (Tessier et al., 2008).

En toile de fond, un long processus de concertation entre les différents acteurs du milieu

marin est mené successivement par l’APMR et la DIREN, en vue de l’obtention d’un statut

officiellement reconnu pour l’AMP et son futur gestionnaire. L’analyse des choix de concertation

durant cette période est riche d’enseignements pour comprendre les stratégies et les logiques

actuelles de certains acteurs. Nous consacrerons donc un paragraphe particulier à cette analyse, au

Chapitre 4 de la deuxième partie. Il n’en reste pas moins que l’option prise pour parvenir à protéger

le milieu est celle de la consultation et de la participation de la plupart des usagers de l’espace marin.

Les manifestations à répétition de certains d’entre eux ont montré qu’une décision arbitraire ne

pouvait garantir l’efficacité de la protection et qu’il était donc nécessaire de tenir compte des

pratiques et attentes de ces derniers. Cette concertation est ponctuée, en 2000, par l’acceptation

officielle de la demande de prise en considération du projet et se conclut, le 21 Février 2007, par la

signature du décret n°2007-236 de création de la Réserve Naturelle Marine de La Réunion

(RNM) (Annexe A). Son périmètre s’étend du Cap la Houssaye au nord jusqu’à la Roche aux oiseaux

au sud, soit un linéaire côtier d’environ 40 km, au droit des communes de Saint-Paul, Trois-Bassins,

Saint-Leu, Les Avirons et Etang-Salé (Figure 2-4). Il englobe le domaine public maritime depuis la

laisse des hautes mers jusqu’à une profondeur comprise entre -15 m et -110 m et couvre ainsi les

zones de platier récifal et d’arrière récif, appelées localement « lagon », ainsi que la pente externe. Sa

largeur varie ainsi de 300 m à 1600 m, avec une moyenne de 1 km. Au total, la RNM couvre une

surface de 3 500 ha environ, ce qui en fait le plus grand espace marin corallien classé en réserve

naturelle du territoire national33. Sept objectifs lui sont assignés :

restaurer la qualité des écosystèmes coralliens et préserver le patrimoine marin de l’île ;

réguler et structurer les usages ;

valoriser durablement les activités économiques (tourisme, nautisme, pêche) ;

protéger les côtes sableuses contre l’érosion ;

développer une image forte de qualité du littoral et du milieu corallien ;

ouvrir des pistes de nouveaux métiers et d’insertion sociale et économique ;

inciter à une meilleure gestion des actions sur le bassin-versant.

Pour parvenir à remplir ces objectifs, trois niveaux de réglementation ont été insaturés au

sein de la RNM :

Le niveau 1 concerne la réglementation générale applicable à l’ensemble du territoire de la RNM.

Certains usages comme la pêche de loisir de nuit, le jet ski, le mouillage à moins de 30m de fond

ou l’utilisation de techniques de pêche destructives y sont interdits.

Le niveau 2 correspond aux zones de protection renforcée qui représentent 45% de la superficie

totale de la RNM. En plus des règles de niveau 1, les activités extractives y sont strictement

33 http://www.reunion.ecologie.gouv.fr/rubrique.php3?id_rubrique=2#historique

74

encadrées voire interdites. Ainsi la pêche sous-marine, la pêche de loisir ou la pêche à la ligne en

dehors des côtes rocheuses et des plages de sable noir sont-elles interdites. En revanche, la

pratique de certaines pêches traditionnelles peut être réglementée par arrêté préfectoral et 20%

des zones de niveau 2 sont réservées à la pratique de la pêche professionnelle (zone 2b).

Le niveau 3 concerne les zones de protection intégrale dans lesquelles toute activité humaine est

interdite. Ces zones ont vacation à permettre le repeuplement rapide des récifs.

Figure 2-4 : Aires Marines Protégées et Réserve Naturelle Marine à La Réunion

5. Depuis 2007 : Vers l’élaboration d’un plan de gestion pour la RNM

Malgré l’effort de concertation engagé, l’accueil du décret de création de la RNM est loin de faire

l’unanimité parmi les usagers locaux. La signature du texte réveille en effet, de nombreuses

revendications en particulier chez les pêcheurs traditionnels et les chasseurs sous-marins et

occasionne de vives manifestations de protestation. Il faut dire que le décret est signé alors qu’il

persiste encore de nombreux désaccords notamment sur le zonage de la future RNM. Les usagers ne

75

retrouvent pas leurs propositions dans la délimitation finale décrétée et estiment ne pas avoir été

véritablement écoutés. Nous reviendrons plus en détails sur cet épisode dans le Chapitre 4 de la

deuxième Partie. Quoiqu’il en soit, le processus de concertation engagé est perçu comme une simple

consultation par les acteurs tant la décision finale leur apparaît arbitraire.

Face à ces désaccords et en prévision d’oppositions de la part de certains, le décret de création

de la RNM a délibérément laissé le soin au préfet de réglementer localement certains usages par le

biais d’arrêtés. A partir de 2007, la Préfecture, la DIREN et l’APMR sont donc chargées de

déterminer ces règlementations locales en concertation avec les différents usagers.

En parallèle, l’année 2007 est aussi l’occasion de mettre en places les instances de

gouvernance de cette RNM. Non sans mal, l’APMR est désignée pour devenir gestionnaire sous le

statut de Groupement d’Intérêt Public – Réserve Naturelle Marine de La Réunion (GIP-RNMR). Pour

l’aider dans sa mission, un Comité consultatif et un Comité scientifique sont également créés. La mise

en place de ces instances est le sujet d’âpres négociations sur lesquels nous reviendrons également

dans le Chapitre 4 de la deuxième partie.

Enfin, dans la continuité de la création de la RNM, le large chantier de l’élaboration du plan de

gestion s’ouvre. Prévue sur trois ans, la procédure repose sur trois phases successives. Une phase

de diagnostic devant faire l’objet d’un « Etat 0 » écologique et d’un « Etat 0 » socio-économique

(Thomassin et David, 2009). Ces études ont vocation à dresser un portrait de la RNM à l’heure de sa

création dans le but de détecter ses atouts et ses faiblesses et de créer des indicateurs permettant

d’évaluer « l’effet réserve ». Ce diagnostic est suivi par une nouvelle phase de concertation avec

l’ensemble des acteurs pour identifier avec eux, les actions qu’ils souhaitent mettre en place pour

combler les lacunes relevées. Enfin, il s’agit de rédiger ce plan de gestion et de la faire valider par le

préfet. Le premier plan de gestion de la RNM est prévu début 2011 et couvrira une période de 5 ans.

L’histoire de la protection de l’environnement récifal à La Réunion, résumée par la Figure 2-5,

montre que les logiques de conservation sous-jacentes se sont succédées au gré des expériences.

Jusqu’en 1997, les décisions ne suivaient que les recommandations des scientifiques. Prises sans

concertation aucune, elles visaient à exclure arbitrairement tout usage susceptible de dégrader l’état

du milieu récifal. De 1997 à 2007, un processus de concertation a tenté de se mettre en place en vue

de la création de la RNM. Si de nombreuses réunions avec différents types d’usagers ont

effectivement eu lieu, au cours desquelles ceux-ci pouvaient donner leur vision de la future

réglementation du milieu, le décret final n’a semble-t-il pas satisfait les attentes de certains. Cette

tentative de concertation peut donc se rapprocher d’une phase d’association des usagers locaux sans

que l’ensemble de leurs opinions soient réellement prises en compte. En revanche, depuis 2007 et en

vue de l’élaboration du Plan de Gestion de la RNM, l’option prise est celle de la concertation.

L’expérience réunionnaise est unique en son genre à l’échelle nationale. Jusqu’alors, aucune AMP

française n’avait donné autant de place à la consultation et à la négociation avec les usagers locaux.

Manquant de recul, l’expérience peut sembler laborieuse et longue à déboucher sur la mise en place

effective d’un outil de protection. Elle constitue pour autant, une démarche pilote en France comme

à l’échelle du sud-ouest de l’océan Indien. En témoigne l’importance de la place accordée à la

dimension humaine dans la gouvernance de la RNM, symbolisée par la réalisation d’un « état 0 »

socio-économique à mettre en parallèle avec « l’état 0 » écologique pour guider l’élaboration du plan

de gestion, initiative jusqu’alors inexistante dans l’ensemble des AMPS existantes sur la planète.

76

Figure 2-5 : Frise chronologique de la mise en place de la RNM à La Réunion

2.3 Le modèle « Conservation – Participation » : Les AMPs des

Comores et de Rodrigues

a) Le Parc Marin de Mohéli : unique AMP des Comores

L’Union des Comores regroupe trois îles de l’archipel des Comores : la Grande Comore (1148

km²), Anjouan (424 km²) et Mohéli (290 km²). La quatrième île de l’archipel, Mayotte, possède le

statut français de département d’outre-mer. Située à l’entrée nord du canal du Mozambique,

l’archipel représente un site important pour la biodiversité terrestre et marine mondiale, tant les

écosystèmes présents sont riches et diversifiés. On trouve ainsi des milliers d’espèces floristiques et

faunistiques possédant un fort taux d’endémisme comme la chauve-souris de Livingstone, le dugong,

le pigeon des Comores, ou encore la tortue verte (Chelonia mydas) et le coelacanthe. Au total, 21 de

ces espèces figurent sur la Liste Rouge de l’UICN des oiseaux, mammifères et reptiles en danger.

La pauvreté de la population comorienne, estimée à environ 750 000 habitants en 2008,

contraste avec cette grande richesse biologique. La pêche artisanale et l’agriculture de subsistance

jouent un rôle essentiel dans l’alimentation des habitants. La population est essentiellement

concentrée sur le littoral et les activités anthropiques font ainsi subir de nombreuses pressions à

l’environnement marin et côtier. On pense notamment à la déforestation à des fins agricoles, à

l’extraction du sable des plages à des fins de construction ou à l’utilisation des techniques de pêche

destructives. Les côtes de l’archipel, d’origine volcanique, abritent pourtant des habitats riches et

variés tels que des récifs coralliens, des plages, des falaises de lave et des mangroves.

77

Dès 1993, le gouvernement des Comores élabore une Politique Nationale de l’Environnement

qui se traduit par l’approbation, en 1994, du Plan d’action environnemental et la promulgation, en

1995, d’une Loi-cadre relative à l’environnement. De 1995 à 2000, le Programme Régional

Environnement de la COI (PRE-COI) permet d’établir un bilan global des enjeux environnementaux

nationaux, de mener une action continue de sensibilisation des populations et d’établir un atlas

détaillé des ressources marines. En parallèle, le pays ratifie de nombreuses conventions

internationales et régionales mais peu d’initiatives mettant en oeuvre ses engagements ne voient le

jour (Paris, 2003).

Ce n’est qu’avec le projet « Conservation de la biodiversité et développement durable aux

Comores », financé par le Fond Français pour l’Environnement Mondial (FFEM), le PNUD et le

Gouvernement des Comores, et initié en 1998 pour une durée de 5 ans, que l’unique AMP des

Comores est créée. Conduit par la Direction générale de l’environnement avec l’assistance technique

de l’IUCN, le principal résultat de ce projet est la création du Parc Marin de Mohéli (PMM), institué

par décret ministériel en 2001 (Décret n° 01-053/CE) et géré par des accords de co-gestion avec

l’ensemble des villages concernés (Figure 2-6).

Figure 2-6 : Le Parc Marin de Mohéli, unique aire marine protégée des Comores

78

D’autres projets d’AMPs existent mais stagnent depuis plusieurs années. L’étude de faisabilité

pour la création d’un Parc régional marin pour le Coelacanthe sur la côte sud-ouest de la Grande

Comore a ainsi été réalisée en 2000, sans suite (Chaboud et al., 2000). De même, la création d’un

parc marin à Bimbini sur l’île d’Anjouan a longtemps été évoquée sans que le projet ne soit

réellement enclenché.

La zone sud de l’île de Mohéli, incluant les îlots de Nioumachoa, est connue dans l’ensemble de

l’archipel comme étant la plus poissonneuse des Comores. Il y existe en effet une diversité des

écosystèmes qui favorise le recrutement des larves et la reproduction des espèces halieutiques. La

côte est une succession de plages et de zones rocheuses avec quelques zones de mangroves. Un récif

de type frangeant longe toute la côte et entoure les sept îlots situés face au village de Nioumachoa.

Contrairement aux autres zones marines des Comores qui atteignent de grandes profondeurs près

des côtes, le plateau continental de cette zone s’étend jusqu’à une distance de 15 km des côtes

(Paris, 2003). La qualité exceptionnelle de la biodiversité de cette région a été confirmée par

plusieurs études dont celle de l’Université d’Edinburgh, réalisée en 2002, ayant identifié quelques 275

espèces de poissons, 110 espèces d’invertébrés et une vingtaine de familles de coraux (EUCARE,

2002). En outre, les plages de la zone constituent un des sites de ponte les plus importants au monde

pour la ponte des tortues vertes. Certains îlots abritent des colonies d’oiseaux marins tels que les

sternes noddy (Anous stolidus), les sternes fuligineuses (Sterna fuscata) et des fous (Sula sula, Sula

dactylatra). Enfin, de juillet à octobre, on peut observer de nombreuses baleines à bosse (Megaptera

novaengliae), des dauphins à long bec (Stenella longirostris) et quelques dugongs (Dugong dugon) (Photo

2-3).

Photo 2-3 : Richesse paysagère et biodiversité dans la région du parc marin de Mohéli

(Clichés : A Thomassin, 2009)

Fort de cette biodiversité et de cette richesse paysagère, la zone marine de Mohéli est désignée

comme prioritaire pour l’établissement d’une aire protégée depuis 1988 et a fait l’objet de nombreux

79

rapports recommandant l’urgence de sa protection (De Rham, 1988 ; Bruton et al., 1989 ; Jamar de

Bolsée, 1994 ; Tilot, 1994). A cette époque, l’objectif prioritaire est la protection des tortues vertes

au titre de leur statut d’espèce emblématique ainsi que de leurs sites de ponte. Les îlots de

Nioumachoa sont désignés par les scientifiques comme les sites prioritaires à protéger et sont classés

dès 1991 en réserve de pêche. Cependant, l’état des lieux environnemental et socio-économique

dressé au cours du PRE-COI montre que d’autres sites méritent également une protection tant pour

leur forte fréquentation par les tortues, que pour la motivation exprimée par les villageois à

s’engager dans la protection de leur environnement. C’est le cas du village d’Itsamia, situé à l’extrême

sud-est de l’île, qui est rapidement désigné village-pilote du projet et qui bénéficie de la construction

de la Maison de la Tortue, de formations pour les jeunes en écologie des tortues et d’un

recensement fin des sites de ponte. Il ressort également de ce diagnostic une diminution des stocks

de poissons récifaux dans l’ensemble des villages de la côte sud de l’île, poissons pourtant vitaux pour

les populations locales. Ainsi, lorsque le projet « Conservation de la Biodiversité et Développement

durable aux Comores » débute en 1998, l’espace retenu pour la future AMP est bien plus vaste et

couvre l’ensemble du territoire maritime des dix villages occupant la partie méridionale de l’île

(David et al., 2003). L’objectif n’est plus centré uniquement sur la protection de la Tortue verte mais

est élargit au développement durable des villages.

Dès le départ, le Gouvernement comorien a souhaité que la future AMP repose sur des

accords de co-gestion afin de veiller à l’intégration et la participation de l’ensemble des villageois. Il

faut dire que la structure villageoise mohélienne, organisée systématiquement autour d’une

association de développement, légalement constituée ou non, est propice à la gestion collaborative.

En outre, avant même le démarrage du projet d’AMP, la plupart de ces associations s’était dotée de

sections environnementales appelées « Ulanga ». Ainsi, de janvier 1999 jusqu’à la signature des

accords de co-gestion fin 2001, de nombreuses rencontres et de visites de terrain ont été organisées

avec les pêcheurs, les associations villageoises et, d’une façon générale, les communautés villageoises

des dix villages riverains. Cette concertation s’est organisée en trois phases (Paris, 2003):

Il s’est agit tout d’abord de collecter des données de base sur l’état et l’utilisation des ressources

naturelles, la réglementation locale, la structure organisationnelle des villages, etc. Cette

première phase a été l’occasion de consulter l’ensemble des groupes sociaux des villages

(notables, femmes, jeunes, pêcheurs, agriculteurs, éleveurs, associations, chef de village) et

d’organiser des sorties en mer et en forêt avec les villageois ;

La seconde phase avait pour but de discuter de la réglementation envisagée pour la future AMP,

sur la base de la réglementation locale déjà existante et selon les propositions des associations et

des pêcheurs. Une journée a été consacrée à la délimitation d’une réserve en compagnie des

pêcheurs et des membres de l’association villageoise ;

Enfin, des réunions de restitution ont été organisées dans chacun des villages pour présenter la

situation actuelle et valider les propositions discutées.

L’ensemble du processus de concertation mené en amont du PMM, fait preuve d’exemplarité

en termes de gestion communautaire pour l’ensemble des pays de la région. L’initiative a

d’ailleurs été récompensée par le Prix Equateur en 2002, lors du Sommet de Johannesburg.

Elle débouche donc par la création du PMM le 19 Avril 2001. D’une superficie de 404 000

hectares, le parc s’étend du rivage jusqu’à l’isobathe des 100m. Il englobe également l’ensemble des

terroirs villageois des 10 villages concernés, regroupant environ 10 000 habitants dont 285 pêcheurs

pluri-actifs (Gabrié, 2003). Dix réserves de pêche, représentant 5,5% de la superficie du parc, où tout

prélèvement est proscrit, ont été créées sur les propositions des pêcheurs de chaque village (Figure

2-6). L’objectif de PMM est d’assurer la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine

et côtière, notamment les ressources halieutiques, et de favoriser le développement de

l’écotourisme. Sous la tutelle du ministre chargé de l’environnement, le PMM est administré par un

organe délibérant, le comité de gestion, et un organe exécutif représenté par l’équipe du parc. Le

comité de gestion a été constitué conformément aux intentions de gestion communautaire. Il est

composé du secrétaire général du gouvernorat de l’île de Mohéli qui joue le rôle de Président, d’un

80

représentant de chacun des 10 villages, du directeur régional en charge de l’environnement, du

directeur régional en charge du tourisme, d’un représentant de la gendarmerie, d’un représentant

des opérateurs touristiques et d’un représentant des agents du parc. L’équipe du parc est constituée

du Conservateur, de 12 écogardes (un pour chaque village à l’exception de Nioumachoa et d’Itsamia

qui en comptent deux), d’un chargé de mission sur les ressources halieutiques, d’un chargé de

mission sur l’écotourisme et d’un assistant administratif et financier.

Avec la fin du projet « Conservation de la Biodiversité et Développement Durable aux

Comores », les financements du FFEM et du PNUD sont interrompus courant 2003. Malgré un franc

succès au démarrage, le PMM entame alors une douloureuse période durant laquelle les espoirs

et les ambitions des villageois ont tendance à s’écrouler. L’absence de financements pérennes

entraîne l’arrêt de la rémunération des écogardes et le ralentissement progressif des actions du parc.

L’onde de déception gagne rapidement les villages qui, par manque d’entretien, voient se dégrader les

structures d’hébergement écotouristiques et, de fait, diminuer la fréquentation touristique.

Cependant, la relance du projet porté par la COI de création d’un réseau régional d’AMPs,

courant 2005, a permis de redonner espoir à l’équipe du PMM par le biais de financements ponctuels.

Dans le cadre de la composante 2 du projet, le PMM a été identifié pour des interventions

d’urgence et a fait notamment l’objet de soutiens financiers et humains pour l’élaboration de son

plan de gestion. Ce document, attendu courant 2010, devrait être l’occasion de relancer l’activité du

parc et de remobiliser les forces vives au sein des différents villages.

b) Les AMPs de l’île Rodrigues

Avec ses 90 km de récif frangeant et son lagon de plus de 250 km² de surface, s’écartant entre 20

m et 7 km des côtes, Rodrigues est la plus vieille des trois îles composant l’archipel des Mascareignes.

D’origine volcanique, l’île repose sur un vaste plateau insulaire mesurant 55 km de long et 30 km de

large ce qui offre des conditions idéales pour le développement de complexes récifaux. L’île se

trouve en effet ceinturée d’un récif corallien frangeant d’étendue variable, pouvant aller de 50m à

8km. On trouve également un récif barrière à l’ouest. Au total, l’appareil récifal s’étend sur une

superficie de 200 km² (Photo 2-4). La faible étendue et l’altitude modérée de l’île (386m. au Mont

Limon) ne sauraient conditionner une opposition de régime notable entre les versants occidental et

oriental ce qui explique que le complexe récifal se soit développé tout autour de l’île (Faure et

Montaggioni, 1971).

Située à 600km à l’Est de l’île Maurice, Rodrigues y est rattaché politiquement depuis son

indépendance en 1968. Elle obtient une autonomie administrative en novembre 2001, Ce nouveau

statut lui offre un système de gouvernement décentralisé, lui procurant le droit de promulguer des

lois et des réglementations relatives aux affaires intérieures, mais il continue à être soumis aux lois

mauriciennes. L’autonomie est réellement mise en vigueur avec l’élection en janvier 2003 du chef

Commissaire Serge Clair, à la tête de l’Assemblée Régionale de Rodrigues (Puech, 2003).

Au 1 Juillet 2009, le Central Statistics Office (CSO) de Maurice estime la population rodriguaise à

37 748 personnes. L’économie de l’île repose essentiellement sur le secteur primaire. L’agriculture,

destinée au marché locale et à l’exportation, souffre de deux problèmes majeurs causés par les

vagues de grave déforestation qu’a subies l’île (Photo 2-4): l’érosion qui a lessivé les sols et

gravement endommagé le potentiel agricole des terres et les redoutables périodes de sécheresse qui

handicapent lourdement l’agriculture pluviale (Jauze, 1998). Des programmes de terrassements de

pentes ont été lancés en 1955 mais ont rencontré des difficultés notamment à cause de la divagation

des troupeaux. La pêche est le secteur d’activité qui procure le plus d’emplois sur l’île. Le Fisheries

Protection Service (FPS) dénombre environ 2000 pêcheurs enregistrés et estime le nombre de

pêcheurs non enregistré également à 2000. Pour ce qui est des pêcheuses de poulpes, appelées

localement « piqueuses d’ourites », elles sont estimées à plus de 500 personnes. Ce sont ainsi 10%

de la population rodriguaise qui se trouvent impliqués dans la pêche artisanale. Cette dernière reste

essentiellement concentrée dans le lagon. La faible étendue de la zone productive à l’extérieur de la

81

barrière, la présence de forts vents dominants et le manque de bateaux adéquats sont autant de

facteurs expliquant le faible développement de la pêche hors-lagon (Photo 2-4).

Photo 2-4 : Paysages rodriguais et pratiques de pêche dans le lagon

(Cliché : A. Thomassin, 2006)

Le tourisme reste, tout de même, un secteur économique prometteur en matière de

développement local. L’activité touristique de l’île a commencé à se développer au début des années

1990. Les statistiques officielles comptabilisent 13 110 visiteurs en 1990, 24 150 en 1995, 50 000 en

2000, 63 500 en 2003 puis 53 500 en 2005 (Ministery of Economic Development et Financial Service

and Corporate affairs, 2006). Mais l’essor de ces pratiques dépend du maintien de la biodiversité

marine, qui se trouve aujourd’hui menacée par la sur-pêche et les pratiques de pêches destructrices.

Rappelons que le lagon souffre également d’une importante sédimentation causée par la

déforestation, qui accentue le ruissellement et l’érosion des sols.

Dès le début du XXe siècle, les premières alertes concernant la sur-pêche sont émises. En 1988,

Pearson estimait les prises issues de la pêche à la senne à près de 1500 kg de poissons par jour

(Jacob, 2005), tandis qu’en 2003, les prises n’atteignent plus que 240 kg par jour (Lynch et al., 2003).

Avec l’introduction de la prime de mauvais temps (bad weather allowance) dans les années 1990,

l’effort de pêche augmente. Reposant sur la volonté de venir en aide aux populations de pêcheurs

dont les revenus étaient fortement dépendants des fluctuations du climat, cette mesure a eu des

effets pervers en incitant les pêcheurs à effectuer assez de sorties dans l’année pour être éligibles.

On assiste donc à des sorties, particulièrement pour les pêcheuses de poulpes, uniquement motivées

par la nécessité d’obtenir la prime de mauvais temps. Ces dernières sont ainsi encouragées à sortir

82

en période de mortes-eaux, lorsque la mer est trop profonde pour espérer parvenir à pêcher le

poulpe, et augmentent donc le stress sur le milieu marin sans pour autant pêcher plus (Jacob, 2005).

Face à la dégradation du milieu et à la diminution des stocks pêchés, différentes mesures visant à

protéger les ressources ont été prises par l’Assemblée régionale de Rodrigues. Ainsi, cinq réserves

de pêche couvrant au total environ 1500 hectares, dans lesquelles la pratique de la pêche à la senne

est strictement interdite, ont-elles été instaurées en 1984 avec le Fisheries Act 1975. De plus, la

pêche au fusil est strictement prohibée, la taille maximale des mailles des filets est limitée à 9 cm et la

pêche à la senne n’est autorisée qu’entre le 1er Mars et le 31 Octobre sauf, bien entendu, dans les

réserves de pêche. Le gouvernement a également instauré une politique d’incitation à l’arrêt de la

pêche à la senne en proposant un forfait pour le rachat des filets. Enfin, l’Assemblée Régionale de

Rodrigues et Shoals Rodrigues (ONG Britannique) ont voté début 2007 le projet de création de 4

réserves marines dans le nord du lagon : Rivière Banane, Anse aux Anglais/Passe Cabri, Grand

Bassin et Passe Demi. Un projet parallèle, intitulé South East Marine Protected Area (SEMPA),

est mené dans le sud de l’île par le PNUD et le gouvernement mauricien. Financé par le GEF et

l’Assemblée Régionale de Rodrigues, il a abouti récemment, en Février 2009, à la création d’une AMP

s’étendant du village de Graviers à l’est à la Pointe Corail à l’ouest. Le statut de Parc marin devrait

être décrété prochainement par le biais d’une loi statuant sur le zonage et la future structure de

gestion (Figure 2-7).

Les 4 réserves marines dans le nord du lagon rodriguais ont été proposées par les pêcheurs euxmêmes,

à la suite d’une série de réunions menée par l’équipe de Shoals Rodrigues dans 18 villages

(Anse Goéland, Baie aux Huitres, Baie Malgache, Baladirou, Dans Coco, Grand Baie, Graviers,

Mourouk, Petite Butte, Pointe Coton, Pointe Monier, Port Sud Est, Rivière Banane, Rivière Cocos,

Roseaux, Songes, St François and Terre Rouge) durant les mois d’Octobre et de Novembre 2002. Au

total, 409 pêcheurs ont été rencontrés et ont pu donner leur opinion sur l’outil réserve marine et

suggérer des zones susceptibles d’être protégées (Gell, 2005). Après traitement, cinq réserves

marines ont été identifiées et validées par la majorité des pêcheurs rencontrés. Ce projet a ensuite

été soumis au comité de coordination des pêches et des ressources marines de l’assemblée régionale

de Rodrigues34. Quatre d’entre elles furent acceptées en 2004 puis proclamées en 2007. Au total,

c’est un espace de 15,8 km² qui devrait être protégé, soit 8% du lagon rodriguais. Chaque site détient

une spécificité qui justifie sa protection: le site de Grand Bassin est une zone potentielle de frai, les

sites de Passe Demi, Anse aux Anglais et Rivière Banane sont de bons sites de plongée, ceux de

Rivière Banane et Anse aux Anglais sont des zones dégradées nécessitant une protection dans le but

de favoriser la résilience des habitats coralliens. Enfin, les sites de Grand Bassin, Passe Demi et Anse

aux Anglais sont connus pour leur abondance en poissons (Hardman et al., 2006). Il est prévu que ces

quatre réserves deviennent des zones sanctuaires strictes dans lesquelles la plongée et le snorkelling35

pourront être tolérés avec des permis.

Le mode de gestion envisagé est collaboratif, sur la base d’un partenariat entre les

communautés villageoises et les acteurs institutionnels. En témoigne, l’important processus de

concertation engagé après l’acceptation institutionnelle du projet. Durant les années 2006 et 2007,

les discussions ont été ciblées sur les 9 villages dans lesquels les pêcheurs avaient l’habitude de se

rendre dans les zones de réserves prévues. Ces réunions avaient pour objectif de tenir au courant les

pêcheurs de l’avancement du projet, de s’assurer de leur soutien et de discuter de leurs problèmes,

notamment du développement d’activités alternatives à la pêche. Au total 97 pêcheurs ont été

consultés en 2005 et 153 en 2006 (Hardman et al., 2007). Des réunions auprès des tours opérateurs

34 A l’interface entre les acteurs institutionnels et les acteurs de terrain, le comité de coordination des

pêches et des ressources marines de l’assemblée régionale de Rodrigues est chargé de gérer le projet de

réseau de réserves marines. Présidé par le chef commissionnaire Serge Clair, il regroupe les chefs de

départements de l’assemblée régionale concernés par le projet, les coopératives, l’autorité portuaire,

l’Environment Unit, le Fisheries Protection Service, les gardes côtes nationaux, le Fisheries Research and Training Unit,

l’Association of Rodrigues Tour Operators (ARTO), l’organisation des pêcheurs professionnels de l’île Rodrigues,

l’association des pêcheurs de l’île Rodrigues, Shoals Rodrigues et le Rodrigues Underwater group.

35 Pratique de la plongée en apnée avec un masque, un tuba et des palmes

83

et des propriétaires d’hôtels ont également été menées en 2005. Depuis, des contacts réguliers sont

entretenus avec les pêcheurs grâce au programme Fishers Training conduit par l’équipe de Shoals

chargée de l’éducation à l’environnement. Celle-ci travaille avec 2 ou 3 villages chaque année, en s’y

rendant chaque semaine pour parler de différents sujets relatifs à l’environnement marin. Enfin, une

fois par an, Shoals organise une réunion de concertation avec les différents usagers/acteurs présents

dans les 9 villages. Les pêcheurs, les tours opérateurs, les hôteliers et les politiques sont conviés.

Figure 2-7 : Les Aires marines protégées rodriguaises

84

Jusqu’ici, le projet porté par Shoals Rodrigues a vu se concrétiser le projet de réserve marine

à Rivière Banane. En 2006, des enquêtes socio-économiques, reposant sur le protocole SocMon36,

furent menées auprès de 40 ménages du village de Rivière Banane ainsi que dans les lieux dits Trèfles,

Grand Montagne, Roche Bon Dieu, Bel Air et Brûlé, qui regroupent également des pêcheurs de la

zone. L’objectif était d’approfondir et de formaliser la connaissance des modes de vie des pêcheurs,

de leurs pratiques et de leurs opinions, afin d’établir un canevas permettant le suivi dans le temps et

l’évaluation de l’efficacité de la réserve (Hardman et al., 2006).

L’année 2008 a vu s’effectuer la délimitation formelle de la réserve, encadrée par des bouées, la

rédaction du plan de gestion de la réserve (Gell, 2008), la mise en place d’une surveillance effective

de la zone assurée par le FSP, ainsi que la création de l’Association Pêcheurs Rivière-Banane, regroupant

38 pêcheurs fédérés pour promouvoir le développement d’activités alternatives à la pêche. Cette

association a récemment bénéficié du soutien financier du PNUD (via le GEF-SGP37) et de la COI (au

titre du réseau des AMPs de la COI) pour mettre en place une ferme d’élevage sur une superficie de

12 ha à Rivière-Banane. Cette ferme accueillera une cinquantaine de têtes de bétail ainsi qu’une

espèce de poule locale et bénéficiera d’un pâturage clôturé. Du fourrage sera cultivé pour la

nourriture et des plantes endémiques y seront plantées pour réhabiliter les terres et limiter l’érosion

des sols. L’objectif de ce projet est de proposer des activités génératrices de revenus permettant de

réduire la pression de pêche sur le récif et de créer une dynamique économique dans la région en

proposant des produits à valeur ajoutée tels que le lait et le fromage pour le secteur touristique

(Jocelyn, 2008). En parallèle, le GEF-SGP soutient également financièrement l’acquisition d’un bateau

à fond de verre permettant l’observation des fonds coralliens pour les touristes.

Bien que légalement proclamée, les trois autres réserves ne sont pas encore opérationnelles. Un

problème technique survenu lors de la démarcation des limites par des bouées a ralenti le processus.

L’expérience devrait être relancée prochainement et suivie par la mise en place d’une surveillance

renforcée des réserves, assurée également par le FSP. De plus, le 2 Octobre 2009, le conseil exécutif

de l’Assemblée Régionale de Rodrigues a décidé la création d’un comité de coordination des réserves

marines, présidé par le chef commissionnaire38. Ce comité est responsable de superviser la création

des 4 réserves marines déjà proclamées, de coordonner les actions entre les différents acteurs

impliqués dans la gestion des réserves marines et de participer à la formulation des politiques à

adopter dans le respect des réserves marines.

Issu du projet SEMPA, une AMP a été proclamée en Février 2009 dans le sud de l’île. Elle a

vocation à devenir un Parc marin dans le courant de l’année 2010. Bien que statutairement différente,

cette AMP conserve les mêmes impératifs de co-construction et de co-gestion que les réserves

marines du nord de l’île. Une longue phase de consultation de l’importante communauté de pêcheurs

(estimée à 950 personnes) et de l’ensemble des opérateurs touristiques a précédé cette

proclamation, au cours de laquelle des cartes des différents usages et des propositions de zones à

protéger ont pu être réalisées en concertation avec chacun des 10 villages de la zone. En Avril 2009,

sur la base de ces travaux et d’une étude écologique, un consensus relatif au zonage et aux

réglementations du futur Parc a été atteint. Au total, ce dernier devrait couvrir une zone de 43,43

km² au sein de laquelle près de 24% (soit 10,49 km²) seront strictement interdits à tous types de

pêche de manière permanente (« Conservation zone »), et près de 7,5% (soit 3,24 km²) seront fermés

temporairement (« Multiple-use zones seasonal »). Les pratiques de pêche resteront donc autorisées

dans plus de 68% de la surface du Parc (« Multiple-use zone ») (Figure 2-8).

36 Socioeconomic Monitoring Manual for Coral Reef Managers (Bunce et al., 2000)

37 Global Environment Facility – Small Grants Programme

38 Présidé par le chef commissionnaire, il regroupe le commissionnaire responsable des parcs marins, le

responsable départemental des parcs marins, le responsable départemental des pêcheries, le responsable de la

Fisheries Research and Training Unit (FRTU), le responsable du FSP, le responsable du Marine Reserve Squad,

un représentant de Shoals Rodrigues, un représentant du projet SEMPA, quatre représentants des

communautés de pêcheurs choisies par le chef commissionnaire et 10 autres personnes supplémentaires que

ce dernier peut convier.

85

Figure 2-8 : Zonage du Parc marin du sud-est, issu du projet SEMPA

(Source : SEMPA, 2009)

Avec la démarche mise en place à Rivière Banane et celle de SEMPA, Rodrigues fait office

d’exemple dans la ZOI en matière de participation des communautés locales et de co-gestion.

Créées plus récemment que celles situées à Maurice, ces AMPs sont le fruit d’une importante

volonté locale de concertation et symbolisent le tournant progressivement opéré par le

gouvernement mauricien en matière de gestion durable des ressources marines.

* *

*

86

Conclusion

On dénombre aujourd’hui 48 AMPs au sein des pays membres de la COI parmi

lesquelles 8 sont en cours de création, ce qui représente plus de 2700 km² de zones

protégées. Selon leur pays d’appartenance et leur date de création, ces AMPs ont été conçues en

suivant des logiques de conservation différentes. Celles-ci obéissent à la diversité des cultures

administratives des pays de la COI ainsi qu’à leur dynamique historique respective. Ainsi est-il

possible de distinguer trois itinéraires distincts (Figure 2-9) :

Figure 2-9 : Itinéraires de conservation du milieu marin dans les pays de la COI

En rouge : les AMPs seychelloises et mauriciennes, parmi les plus anciennes, ont suivi l’itinéraire

« Conservation – Exclusion », mettant de côté toute association et participation des usagers

locaux. Aujourd’hui, les nouveaux projets tendent à s’orienter vers des démarches participatives

pour pallier le manque d’acceptation sociale des AMPs déjà existantes et au faible respect des

réglementations en place.

En vert : à l’opposé, les AMPs comoriennes et rodriguaises endossent le rôle d’exemples en

termes de participation des populations locales. Pour autant, l’expérience comorienne a montré

que la participation et l’implication des communautés locales dans la mise en place et la gestion

de l’AMP n’était pas un gage d’efficacité et de réussite du projet de conservation. Malgré un

processus de concertation d’une qualité rarement égalée dans la région, le désinvestissement de

l’Etat et des bailleurs de fonds ont entrainé l’arrêt progressif des activités du parc marin,

induisant une profonde déception de la part des villageois.

En bleu : les AMPs malgaches et réunionnaises ont, pour leur part, suivi un itinéraire évolutif qui

les a conduit de l’exclusion à la participation des communautés et usagers locaux.

87

Chapitre 3 - Une démarche géographique

au service de l’estimation de l’acceptation

sociale

Sommaire

1. Approche critique des méthodes utilisées dans la région pour suivre les dynamiques sociales

au sein des AMPs…………………………………………………………………………….. 89

1.1 Attentes de gestionnaires envers les études socio-économiques……………………… 90

1.2 Des besoins face aux potentialités du protocole SocMon……………………………..92

1.3 Retours d’expériences………………………………………………………………. 96

2. Positionnement scientifique……………………………………………………………….. 99

2.1 De la nécessité de concevoir des indicateurs d’acceptation sociale pour l’aide à la gestion

locale des AMPs…………………………………………………………………………….. 99

2.2 Le territoire, filtre d’analyse de l’acceptation sociale…………………………………. 104

3. Une méthode pour estimer l’acceptation sociale ………………………………………….109

3.1 Le choix des terrains d’étude à l’échelle régionale…………………………………… 109

3.2 La communauté locale : échelle générique pour l’analyse des dynamiques sociales ?...... 112

3.3 Méthodologie d’enquêtes à l’échelle des usages de la Réserve Naturelle Marine de La

Réunion……………………………………………………………………………………... 114

Introduction

Le chapitre 3 a pour vocation de présenter les cadres théoriques et méthodologiques de ce

travail.

Dans la continuité des chapitres 1 et 2, le premier paragraphe propose une approche critique des

méthodes utilisées dans les AMPs de la région pour suivre les dynamiques sociales. Cette dernière

repose sur la confrontation des potentialités des protocoles de suivi utilisés, et notamment celles du

protocole SocMon, avec les besoins exprimés par les gestionnaires.

La mise en évidence des atouts, opportunités, faiblesses et menaces (Analyse SWOT) de ce

protocole permet de déterminer le positionnement scientifique de ce travail, en tant que démarche

complémentaire visant un approfondissement de l’étude des dynamiques sociales au sein des AMPs.

Le deuxième paragraphe est ainsi l’occasion de préciser notre problématique en déclinant les

hypothèses de recherche, les postulats utilisés et en définissant certains concepts fondamentaux.

Pour finir, le troisième paragraphe s’attache à présenter la démarche méthodologique suivie. A

travers un emboîtement d’échelles, les terrains étudiés sont, entre autres, présentés et les stratégies

d’échantillonnage justifiées.

88

1. Approche critique des méthodes utilisées dans la région

pour suivre les dynamiques sociales au sein des AMPs

Les manuels développés pour assister et guider les gestionnaires d’aires protégées dans

l’intégration des problématiques sociales sont peu nombreux. Dans le premier chapitre, nous

évoquions, le site de Society for Conservation Biology recensant l’ensemble des « outils sociaux »

existants. La plupart aborde effectivement la dimension sociale mais d’aucun ne lui est entièrement

dédié. Un rapide tour d’horizon des guides consacrés aux AMPs39 permet d’identifier les thématiques

concernées : la gestion de l’aire protégée en général (Salm et al., 2000), l’évaluation de l’efficacité des

projets de conservation (Belfiore et al., 2003 ; Pomeroy et al., 2004 ; 2004 ; Wells et Mangubhai, 2005

; Belfiore et al., 2006 ; World Bank, 2006), la conduite d’un suivi socio-économique (Bunce et al.,

2000), la gestion collaborative des pêcheries (Christy, 1997 ; Pomeroy et Rivera-Guieb, 2006), la

gestion intégrée des zones côtières (GIZC) (Post et Lundin, 1996 ; Denis et Hénoque, 2001) ou

encore la concertation (Walters et al., 1998). A partir de retours d’expériences, ces manuels

abordent, de près ou de loin, la dimension sociale des AMPs sous la forme de recommandations, de

méthode de terrain ou, moins souvent, en proposant des indicateurs.

Dans la région sud-ouest de l’océan Indien, le suivi des dynamiques sociales au sein des AMPs est

assuré quasiment exclusivement par le biais du Socioeconomic Monitoring Guidelines for

Coastal Managers of the Western Indian Ocean (Malleret-King et al., 2006). Ce protocole de

suivi socio-économique est une adaptation régionale40 du Manual for Coral Reef Managers (Bunce et

al., 2000), coordonné par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) et lié au Global

Coral Reef Monitoring Network (GCRMN). Cette adaptation, surnommée SocMon WIO, se propose

de guider étape par étape toute personne souhaitant effectuer le suivi socio-économique d’une

AMP, défini comme « la mesure et la détection du changement dans le temps permettant de

prendre des décisions de gestion opportunes et informées » (Malleret-King et al., 2006). Ce manuel

présente en détail la démarche à suivre en débutant de la mise en place de l’étude (activités

préparatoires, calendrier, reconnaissance de terrain), jusqu’à l’analyse et à la communication des

résultats, en passant par la présentation des différents modes de collecte de l’information sur le

terrain (enquêtes, réunions de groupe, entretiens, etc.).

52 variables sont proposées, réparties en 9 grandes thématiques : Secteur (1 variable), Acteurs (2

variables), Démographie (15 variables), Santé (1 variable), Infrastructures et Commerces (2 variables),

Activités côtières et marines (10 variables), Gouvernance (11 variables), Attitudes et perceptions (10

variables), Statut socio-économique (1 variable) (Annexe B).

Jusqu’à qu’ici, SocMon WIO a été utilisé dans 14 sites du sud-ouest de l’océan Indien, au Kenya

(Tana Delat, Diani-Chale, Msambweni, Vanga), en Tanzanie (Vanga, Rumaki seascape, Mnazi Bay –

Ruvuma estuary), au Mozambique (Quirimbas), à Rodrigues (Rivière Banane), à Madagascar

(Velondriake), aux Seychelles (Sainte-Anne, Curieuse) et aux Comores (Grande Comores, Anjouan

et Mohéli). La méthodologie SocMon présente des avantages comme des inconvénients. C’est

pourquoi nous proposons de dresser une rapide analyse critique de cet outil sur la base des

besoins exprimés par les gestionnaires d’AMPs. Ce travail s’organise en trois temps : l’exposé

des attentes des gestionnaires de la région sera tout d’abord dressé et analysé. Ces attentes seront

ensuite confrontées aux potentialités réelles du protocole SocMon. Enfin, nous complèterons cette

analyse critique en nous inspirant des retours d’expérience de certains gestionnaires ayant utilisé le

protocole.

39 Les manuels cités sont une compilation de ceux cités sur le site de la Society for Conservation Biology

(http://www.conbio.org/WorkingGroups/SSWG/catalog/sswgaction.cfm) complétés par d’autres, non

référencés. Cette énumération n’a pas vocation a être exhaustive tant la multiplication de ces guides rend

difficile sa mise à jour. Elle présente cependant les principaux.

40 Il existe également une adaptation pour la région Caraïbes (SocMon - Carribean guidelines), pour l’Asie

du Sud-Est (SocMon – SEA guidelines) et pour le Pacifique (SEM-Pacifika)

89

1.1 Attentes de gestionnaires envers les études socioéconomiques

Une série d’entretiens auprès de personnes en charge de la mise en place ou de la gestion

d’AMPs41, parmi les pays de la COI, a été menée lors de la première réunion des gestionnaires

d’AMPs de l’écorégion marine de l’océan Indien occidental, à Rodrigues en Mai 2007. Ce cadre nous

a paru particulièrement propice pour mener ces entretiens et identifier les attentes des gestionnaires

à l’égard des études socio-économiques. Au travers d’échanges d’expériences, cette réunion a en

effet mis en exergue l’importance de la participation des communautés locales et le nécessaire

recours à des études sociales et économiques complémentaires pour améliorer la gouvernance des

AMPs. Les quinze gestionnaires présents étaient donc largement disposés à échanger sur leur propre

expérience. Au total, nous avons pu conduire six entretiens, en tentant de couvrir les différents pays

membres de la COI. Seule l’île Maurice ne figure pas dans la liste des gestionnaires rencontrés, mais

l’entretien avec A. Nahadoo (alors basé à Rodrigues) nous a éclairé sur le contexte mauricien

puisque ce dernier y avait longuement travaillé (Tableau 3-1).

Tableau 3-1 : Personnes ressources interviewées, en charge de la gestion ou de la mise en

place d’AMPs dans les pays de la COI

Site Personne

ressource Rôle (à l’heure de l’enquête)

Seychelles Allen Cedras

Gestionnaire du Seychelles Center for Marine

Research in Technologies-MPA Seychelles depuis 2006.

En charge de tous les parcs marins nationaux : Ste-

Anne, Baie Ternay, Port Launay, Curieuse, I le Coco,

Silhouette

Mourouk

(Rodrigues) Aurélien Nahadoo Chargé par le PNUD de la mise en place de l’AMP

de Mourouk

Rivière

Banane

(Rodrigues)

Emily Hardman

Coordinatrice scientifique de Shoals of Rodrigues,

ONG en charge de la mise en place de réserves marines

au nord de Rodrigues

La Réunion Emmanuel Tessier Directeur du Groupement d’Intérêt Public Réserve

Nationale Marine de la Réunion (GIP-RNMR)

Nosy Hara

(Madagascar) Joamanana ANGAP, Directeur chargé de la mise en place du

parc marin de Nosy Hara.

Parc Marin de

Mohéli

(Comores)

Mohamed Mindhiri

(Tsira)

Président du Conseil de gestion du Parc Marin de

Mohéli

La question « quel est selon vous, l’intérêt des études socio-économiques pour la

gestion des AMPs ? » a été posée à chacun de ces gestionnaires. Tous reconnaissent l’utilité d’un

suivi socio-économique et expriment le besoin de conduire une étude de ce type dans leur AMP,

quel que soit son stade d’avancement42. En outre, les réponses obtenues font ressortir plusieurs

attentes quant aux résultats escomptés de ces études. Le Tableau 3-2 les présente.

41 Pour faciliter la lecture de ce chapitre, nous les appelleront abusivement « gestionnaires », certains

n’ayant pas officiellement ce statut puisque l’AMP était encore au stade de projet.

42 L’histoire des différentes AMPs de la région est abordée dans le chapitre 3 de la Partie 1.

90

Tableau 3-2 : Attentes des gestionnaires à l’égard des études socio-économiques

Association

Attentes citées par les gestionnaires Occurrence de d’occurrences

la citation

1 2 3 4 5 6 7 8 9

1 Connaître finement la population locale 1

2 Eduquer, sensibiliser et communiquer sur l’intérêt des AMPs 1

3

Améliorer la communication avec les décideurs en leur

apportant des arguments sociaux et économiques pour les

inciter à s’engager dans la protection de la biodiversité

1

4 Estimer les valeurs sociales et économiques de l’AMP ; 1

5 Impliquer les communautés locales dans la protection des

ressources naturelles ; 1

6 Faciliter l’appropriation de l’AMP par les différents acteurs. 2

7 Mesurer les retombées économiques de l’AMP sur les

communautés locales ; 2

8 Développer des activités alternatives et génératrices de

revenus pour les pêcheurs et/ou le village ; 3

9 Adapter les mesures de gestion en fonction des attentes des

communautés locales ; 4

Interprétation de la matrice présentant les associations d’occurrences :

En vert clair : les occurrences ont été associées par une seule personne

En vert foncé : les occurrences ont été associées par deux personnes différentes

En blanc : les occurrences n’ont jamais été associées

En gris : partie non exploitée de la matrice permettant d’éviter les répétitions entre associations

L’hétérogénéité des réponses données illustre, tout d’abord, une connaissance et une

compréhension erronées des objectifs et des potentiels d’une étude socio-économique. La

juxtaposition de besoins de connaissance et de diagnostic (réponses 1 et 4) avec des attentes en

terme d’évaluation de l’efficacité des projets (réponses 3 et 7) et avec une demande d’outils facilitant

la bonne gouvernance locale (réponses 2, 5, 6, 8 et 9) montre que les gestionnaires, et parfois

certains scientifiques, perçoivent le suivi socio-économique comme une solution à tous les problèmes

qui ne relèvent pas de l’écologie marine. A en croire les réponses recueillies, l’étude socioéconomique

devrait, par exemple, permettre d’assurer l’éducation et la sensibilisation de la

population ainsi que l’implication des communautés locales dans la gestion des ressources naturelles

91

(réponses 2 et 9). Ce n’est pourtant ni un outil de concertation ni un outil d’éducation à

l’environnement. Si le suivi de la biodiversité marine s’attache à étudier les écosystèmes, le suivi

socio-économique devrait se charger de tout ce qui se rapporte à l’homme, à la société et aux

logiques de marchés. C’est comme si l’association du social (par essence difficile à délimiter) et de

l’économique rendait les frontières de l’objet d’étude floues et extensibles, par opposition au suivi

écologique dont les objectifs visent clairement les écosystèmes marins.

En outre, l’occurrence de citation des différentes réponses ainsi que les associations entre elles

montrent que les principaux besoins exprimés par les gestionnaires concernent l’identification

d’actions favorisant l’adhésion des populations locales. Que ce soit l’adaptation des mesures de

gestion aux attentes des communautés locales (réponse 9), le développement d’activités alternatives

et génératrices de revenus (réponse 8) ou encore le besoin de faciliter l’appropriation de l’AMP par

les différents acteurs (réponse 6), les réponses les plus fréquentes se réfèrent à la nécessaire

acceptation sociale de l’AMP. Les expériences collectées auprès de ces gestionnaires montrent

en effet que l’absence d’acceptation est une des principales causes d’échec des projets de

conservation dans la région. Ce sont donc bien des besoins en termes de gouvernance locale

qui ressortent en priorité de la bouche des gestionnaires.

1.2 Des besoins face aux potentialités du protocole SocMon

Par le biais d’un code-couleur, le Tableau 3-3 se propose de synthétiser le degré de

satisfaction des besoins exprimés par les gestionnaires de la région, de la part du protocole

SocMon. L’estimation du degré de satisfaction résulte de la confrontation des besoins exprimés aux

potentialités réelles du protocole SocMon.

Tableau 3-3 : Degré de satisfaction des besoins exprimés par les gestionnaires, par le

protocole SocMon

Il ressort de cette analyse que certaines attentes sont tout à fait satisfaites (réponse 1) tandis que

d’autres le sont beaucoup moins (réponses 4, 7 et 8). Les tableaux 3-4, 3-5 et 3-6 présentent plus

précisément cette analyse critique en détaillant les différentes variables du protocole SocMon

référencées par un code utilisé dans le manuel SocMon (Annexes B) et en énumérant leurs avantages

et leurs inconvénients pour parvenir à satisfaire les besoins des gestionnaires. Le tableau 4-3

regroupe les variables SocMon ayant une réelle utilité aux yeux des gestionnaires. A l’opposé, le

tableau 5-3 présente les besoins peu ou mal satisfaits par le protocole. Entre les deux, le tableau 6-3

liste les variables d’intérêt moyen pour les gestionnaires.

Notons que les variables K28, K29 et K30, n’apparaissent pas dans le tableau car elles ne

correspondent à aucun des objectifs mentionnés par les gestionnaires. Ces dernières sont classées

dans la rubrique Gouvernance et s’attachent respectivement à énumérer les différents organismes

formels en charge de la gestion des ressources marines, à déterminer s’il existe ou non un plan de

gestion, et à identifier les législations en place sur le milieu marin. Elles relèvent donc de l’information

basique que tout gestionnaire détient à priori, enquête socio-économique ou pas.

92

Tableau 3-4 : Variables du protocole SocMon permettant de répondre de manière satisfaisante aux besoins des gestionnaires

Tableau 3-5 : Variables du protocole SocMon ne permettant pas de satisfaire correctement les besoins des gestionnaires

93

Tableau 3-6 : Variables du protocole SocMon permettant de répondre en partie aux besoins des gestionnaires

94

95

Cette analyse met en exergue l’apport essentiel du protocole SocMon en termes de

diagnostic de la population. L’ensemble des variables fournit en effet un portrait précis des

conditions de vie des ménages, de leurs activités (sources de revenus ou non) ainsi que de

l’organisation politique de la communauté. Elle montre en revanche, que l’utilisation de ce protocole

ne permet ni de mesurer les retombées économiques de l’AMP pour les communautés locales ni de

développer des activités génératrices de revenus, besoins dont l’occurrence était pourtant parmi les

plus élevées lors des entretiens. Elle révèle enfin que le recueil des perceptions à l’échelle individuelle

constitue un préalable nécessaire mais pas suffisant pour parvenir à cerner des processus dynamiques

tels que l’implication de la communauté locale, l’identification de ses attentes et l’appropriation de

l’AMP.

Ainsi, le protocole SocMon procure-t-il une description fine des éléments constitutifs du sociosystème

accolé à l’AMP, permettant de répondre aux questions de type Qui ? Quoi ? Quand ? ou

Combien ?. Il ne fournit cependant qu’une vision limitée de l’organisation et de la structuration du

socio-système, vision qui sous-entendrait l’étude des relations entre les éléments du système et qui

permettrait d’apporter des réponses aux questions Comment ? et Pourquoi ?.

Les variables SocMon sont donc parfaitement adéquates pour décrire l’état du socio-système à

un instant T, en vue d’un diagnostic. Pour autant, elles ne peuvent permettre de saisir les dynamiques

telles que l’acceptation sociale, pourtant déterminante pour répondre aux besoins de gouvernance

locale des gestionnaires. Les variables SocMon s’attachent en effet à caractériser chaque individu

(usager ou ménage) au travers de ses usages, ses croyances et ses perceptions. L’identification des

dynamiques sociales se fait, par la suite, au moyen d’une simple addition de ces caractéristiques

individuelles. Ce postulat, à rapprocher de la théorie de l’individualisme méthodologique43

(Boudon, 1979), considère l’individu comme une entité fermée et isolée de son environnement

social. Les phénomènes sociaux observés dans les communautés ne seraient donc liés à aucun

élément extérieur mais seraient uniquement le résultat d’actions individuelles (David, 2008 ; Pouget

et Gardes, 2008). La réalité est bien plus complexe et les décisions individuelles résultent souvent de

la combinaison d’enjeux individuels et collectifs. Ainsi, la compréhension des dynamiques sociales au

sein des AMPs ne peut faire l’économie de s’intéresser aux jeux de pouvoir au sein d’ensembles

supra-individuels structurant l’environnement social (familles, associations, communautés religieuses,

etc…).

Le protocole SocMon fournit donc un point de départ pertinent et utile pour les gestionnaires

d’AMPs, notamment en vue d’élaborer un diagnostic. Il doit cependant être complété et enrichi par

d’autres méthodes, moins génériques, pour parvenir à répondre de manière plus adéquate aux

attentes des gestionnaires en matière de gouvernance locale.

1.3 Retours d’expériences

A première vue, le protocole SocMon est présenté comme « un ensemble de directives visant à

établir un programme de suivi socio-économique au niveau local. [Il] est destiné à être utilisé au niveau du

site. » (Malleret-King et al., 2006). Pourtant, l’expérience rodriguaise a montré que les données

collectées par le biais de SocMon n’étaient que peu adaptées à l’échelle locale :

« SocMon n’a pas vraiment répondu aux questions que nous avions concernant la mise en place de

réserves marines, par exemple sur ce que les gens pensaient de ces réserves ou sur les activités alternatives

que les gens seraient contents et capables de faire. Nous prévoyons donc d’étendre ces enquêtes l’année

prochaine à ce type de questions en particulier.» (E. Hardman)

43 L’expression "individualisme méthodologique" désigne les méthodes qui analysent les phénomènes

sociaux comme le produit d’actions individuelles agrégées. Cette tradition sociologique s’oppose au holisme

méthodologique pour lequel "le tout explique la partie".

Il existe en effet une confusion concernant la finalité et l’échelle d’utilisation des données

collectées via SocMon. Si l’échelle locale est mentionnée, il est également précisé que « SocMon

fournit la base d’un système régional de gestion des données (au niveau régional, national et international) et

de comparaison des données. (…) [Il] est conçu pour les [les autres programmes de suivi et de recherche

socio-économique dans la région] compléter et fournir un ensemble simple et normalisé de directives pour la

région. » (Malleret-King et al., 2006). Ainsi l’objectif de « rapportage »44 aux échelles supra-locales,

le besoin de comparaison inter-sites et la recherche de généricité dans les variables proposées qui en

découle, rendent-t-ils délicat l’aide à la bonne gouvernance locale. Même s’il est précisé qu’il n’est pas

forcément nécessaire de collecter toutes ces variables et qu’il convient de les sélectionner en

fonction des objectifs de l’étude et du site considéré, il semble que les dynamiques sociales soient

trop spécifiques au contexte économique, culturel et/ou politique du site, pour que ces variables

génériques puissent répondre à des problématiques locales.

Paradoxalement, la vocation de système régional se heurte à l’adaptation du protocole hors

du contexte des pays en voie de développement (PVD). En témoigne le discours du

gestionnaire seychellois :

« Il s’avère que dans le manuel SocMon il manque un certain nombre d’informations qui seraient

pertinentes à collecter étant donné le contexte particulier des Seychelles. L’économie locale est principalement

basée sur l’activité touristique. Ici, à la différence de la majorité des pays de la région, les pêcheurs sont riches

et, pour la plupart, complètent leurs revenus par des prestations touristiques pendant les 6 mois de mauvais

temps. De plus, les problèmes de surpopulation, présents dans la plupart des pays de la zone et présentés

comme une des principales menaces pour la biodiversité marine, ne s’appliquent pas aux Seychelles. C’est

pourquoi certaines idées de SocMon peuvent être appliquées aux Seychelles et d’autres non. » (A. Cedras)

Les différentes variables proposées reposent en effet sur le postulat d’une forte dépendance

économique des communautés locales à l’exploitation des ressources marines, postulat qui, certes,

caractérise une majorité de contextes économiques de la région sud-ouest de l’océan Indien. Les

Seychelles, pays émergent dont l’économie est basée sur une activité touristique dynamique, et la

Réunion, département français rattaché à la liste des pays développés, ne correspondent pas à cette

situation. Au-delà de certaines questions peu adéquates hors du contexte de PVD, c’est

l’identification même des personnes à enquêter, regroupées en « communauté »45, qui pose

problème. La structure villageoise est classique dans les PVD et autorise à penser que la proximité de

la mer et l’exploitation des ressources marines sont des facteurs structurant de la communauté. Le

cas de la Réunion est à l’opposé puisque le règne de l’automobile et le développement des

infrastructures routières ont rendu la mer, et notamment la zone récifale, accessible à tous, quel que

soit le lieu d’habitation. Ainsi, les anciens quartiers de pêcheurs ont-ils, pour la plupart, disparu sous

l’effet combiné de l’accroissement démographique et de la densification urbaine et le concept de

« communauté » est-il dépassé ou du moins, à adapter à un contexte de pays développé.

Les quelques retours d’expérience des gestionnaires de la zone océan indien (ZOI) ne sont

évidemment pas que négatifs. Il faut reconnaître que le protocole SocMon offre un support,

jusqu’alors inexistant, permettant de guider toute personne souhaitant collecter des informations

socio-économiques pour dresser un tableau relativement précis de l’état de développement d’une

population et de ses activités en relation avec le milieu marin. Les statistiques issues des résultats

d’enquêtes auprès des personnes ressources46 et des ménages permettent de dresser un premier

diagnostic qui fournit au gestionnaire des données basiques mais essentielles. La démarche est

d’autant plus innovante qu’elle tient compte de l’ensemble des acteurs concernés, classés par activité,

alors que l’essentiel des manuels jusqu’alors disponibles se focalisait sur l’usage pêche ou ne traitait

44 Reporting en anglais

45 La notion de communauté comme base d’échantillonnage sera abordée plus en détails lors du point 3.2

du Chapitre 3

46 Il s’agit d’un informateur clé (traduit en anglais par « key informant ») susceptible de donner des

informations détaillées sur la base de son expérience ou de sa connaissance sur un sujet donné.

97

que des aspects économiques sans aborder la dimension sociale (Pouget et Gardes, 2008). La

simplicité des méthodes et le caractère didactique des manuels rendent ce protocole accessible à des

non-spécialistes en socio-économie. De plus, la rapidité de la mise en oeuvre des investigations de

terrain et leur faible coût sont autant de critères qui facilitent largement le suivi à long terme et la

reproductibilité de la démarche. Cette généricité permet également une comparaison entre certains

sites, offrant l’opportunité de dégager des invariants et de s’inspirer des expériences voisines pour

faire face à des problèmes communs. Il existe d’ailleurs une base de données mondiale, The Global

Socioeconomic Monitoring Database, disponible via internet et coordonnée par ReefBase. Son

exploitation a permis la rédaction d’un rapport comparant les conditions socio-économiques des

populations côtières en milieu tropical (Loper et al., 2008). Cette approche comparative reste

cependant très générale et illustre bien l’insuffisance du protocole SocMon pour répondre aux

besoins des gestionnaires en termes de gouvernance locale.

En guise de conclusion, nous proposons d’utiliser l’analyse SWOT, de l’anglais Strengths

(Atouts), Weaknesses (Faiblesses), Opportunities (Opportunités) et Threats (Menaces) comme outil

permettant de synthétiser notre analyse critique. Bien qu’habituellement utilisée comme outil de

stratégie d’entreprises, cette analyse peut aisément être adaptée à l’évaluation d’une organisation,

d’une démarche, d’un outil ou encore d’un projet de recherche. Quel que soit le domaine

d’application, son objectif reste d’identifier les axes stratégiques à développer. Bien qu’avant tout

destinée à la planification, l’analyse SWOT peut également être utilisée comme outil d’évaluation

(Thomassin et al., 2010). Appliquée au protocole SocMon et, par extension, aux méthodes de suivis

socio-économiques existantes dans la région sud-ouest de l’océan Indien, telle est la fonction qui lui

est allouée ici. La méthode suivie repose sur la mise en parallèle d’un diagnostic interne des atouts et

des faiblesses du protocole et d’un diagnostic externe tenant compte des opportunités et des

menaces présentes dans l’environnement global (Figure 3-1).

Figure 3-1 : Analyse SWOT du protocole SocMon

98

2. Positionnement scientifique

Découlant de l’analyse critique de l’état de l’art ainsi que de l’étude des différentes AMPs de la

région, cette thèse ambitionne de proposer une démarche complémentaire aux protocoles déjà

existants, permettant d’approfondir l’étude des dynamiques sociales au sein des AMPs. Plus

précisément, son objectif est d’élaborer une méthode standardisée de suivi des dynamiques

sociales au sein des AMPs qui permette la construction d’indicateurs utiles pour la

gestion locale comme pour le rapportage.

Pour parvenir à remplir cet objectif, rappelons que notre problématique s’organise autour de

deux grandes questions :

Comment traduire les dynamiques sociales au sein des AMPs sous une forme

opérationnelle, utile au gestionnaire ?

Comment standardiser l’approche des dynamiques sociales au sein des AMPs

lorsque ces dernières se situent dans des contextes politiques, économiques,

historiques et culturels aussi variés que ceux des pays de la région sud-ouest de

l’océan Indien ?

Les réponses à chacune de ces questions sont guidées par la définition d’hypothèses de

recherche. Ces dernières reposent sur des postulats et des concepts qu’il convient également de

définir47. La Figure 3-2 présente schématiquement l’ensemble du positionnement scientifique de ce

travail. Les explications et les justifications sont détaillées ci-après.

2.1 De la nécessité de concevoir des indicateurs d’acceptation

sociale pour l’aide à la gestion locale des AMPs

L’enquête auprès des gestionnaires d’AMPs dans la région sud-ouest de l’océan Indien a rappelé

leurs attentes en termes d’outils opérationnels d’aide à la gestion locale. Confrontés

quotidiennement à des nécessaires prises de décisions pour le bon fonctionnement de l’AMP qu’ils

ont à charge, ceux-ci ont un besoin croissant de pouvoir se référer à des mesures chiffrées

pertinentes, permettant d’arbitrer les interactions entre l’écosystème et la société. S’il est

relativement courant de résumer les dynamiques écologiques et économiques au sein des AMPs par

des mesures de changements, la dimension sociale n’est que peu formalisée sous cette forme. La

nature majoritairement qualitative des données permettant de caractériser les dynamiques sociales

rend la conversion en mesures chiffrées, difficile. Ce constat renforce la fausse impression qui

consiste à dire que les sciences sociales ne sont pas en mesure de fournir des résultats

opérationnels, susceptibles d’orienter les choix de gestion au même titre que les deux

autres dimensions. C’est pourquoi la traduction opérationnelle des dynamiques sociales au sein

des AMPs est au coeur de notre problématique.

47 Le postulat est une affirmation non testable ou déduite logiquement ou encore issue de recherche

antérieures qui fondent les prémisses du raisonnement théorique. Il est accepté et ne fait pas l’objet d’une

vérification. Le concept est une représentation abstraite, par et dans la pensée, d’un objet réel, selon laquelle le

raisonnement et les hypothèses de recherche se définissent (Brunet et al., 1997 ; Bailly et Beguin, 1998)

99

Figure 3-2 : Objectif, problématiques, hypothèses, postulats et concepts de la thèse

En guise de première hypothèse de recherche, nous considérons que la déclinaison

opérationnelle des dynamiques sociales au sein des AMPs se fait au moyen d’indicateurs

d’acceptation sociale. Cette hypothèse repose sur deux postulats, chacun introduisant un concept

fondateur.

L’acceptation sociale est une condition nécessaire pour garantir l’efficacité

d’une AMP

Selon Gilmore, la réussite des projets de conservation d’espaces naturels repose sur trois piliers

d’importance équivalente : la durabilité écologique, l’acceptation sociale et la faisabilité économique

(Gilmore, 1997). Ainsi pouvons-nous affirmer au titre de notre premier postulat que l’acceptation

sociale est une condition nécessaire pour garantir l’efficacité d’une AMP.

Le concept d’acceptation sociale est utilisé de manière croissante dans la mise en place et

l’évaluation de projets de tous types. Employé dans différents domaines, sa définition varie selon le

contexte dans lequel elle est utilisée et souffre donc d’imprécision. Les recherches et les références

scientifiques en la matière sont d’ailleurs plutôt limitées. Si l’on trouve un certain nombre de

100

publications sur le sujet de l’acceptation sociale du risque (Slovic et Weber, 2002 ; Debia et Zayed,

2003 ; Hergon et al., 2004) ou sur celle de programmes de gestion forestière (Hansis, 1995 ; Stankey,

1996 ; Kakoyannis et al., 2001), l’acceptation sociale des aires protégées est encore un domaine de

recherche peu exploré, particulièrement sur les problématiques marines.

Depraz a cependant largement exploré le concept dans le cadre des parcs nationaux allemands

(Depraz, 2005). Il y définit une « échelle d’acceptance » grâce à laquelle il distingue notamment les

concepts d’acceptation et d’acceptance (de l’allemand, Akzeptanz) selon qu’ils mobilisent les

composantes affectives, cognitives et/ou conatives48. Selon lui, l’acceptance est un degré supérieur de

l’acceptation dans la mesure où elle sous-entend une appropriation et une assimilation à la sphère du

connu, voire de l’intime, de l’objet en question. L’acceptation serait à rapprocher du concept

d’adhésion et ne renverrait qu’à la dimension perceptive sans pour autant inclure une dimension

comportementale. Ainsi, l’acceptation supposerait-elle « un mouvement volontaire vers une idée ou

un groupe social donné » tandis que l’acceptance indiquerait « une réaction positive à une situation

qui s’offre à soi, que l’on n’a pas cherchée » (Depraz, 2005).

Cependant, la réflexion scientifique sur l’acceptation sociale et ses différentes acceptions tend

progressivement à s’intensifier. En témoigne la récente conférence organisée par l’Université de

Savoie à Chambéry49, dont le titre plaçait l’acceptation sociale au coeur des problématiques des

espaces protégés et des conflits environnementaux. La publication prochaine des Actes du colloque

devrait apporter une contribution certaine à la recherche sur cette thématique.

Dans cette thèse, on donnera au concept d’acceptation sociale le même sens que celui

d’acceptance chez Depraz et on le distinguera également de celui d’acceptabilité sociale. Alors que

l’acceptabilité sociale se limite à la mesure d’un assentiment accordé à un outil, une réglementation,

un risque ou encore un organisme, par un individu ou par un groupe d’individus réunis sur des

critères géographiques, sociaux, économiques et/ou culturels (Thomassin et al., 2010), l’acceptation

intègre également l’appropriation réelle et le respect par les actes de la mesure.

L’acceptabilité se réfère aux sphères idéelle et perceptive et ne demande qu’un engagement social

limité. L’acceptation se situe, elle, du côté de la sphère du réel, incluant les dimensions

comportementale et perceptive. Elle mobilise ainsi les composantes affective, cognitive et

conative tandis que l’acceptabilité est uniquement cognitive. L’écart entre ces deux concepts est

important car il est aisé d’admettre quelque chose dans les faits, sans pour autant l’accepter en son

for intérieur. Ainsi, l’acceptabilité sociale mesure-t-elle une probable acceptation.

L’acceptation sociale d’un projet est une question de valeurs. Elle est bonne lorsque les

bénéfices escomptés sont perçus comme étant supérieurs aux contraintes qu’elle engendre. Pour

reprendre l’idée de Slovic et Weber (2002) appliquée aux risques, une AMP devient acceptable

lorsqu’elle devient familière, si ses bénéfices sont clairs, si l’on fait confiance à ceux qui la gèrent et si

les contraintes sont équitablement partagées(Slovic et Weber, 2002). Autant de critères qui rendent

le concept vaste et difficilement mesurable et qui en font également une construction sociale

instable : elle varie dans le temps et selon l’échelle considérée. Ce qui n’était pas accepté il y a 10 ans,

peut l’être aujourd’hui. En outre, il existe souvent une phase de défiance face à toute innovation,

naissant du changement brusque que cette dernière impose. Cette défiance n’exclut pas la fascination

et l’attirance pour l’objet en question et pourra s’effacer par la suite à force d’utilisation de celui-ci

(Depraz, 2005). L’installation de Dispositifs de Concentration de Poissons (DCP) en 1988 à La

Réunion est un bon exemple. Les pêcheurs se montrent d’abord réticents à cette innovation tant elle

demande de modifications dans leurs sites de pêche comme dans leurs techniques habituelles. Pour

certains pêcheurs, la pêche sur DCP est d’ailleurs vécue comme l’apprentissage d’un nouveau métier

(Ah-Nième, 1997). Mais rapidement, ceux-ci comprennent l’opportunité que leur offre les DCP et se

les approprient totalement. Le succès est tel que l’on estime qu’en 1989 environ la moitié des gros

pélagiques a été capturé près des DCP (Biais et Taquet, 1992). De même, un projet pourra être jugé

48 La composante cognitive se réfère à la perception d’un objet exogène par un individu ou un groupe

d’individu. La composante conative revoit à une réaction comportementale au sujet de cet objet.

49 Colloque international de sciences humaines et sociales : « Espaces protégés, acceptation sociale et conflits

environnementaux » Chambéry, France (16-18 Septembre 2009)

101

acceptable à l’échelle d’un petit groupe et ne pas l’être pour un groupe plus important en nombre.

Ainsi, Pollnac affirmait lors de l’International Marine Conservation Congress (Washington, Mai 2009) que

l’acceptation d’une AMP dépendait de sa taille, les petites AMPs étant plus facilement acceptées et

appropriées car la population attenante est plus réduite et plus homogène (com. pers.).

L’acceptation est donc, par essence, complexe et sa mesure ne peut se limiter à une dimension

binaire : « j’accepte ou je n’accepte pas ». Utile pour rendre des comptes, synthétiser ou évaluer un

projet, cette mesure binaire ne fournit pas d’outil opérationnel au gestionnaire lui permettant de

comprendre les causes de l’acceptation ou de la non-acceptation et d’agir dessus. Ainsi ce type de

mesure simplifie-t-elle trop l’opinion des individus en lissant la diversité et la complexité de leurs

perceptions. L’acceptation sociale est, en effet, un condensé de perceptions individuelles. Certains

auteurs intègrent également des facteurs sociaux, éthiques ou la recherche de l’équité (Hergon et al.,

2004) pour la mesurer. Nous considérons que ces facteurs font partie intégrante de la construction

des perceptions individuelles et qu’il n’est donc pas nécessaire des les distinguer. C’est pourquoi

mesurer l’acceptation sociale d’un projet revient à collecter les perceptions que chacun des

individus appartenant au groupe considéré ou qu’un échantillon de ceux-ci a de ce projet.

Les indicateurs permettent de synthétiser l’information, de la hiérarchiser et de

prendre des décisions en conséquence pour améliorer la gestion locale de

l’AMP

En plus d’une riche bibliographie sur le sujet, ce deuxième postulat repose sur les recherches

menées dans le cadre de deux projets impliquant l’US ESPACE de l’IRD. Il s’agit des projets

VALSECOR (Estimation de la Valeur socio-économique des récifs coralliens) et PAMPA (Indicateurs

de la performance d’Aires Marines Protégées pour la gestion des écosystèmes côtiers, des

ressources et de leurs usages), dans le cadre desquels une réflexion sur les indicateurs a été engagée.

Ainsi, selon l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), un

indicateur se doit-il de créer de l’information ayant « une signification synthétique dans un but

spécifique ». Il doit permettre d’agréger et de simplifier l’information de base (Rey-Valette, 2001) et

doit créer du sens à travers le choix des données qui le composent et leur interprétation (Bouni,

1998). Toute l’originalité de l’utilisation d’indicateurs en géographie est de pouvoir non seulement

fournir des informations synthétiques mais également les utiliser pour caractériser des situations et

différencier ainsi des espaces sur des données comparables (Pinchemel et Pinchemel, 1997). Le

caractère quantitatif ou semi-quantitatif d’un indicateur (Pelletier et Beliaeff, 2008) doit effectivement

permettre de hiérarchiser l’information afin d’établir un diagnostic. Pour se faire, et dans l’idéal, un

indicateur doit posséder six qualités (Mirault, 2006) :

La fiabilité : il ne faut pas qu’il puisse présenter de déformation suivant la nature de

l’observateur ;

La pertinence : il doit correspondre aux objectifs qui lui ont été assignés ;

La sensibilité : il doit être en mesure de révéler les modifications marginales de la situation ;

La facilité : les méthodes de collecte et les mesures doivent être simples ;

La clarté : il doit faciliter les éventuelles prises de décision. Il doit donc être compréhensible

et facile à communiquer ;

La comparabilité : il doit, si possible, pouvoir être comparé dans le temps et dans l’espace.

En plus de la synthèse et de la hiérarchisation de l’information, un indicateur doit également aider

à la gestion locale de l’AMP. Il doit rendre perceptibles certains mécanismes ou relations qui ne

l’étaient pas auparavant. Ainsi, Boulanger propose-t-il de considérer l’indicateur comme « une

variable observable utilisée pour rendre compte d’une réalité difficilement observable » (Boulanger,

2005) pouvant être mobilisée à des fins de diagnostic, de communication, d’aide à la décision ou

102

d’évaluation de performance. C’est pourquoi un indicateur doit être conçu par rapport à des

objectifs de gestion particuliers.

L’intérêt pour les indicateurs utiles à la gestion locale des AMPs est relativement récent. A la

demande des gouvernements nationaux et des bailleurs de fonds, les indicateurs ont tout d’abord eu

pour finalité d’évaluer l’efficacité des investissements dans la conservation ainsi que la performance

des AMPs. L’élaboration de protocoles de suivis internationaux, comme le Millennium Ecosystem

Assessment, ont permis de développer des approches génériques, à des fins de compte-rendu ou de

reporting (Bowen et Riley, 2003). Ces approches ne peuvent prétendre répondre aux attentes des

gestionnaires. Le protocole SocMon se situe au croisement entre ce besoin de reporting et le besoin

de gestion locale. En témoignent les études socio-économiques réalisées dans la région et le format

des résultats issus des enquêtes (Hardman et al., 2006 ; Andriamalala, 2008). Quand ce ne sont pas

de simples énumérations factuelles, le traitement des réponses s’avère relativement basique - sous la

forme d’un pourcentage - et en reste ainsi à la simple caractérisation de la population. L’absence de

mise en perspective des variables avec des objectifs de gestion rend les résultats peu opérationnels.

Ceux-ci caractérisent certes un état mais ne participent pas à la compréhension du processus qui

conduit à cet état. En ce sens, ils ne peuvent pas être considérés comme de véritables indicateurs

d’aide à la décision ou d’évaluation de la performance de l’AMP puisqu’ils ne font que caractériser

une réalité observable.

Dans le but de compléter et d’améliorer l’appréhension des dynamiques sociales au sein des

AMPs, les indicateurs proposés dans cette thèse seront synthétiques, quantitatifs et destinés à

la gestion locale.

Synthétiques, dans le sens où ils agrègent plusieurs variables, devenues métriques révélant ainsi

des dynamiques imperceptibles à première vue. Pour autant, ce ne sont pas des indicateurs

synthétiques, ou indices, au sens où l’entend Boulanger (2005)50. Ces indices, tels que l’Indice de

Développement Humain (IDH), ont vocation à tout synthétiser jusqu’à aboutir à une simplification

trop importante de la réalité. Paradoxalement, les indicateurs de base qui les composent sont d’une

grande richesse. C’est pourquoi, dans ce travail, nous présenteront une batterie d’indicateurs « de

base » qui, pour être considérés comme de véritables indicateurs, procèdent à la synthèse de

plusieurs métriques.

Quantitatifs, pour qu’ils puissent être hiérarchisés et comparés dans le temps et dans l’espace.

Dans la plupart des cas, l’étude des dynamiques sociales au sein des AMPs se fait au moyen de

l’analyse de perceptions, des comportements, des conflits ou encore des relations entre et parmi les

acteurs, usagers et gestionnaires. Les enquêtes ouvertes ou les entretiens sont les moyens les plus

appropriés pour collecter ce type d’informations. Leur caractère qualitatif rend l’identification de

métriques et le calcul d’indicateurs ardus et particulièrement peu développés sur le thème des AMPs

(Pelletier et al., 2005). Il existe en effet un décalage entre le mode d’acquisition des connaissances en

sciences sociales qui vise avant tout la compréhension en profondeur des dynamiques et qui

demande temps et investissement personnel sur le terrain pour parvenir à saisir la complexité des

jeux d’acteurs et la finalité attendue en termes d’indicateurs dont l’objectif reste de synthétiser et de

simplifier la réalité pour aider et guider les choix de gestion. Ainsi y-a-t-il, à première vue, une sorte

d’incompatibilité entre le fond (le type de données recherchées par le chercheur en sciences

sociales) et la forme (le format de données recherché par les gestionnaires). Pour autant, nous

proposons, dans cette thèse, une démarche simple pour traiter l’information qualitative afin de

l’exprimer sous une forme quantitative sans pour autant perdre en qualité. Cette démarche est

détaillée dans le paragraphe 3 de ce chapitre.

Ces indicateurs sont donc destinés à la gestion locale dans la mesure ils ont vocation à

renseigner un des piliers de la réussite d’une AMP, à savoir l’acceptation sociale. Ils fournissent des

50 Pour Boulanger, un indice est un indicateur synthétique construit en agrégeant d’autres indicateurs dits

« de base »

103

mesures de satisfaction par type d’usagers et par sites et doivent ainsi permettre à la fois de prévenir

de potentielles crises, de cibler des actions de gestion, d’ajuster certaines réglementations ou de

renforcer la sensibilisation et la communication, comme de rendre compte aux élus et décideurs du

bien fondé et de la caution accordée à leurs actions.

2.2 Le territoire, filtre d’analyse de l’acceptation sociale

Le décalage avéré entre les attentes des gestionnaires et les potentialités du protocole SocMon a

également mis en lumière les limites de l’approche descendante51, ou top-down, pour étudier les

dynamiques sociales au sein des AMPs. La définition d’un modèle conceptuel ex-nihilo, à calquer aux

différentes AMPs de la région a effectivement montré combien les variables étudiées ne pouvaient

fournir une véritable aide à la gestion locale. Ici encore, la démarche propre aux sciences sociales est

singulièrement différente puisqu’elle s’intéresse par définition à l’Homme et à la Société. Son échelle

d’analyse privilégiée est donc locale. Ainsi, la compréhension des dynamiques sociales au sein des

AMPs se fait-elle spontanément en suivant une démarche ascendante, ou bottom-up, dès lors qu’elle

sous-entend une prise en compte de l’influence exercée par l’environnement extérieur à la société

(contextes politiques, économiques, historiques et culturels), propre à chaque cas. La question est

donc de savoir s’il est possible d’adopter une démarche ascendante, au plus proche du terrain, pour

caractériser les problématiques sociales et de la standardiser pour l’appliquer aux différents types

d’AMPs de la région, malgré l’hétérogénéité des contextes en présence. Telle est notre seconde

problématique.

Pour tenter d’apporter des éléments de réponse, nous posons une seconde hypothèse de

réponse en considérant le territoire comme un filtre d’analyse générique permettant

d’étudier l’acceptation sociale dans les AMPs de la région. Cette hypothèse repose sur trois

postulats, chacun étant organisé autour d’un concept fondateur.

L’appropriation de l’espace marin révèle des territoires relatifs aux usages, aux

représentations et à la règlementation

Bien qu’il soit couramment représenté par un voile bleu figurant le vide en cartographie, l’espace

marin n’en reste pas moins un espace approprié, exploité et géré par les sociétés. N’importe où sur

la planète, les cartes de pêcheurs sont parsemées de tracés, d’amers ou encore de noms qui

témoignent d’une prise de possession et d’une appropriation de cet espace marin (Trouillet, 2006).

Le Berre a d’ailleurs montré combien le fait de nommer un lieu était un signe d’appropriation (Le

Berre M., 1992) et Di Méo de faire de l’analyse phénoménologique l’entrée privilégiée pour identifier

et étudier les territoires (Di Méo, 1991 ; 1998). Même si par étymologie, le territoire renvoie au latin

terra, signifiant « morceau de terre approprié », un territoire peut donc parfaitement correspondre à

une portion de l’espace marin. Ainsi, dans cette thèse, considérons-nous que l’espace marin

approprié par les populations avoisinantes révèle un maillage de territoires divers et variés et que

l’identification et l’étude de la raison d’être de ces derniers constituent une des clés de la

compréhension des dynamiques sociales au sein des AMPs. Au même titre que « l’écosystème est

l’unité écologique de base, une construction mentale permettant la délimitation du champ étudié par la

science écologique » (Metzger, 1994, p.603), nous considérons donc que le territoire est l’unité

sociale de base permettant la délimitation du champ étudié par la géographie au sein

des problématiques de la conservation.

A l’origine, le concept de territoire est issu de l’éthologie. Sa définition, élaborée notamment

par Ardrey, considère le territoire comme « un espace vital terrestre, aquatique ou aérien, qu’un

51 On appelle démarche descendante une démarche élaborée à l’échelon global à partir d’un modèle

conceptuel et devant s’appliquer à l’échelon local. A l’opposé une démarche ascendante est élaborée à partir

des expériences relevées à l’échelon local.

104

animal ou qu’un groupe d’animaux défend comme étant sa propriété exclusive » (Amélie-Emmanuel,

2007). Selon Di Méo, cette conception biologique et animale apporte des informations utiles à la

compréhension de l’essence même des valeurs territoriales (Di Méo, 1996). Rapidement, l’acception

du concept prend une tournure politique lorsqu’il est associé à l’expression « Aménagement du

territoire ». Il est alors considéré comme « un système complexe, comprenant non seulement des

espaces urbanisés, ruraux et autres, comme des terrains industriels, mais aussi la nature dans son

ensemble et l’environnement dans lequel vivent les êtres humains. C’est le support et le cadre

indispensable de l’établissement et de l’activité de l’homme et par conséquent la base du

développement durable » (13ème conférence européenne des ministres responsables de

l’aménagement du territoire) (David et Thomassin, 2007).

A partir des années 1980, le concept de territoire se généralise en géographie et fait l’objet d’un

nombre considérable d’ouvrages et d’articles, tentant chacun de lui donner une définition. Pour les

géographes, le territoire est une construction sociale émanant des logiques d’acteurs. Il n’en reste

pas moins polysémique. En témoignent les différentes acceptions qui ont pu lui être attribuées :

Pour Ferrier, c’est un espace rempli de sens avec lequel les hommes entretiennent un

rapport étroit (Amélie-Emmanuel, 2007). Sa thèse d’état en 1981 a permis de réorienter

l’usage de ce concept en géographie, en dépassant l’analogie courante au mot espace ;

Pour Raffestin, le territoire est à rapprocher de la notion de pouvoir (Raffestin, 1980) ;

Pour Bonnemaison, « c’est cette parcelle d’espace qui enracine dans une même identité et réunit

ceux qui partagent le même sentiment » (Bonnemaison, 2000, p.130), c’est une extension

spatiale de la culture, qui introduit la notion de la symbolique de l’espace (Bonnemaison,

1981) ;

Pour Le Berre, « le territoire est la portion de la surface terrestre appropriée par un groupe social

pour assurer sa reproduction et la satisfaction de ses besoins vitaux » (Le Berre M., 1992) ;

Pour Brunet, « le territoire est à l’espace ce que la conscience de classe, ou plus exactement la

conscience de classe conscientisée est à la classe sociale potentielle : une forme objectivée et

consciente de l’espace » (Brunet et Dollfus, 1990)

Pour Di Méo, le concept réunit deux composantes, celle d’espace social et d’espace vécu (Di

Méo, 1998).

De cette énumération non-exhaustive de définitions, nous retiendrons que le concept de

territoire possède une double dimension, matérielle et idéelle. Debarbieux et Lardon affirment

d’ailleurs que le territoire a cette particularité de permettre l’articulation entre ces deux dimensions

(Debarbieux et Lardon, 2003). La dimension matérielle renvoie au territoire-milieu, au territoireressource,

au territoire-support des pratiques, tandis que la dimension idéelle est à rapprocher des

systèmes de représentation qui guident les sociétés dans l’appréhension qu’elles ont de leur

« environnement » (Moine, 2006). Toutes deux, distinctes ou combinées, fondent un sentiment

d’appartenance (« je suis de là ») et d’appropriation (« c’est à moi, c’est mon espace ») au fil du

temps. Ainsi l’espace a-t-il besoin de « l’épaisseur du temps, de répétitions silencieuses, de maturations

lentes, du travail de l’imaginaire social et de la norme pour exister comme territoire » (Marié et Tamisier,

1982).

Pour Di Méo, le territoire « témoigne d’une appropriation à la fois économique, idéologique et

politique de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur

histoire, de leur singularité » (Di Méo, 1998). Qu’ils soient matériels ou idéels, les liens tissés entre un

espace marin et la population riveraine révèlent donc trois types de territoire (David et Thomassin,

2007) :

Le territoire des usages, qui correspond à une appropriation économique ou récréative

de l’espace marin (pêche, baignade, sports nautique, etc.). La pratique régulière de ces

activités, économique ou non, délimite différents territoires. De même, chaque usager au

sein de chaque type d’usage s’approprie des territoires différents. Le territoire des usages

correspond donc à la réunion des territoires de pratique des différents usagers.

105

Le territoire de la réglementation, qui renvoie à une appropriation politique de l’espace

marin. Il est composé des différents zonages administratifs correspondant aux territoires de

compétences des différentes instances en charge de sa gestion (communes, communauté de

communes, services de l’Etat, etc.) et réglementaires, lorsqu’il existe une réglementation

d’accès ou d’utilisation du milieu (réserve de pêche, zone de baignade, etc.). Au delà de la

nécessaire appropriation par les instances administratives, le territoire de la réglementation

peut également être approprié par les usagers du milieu dès lors que le zonage réglementaire

est intériorisé dans leurs pratiques et qu’ils le respectent.

Le territoire des représentations, qui témoigne d’une appropriation idéologique et

symbolique de l’espace marin (bon site de pêche, zone dangereuse, site d’importance

historique, etc.). A la différence des territoires des usages et de la réglementation, celui des

représentations n’a pas de réalité matérielle puisqu’il relève de l’idéel. Ainsi, dans l’absolu,

tout usager détient-il une perception de l’espace marin, des usages qui en sont faits et de sa

réglementation. Ces perceptions sont, par essence, personnelles mais chaque usager peut

cependant être rattaché à un groupe d’intérêt52, au sein duquel on considère que les

perceptions sont homogènes.

Ainsi, quel que soit l’espace marin, les individus donnent-ils de la valeur aux espaces qu’ils se sont

appropriés. Ces liens sont puissants et conditionnent leurs logiques d’action ainsi que leurs opinions

face à tout projet de conservation du milieu. Occulter cette dimension dans un protocole de suivi

des dynamiques sociales, revient à supposer qu’il suffit que les conditions sociales et économiques

des individus s’améliorent pour qu’ils parviennent à accepter et à s’approprier l’aire protégée.

L’attachement aux territoires représente pourtant l’une des principales causes de l’apparition de

conflits et d’opposition au projet. C’est pourquoi le territoire se situe au coeur de notre démarche,

en tant que filtre d’analyse des dynamiques sociales, filtre commun à l’ensemble des AMPs de la

région.

Une AMP est une création territoriale qui, en se surimposant à un maillage de

territoires déjà existants, révèle la territorialité des populations locales

Dans la continuité de notre réflexion conceptuelle sur le territoire, nous considérons que la mise

en place d’une AMP revient à créer un nouveau territoire réglementaire. Bornée dans l’espace,

l’AMP impose des règles d’utilisation et d’accès à l’espace marin et renvoie donc à une appropriation

politique de l’espace par une administration, une ONG, un privé, une association et/ou un bailleur de

fond. Cette création territoriale se superpose à un maillage de territoires pré-existants,

résultant de l’appropriation de l’espace marin par les différents types d’usagers habituels. A moins

d’une concertation menée d’égal à égal entre les décideurs et les populations locales, la nouvelle

réglementation vient contraindre les usages et les représentations en présence et engendre des

crispations voire des conflits. Ceux-ci sont l’expression d’une non acceptation de l’AMP, découlant

d’une territorialité bafouée pour les usagers.

La territorialité correspond à l’assemblage des différents territoires d’appartenance de chaque

individu (Di Méo et Buléon, 2005). Y est associé un comportement qui peut rappeler la conception

du territoire par les éthologues. Ainsi, Soja la définit-elle comme « un phénomène comportemental

associé à une organisation de l’espace en sphères d’influence et territoires distincts et délimités, considérés au

moins comme exclusifs par leurs occupants et concepteurs » (Soja, 1971). Ce comportement est, selon

Bonnemaison, « l’expression d’une relation sociale et culturelle qu’un groupe entretient avec la trame

52 Ce groupe d’intérêt peut être réuni autour d’un usage commun, d’une histoire commune, de liens

amicaux ou familiaux, etc.

106

d’itinéraires et de lieux hiérarchisés et interdépendants, dont la figure au sol constitue un territoire »

(Bonnemaison, 1981 ; 1987).

Etudiée sur l’ensemble des îles hautes du Pacifique, la territorialité, selon David (1999), se décline

sous trois formes : la territorialité économique, la territorialité politique et la territorialité identitaire

(David, 1999). Par la mise en parallèle des expériences du Vanuatu, de la mer d’Iroise et de La

Réunion, David montre que ces dynamiques territoriales sont relativement analogues quelle que soit

l’AMP considérée (David et Thomassin, 2007). Il ajoute que l’expression de ces trois formes de

territorialités n’est ni zonale, ni corrélée au contexte économique et social environnant l’AMP. Elles

se retrouvent donc partout et les quelques variations observées relèvent de variations d’intensité de

l’une ou de plusieurs des trois formes de territorialité.

Quelle que soit l’AMP considérée, on assiste notamment à une dynamique marquée par un

renouveau de la territorialité identitaire correspondant à une réaction des acteurs locaux face

à des processus d’exploitation ou de contrôle du territoire local, décidé au niveau national, voire

international (David et Thomassin, 2007). Le sentiment d’appartenance à un territoire figure, en effet,

parmi la multitude de référents identitaires potentiels que sont l’appartenance sociale, religieuse,

familiale, professionnelle, etc. Ainsi Guérin-Pace a-t-elle montré, au cours d’une enquête quantitative

de grande envergure sur la construction des identités réalisée en 2003, que ce sentiment était parmi

les plus importants pour fonder l’identité d’un individu (Guérin-Pace, 2006). Dans le cas de la

création d’une AMP impulsée, la plupart du temps, par un organisme extérieur à la communauté

locale, l’objectif de protection des ressources et habitats marins conduit-il les acteurs locaux à

exprimer tout d’abord une territorialité économique. Elle se traduit par la revendication d’un partage

des bénéfices escomptés, soit sous la forme de compensations monétaires, soit sous la forme

d’emplois. En cas de refus, cette revendication ravive une territorialité identitaire fondée sur le

sentiment d’être injustement dépossédé d’un bien dont la communauté locale avait auparavant

l’usufruit. Cette territorialité identitaire s’exprime alors par un non respect des réglementations et

une opposition totale au projet.

Ces analogies justifient donc l’hypothèse que l’étude des dynamiques territoriales au sein des

AMPs est une entrée générique, permettant d’aborder la complexité de la dimension sociale en

dépassant les différences de contextes entre les pays.

L’acceptation sociale d’une AMP est fonction de la satisfaction des enjeux

territoriaux des usagers

Révélées lors de la mise en place de l’AMP, ces territorialités traduisent une discordance entre le

nouveau territoire réglementaire et le maillage de territoires pré-existants, appropriés par les

populations locales (David et al., 2006). Ces derniers sont en effet, porteurs d’enjeux pour ces

populations, enjeux que l’AMP vient contraindre par la régulation de l’accès à certaines zones ou la

réglementation de certaines pratiques. Le terme enjeu est à prendre aux sens de « ce qu’il y a en

jeu » ou de « ce qu’on espère gagner ou qu’on s’expose à perdre » pour la population lors de la

création de l’aire protégée. Ils sont l’expression à la fois des valeurs que les usagers accordaient aux

services que rendaient ce territoire et l’écosystème qu’il porte avant qu’il ne soit protégé (Mirault,

2006), mais aussi de la crainte de perdre ces services. Ils se traduisent par des attentes envers l’aire

protégée et peuvent être de trois types :

Des enjeux de type économique, découlant de la pratique d’une activité marchande au

sein de l’aire protégée (pêche professionnelle, plongée, tourisme, etc.). Ces enjeux sont l’expression

d’une territorialité économique rattachée à des territoires d’usages appropriés à des fins marchandes.

Les acteurs économiques concernés attendent, avant tout, de l’aire protégée qu’elle leur assure la

poursuite de leur activité sans trop les contraindre. Ces contraintes sont acceptées dès lors que

l’AMP leur propose des perspectives de développement par le biais d’une meilleure gestion ou de

107

Des enjeux de type environnemental, résultant d’un besoin de protéger un patrimoine

naturel support d’usages et de représentations. Ces enjeux sont donc l’expression d’une territorialité

identitaire et politique. Il s’agit de protéger un territoire auquel les usagers estiment appartenir et sur

lequel ils fondent une partie de leur identité au travers de leurs activités marchandes ou récréatives

ainsi qu’au travers de leurs représentations. L’état de santé de l’environnement marin conditionne en

effet la pratique de certaines activités (baignade, observations des fonds marins, pêche, etc.) ainsi que

les valeurs accordées au territoire, valeurs qui déterminent l’appropriation idéologique et symbolique

de l’espace marin. L’ensemble des acteurs attend donc de l’AMP qu’elle permette une gestion durable

et une protection efficace de l’environnement marin afin de pérenniser usages et représentations en

présence.

Des enjeux de type identitaire, découlant d’une territorialité identitaire exacerbée par la

mise en place de l’AMP. L’appréhension de ces enjeux portés par le territoire n’est pas aisée

puisqu’elle s’inscrit dans l’ordre des représentations et des perceptions individuelles (Di Méo et

Buléon, 2005). Bien qu’ils restent les moins saisissables, les enjeux identitaires sont souvent les plus

forts. Ils résultent d’un sentiment de dépossession d’un bien que les différents acteurs estiment être

le leur et peuvent donc prendre des proportions insoupçonnées. Ainsi sont-ils souvent la cause des

conflits et crispations au sein des AMPs. Ces enjeux sont également l’expression d’une territorialité

politique des acteurs qui renvoie au besoin de participer activement aux décisions concernant l’avenir

de ce territoire auquel ils s’identifient. Les enjeux identitaires se rapportent donc au territoire

réglementaire mais également à ceux des usages et des représentations, tous fondateurs du

sentiment identitaire.

Le lent processus de construction de l’acceptation sociale d’une AMP débute ainsi par

l’identification des territoires pré-existants et des territorialités sous-jacentes. Ces dernières,

inconscientes au demeurant, se révèlent dès lors que l’AMP devient un projet. La phase de

concertation et de négociation antérieure à la création de l’AMP voit ces territorialités se traduire

sous la forme d’enjeux que l’AMP devra satisfaire au mieux pour être acceptée et appropriée. Ainsi

l’acceptation sociale d’une AMP est-elle fonction du degré de satisfaction de ces enjeux de territoire.

Ce processus est résumé par la Figure 3-3.

Figure 3-3 : Territoires, territorialités et enjeux de territoire au coeur de l’acceptation sociale

des AMPs

108

3. Une méthode pour estimer l’acceptation sociale

Pour parvenir à valider ou infirmer nos deux hypothèses de recherche et, par ce biais, à

répondre à notre problématique, il convient de préciser la méthodologie suivie. Celle-ci repose sur

l’emboîtement de trois échelles d’analyse : l’échelle régionale, l’échelle de la communauté et l’échelle

de l’usage.

L’analyse des AMPs à petite échelle (région sud-ouest de l’océan Indien composée des pays

membres de la COI) constitue la première étape. Elle doit aboutir à la sélection de terrains d’étude

sur lesquels doivent être menés les investigations. Dans un second temps, l’approche

méthodologique sera précisée à l’échelle de la communauté locale. Ce terme, galvaudé malgré son

imprécision, est central dans la mise en place du protocole d’enquête. C’est pourquoi il convient de

revenir sur sa définition pour justifier notre approche. Pour finir, l’analyse sera affinée à une plus

grande échelle, celle des différents usages en présence au sein de l’AMP. Cette échelle représente

l’échelle de référence pour la conduite des enquêtes.

3.1 Le choix des terrains d’étude à l’échelle régionale

Du plus large au plus précis, le protocole de recherche a d’abord été dédié au choix des terrains

d’étude. L’échelle régionale du sud-ouest de l’océan Indien, croisée avec celle, plus politique, des pays

membres de la COI a fourni un cadre à cette sélection, laquelle repose sur trois principaux critères :

le niveau de développement, la logique de conservation en présence et l’état d’avancement des

AMPs. La prise en compte de ces critères a permis de sélectionner les terrains les plus représentatifs

de la diversité présente dans la région dans l’optique du développement d’une méthode générique de

suivi des dynamiques sociales au sein des AMPs. Dans un second temps, la question s’est portée sur

la méthode utilisée pour mener de front une étude sur plusieurs terrains et pour produire des

connaissances dans ce va-et-vient continuel entre des terrains parfois radicalement différents et avec

lesquels le chercheur entretient des degrés divers de distance ou de proximité.

a) Trois critères pour sélectionner les terrains d’étude :

Pour commencer, il est apparu essentiel d’effectuer une première distinction au sein des pays de

la COI en fonction de leur niveau de développement, tant les contextes économiques et sociaux sont

au coeur de notre problématique. L’Indice de Développement Humain (IDH) a été retenu pour

caractériser cet état de développement dans la mesure où il repose à la fois sur une variable

économique relative au PIB réel par habitant (corrigé de l’inflation et calculé en parité du pouvoir

d’achat) qui procure une indication sur le niveau de vie moyen du pays, mais également deux

variables plus sociales. Il s’agit de l’espérance de vie à la naissance qui donne une idée de l’état

sanitaire de la population du pays et du niveau d'instruction mesuré par la durée moyenne de

scolarisation et le taux d'alphabétisation.

Créé par le PNUD, cet indicateur conserve cependant un biais important dans le cas des pays du

sud-ouest de l’océan Indien. Ainsi, leur spécificité réside-t-elle dans le morcellement de leur territoire

sous la forme d’archipel ou de chapelet d’îles, à l’origine de niveaux de développement disparates.

L’échelle de la nation à laquelle est, le plus souvent, calculé cet indice ne tient pas compte des fortes

disparités existant entre les différentes îles constituant le territoire national. Il s’agit par exemple du

cas de Rodrigues qui est intégré au territoire mauricien, et donc au calcul de son IDH, mais qui, pour

autant, ne possède pas une économie et un développement équivalents. C’est également le cas pour

La Réunion qui, malgré son statut de département français, connaît des retards de développement

par rapport à sa métropole, dus en partie à son éloignement. L’IDH français n’est donc pas révélateur

de l’état de développement économique et social réunionnais.

109

Plusieurs études ont tenté d’estimer l’IDH des îles, indépendamment du territoire national

(Bouchard, 2005 ; Goujon, 2008). Seul le calcul de l’IDH de Rodrigues reste encore approximatif. On

tiendra compte de la moyenne des bornes présentées par Bouchard, soit 0,6 (Tableau 7).

A l’échelle mondiale, le PNUD propose le classement suivant :

pays à développement humain élevé (IDH >= 0,8)

pays à développement humain moyen (0,5 <= IDH < 0,8)

pays à faible développement humain (IDH < 0,5)

Nous préfèrerons un classement à l’échelle de la région sud-ouest de l’océan Indien qui révèle

davantage les spécificités locales :

pays à développement humain élevé (IDH >= 0,8) : Maurice, Seychelles, La Réunion

pays à développement humain moyen (0,6 < IDH < 0,8) : Rodrigues

pays à faible développement humain (IDH < 0,6) : Madagascar, Comores

Le deuxième critère retenu est celui des logiques de conservation à l’origine de la création des

AMPs dans le pays. L’intégration et la participation des populations locales dans la mise en place des

AMPs étant un facteur déterminant dans la construction de l’acceptation sociale, il nous a semblé

indispensable de tenir compte de cet aspect dans la sélection de nos terrains. La typologie effectuée

au chapitre 2 nous a servi de référence pour distinguer à nouveau trois groupes (Tableau 7).

Le troisième et dernier critère retenu est celui de l’état d’avancement des AMPs dans chaque

pays. Cet état d’avancement étant mesuré selon une date de référence, le début de cette thèse en

2007. L’acceptation sociale évoluant au cours du temps et des effets de la protection du milieu, il est

apparu pertinent de distinguer les AMPs en cours ou très récemment créées, de celles existant

depuis plus de 5 ans (Tableau 3-7). Pour Madagascar, la classification par AMP eut été intéressante

tant les dates de création diffèrent. Ce niveau de détails n’apparaît pourtant pas dans le tableau par

soucis de synthèse. Les précisions sont présentées dans le Chapitre 2.

Tableau 3-7 : Critères de sélection pour le choix des terrains d’étude

Développement

Ile / Pays

IDH Classement

Logique de

conservation

Etat

d’avancement

Comores 0,576 faible Conservation-

Participation

+ de 5 ans

La Réunion 0,881* élevé De l’exclusion à la

participation

En cours

Madagascar 0,543 faible De l’exclusion à la

participation

En cours / + de 5

ans

Maurice 0,804 élevé Conservation-Exclusion + de 5 ans

Rodrigues [0,5-0,7] soit

0,6**

moyen Conservation-

Participation

En cours

Seychelles 0,845 élevé Conservation-Exclusion + de 5 ans

* Sources : IDH estimé datant de 2003 (Goujon, 2008)

** Sources : IDH estimé datant de 2003 (Bouchard, 2005)

Au final, le nombre de terrain à retenir s’est arrêté à deux, choix incluant à la fois le besoin de

mettre en parallèle les expériences en vue d’une analyse de la généricité de la démarche mais

également la nécessité d’une charge de travail réaliste et faisable dans le cadre d’une thèse. Les

contraintes financières et temporelles ont également motivé ce choix.

Limité à deux terrains, l’objectif de généricité impliquait que l’on retienne en priorité les cas

extrêmes en termes de développement, ce qui mettait Rodrigues de côté. Concernant les logiques

de conservation, le choix a été fait de ne considérer que les cas d’AMPs ayant progressivement ou

totalement inclus les populations locales dans le processus de décisions. Il nous a semblé en effet plus

pertinent de mettre en place une méthode d’évaluation de l’acceptation sociale dans un contexte de

110

participation, facilitant la prise de parole et l’expression des opinions. Les exemples de Maurice et

des Seychelles ont donc été évincé de la sélection. Pour finir, il nous a semblé intéressant de

sélectionner deux AMPs ayant des stades d’avancement différents pour intégrer l’aspect temporel

dans notre analyse de l’acceptation sociale.

Tenant compte de l’ensemble de ces choix, les cas de La Réunion et des Comores ont été

retenus. La pertinence de ces deux terrains a été renforcée par un contexte propice et un besoin

d’études sociales, exprimé par les gestionnaires. L’année 2007, date de début de thèse, voit la

Réserve Naturelle Marine (RNM) de La Réunion être proclamée et le lancement d’une série d’étude

de l’état initial se lancer. Le travail mené dans le cadre de cette thèse s’est donc totalement inséré

dans le cadre de la caractérisation socio-économique de l’état initial de la RNM. Quant aux Comores,

l’année 2007 marque le re-démarrage des financements dans l’optique de la rédaction d’un plan de

gestion. L’arrêt des activités du Parc Marin de Mohéli (PMM) depuis 2003 justifie le besoin de

relancer des études et notamment d’estimer l’état de l’acceptation sociale du parc, plus de 6 ans

après sa création officielle.

Il convient également de préciser que des travaux antérieurs à cette thèse nous ont permis de

capitaliser un certain nombre de connaissances notamment sur l’AMP de Velondriake

(Andavadoaka) située dans le sud-ouest de Madagascar (Thomassin, 2005). Si ce cas d’étude

n’a pas fait l’objet d’enquêtes et d’observations de terrain dans le cadre précis de ce travail, cette

expérience contribuera également à la mise en perspective et à l’analyse de la généricité de la

méthode développée dans ce travail pour estimer l’acceptation sociale.

b) Entre comparaison et croisement des terrains

En faisant le choix d’étudier plusieurs terrains, la question de la méthode à suivre vient à se

poser, tant en termes de cadre théorique concernant l’analyse comparative, que de manière de

restituer les résultats des études.

D’un point de vue théorique, la comparaison des terrains d’étude en sciences sociales est

aujourd’hui courante. Elle présente notamment l’intérêt de faire ressortir les différences et les points

communs entre deux cas d’étude mais également de mettre en perspective des conclusions tirées de

monographies en les enrichissant d’autres expériences. La comparaison présente cependant un

certains nombre de limites relatives au positionnement et à l’objectivité du chercheur par rapport à

son terrain. Récemment, un certain nombre d’études ont tenté de développer de nouveaux cadres

méthodologiques pour pallier les limites de cette approche comparative (Detienne, 2000 ; Werner et

Zimmermann, 2004). Il en ressort notamment la théorie du croisement qui permet, selon Fleury,

« d’enrichir la comparaison telle qu’elle est classiquement mise en oeuvre, de trouver des réponses aux

problèmes qu’elle pose eu égard à la position de l’observateur ou à l’objet de la comparaison » (Fleury,

2008, p.2). L’approche croisée permet donc de sortir de l’étude du cas étudié par rapport à un autre,

en étudiant une entité à travers une autre entité, pour au final monter en généralité. Plutôt qu’un

modèle analytique, qui reviendrait à figer les choses, elle offre donc la possibilité d’appréhender la

complexité et le changement. En outre, la démarche de croisement présente l’intérêt, contrairement

aux approches plus classiques de la comparaison, d’intégrer une réflexion sur la place du chercheur.

Elle lui permet notamment d’assumer voire de revendiquer son ancrage, tout en restant ouvert à des

réajustements de ses grilles de lectures, grâce à la confrontation avec d’autres terrains (Fleury, 2008).

Ainsi autorise-t-elle le décentrement de l’oeil du chercheur par rapport à la société dans laquelle il

s’inscrit (Detienne, 2000).

Dans ce travail, il est bien question d’une analyse croisée entre les terrains retenus. Il

apparaît difficile, dans le cadre d’une thèse tout du moins, de travailler avec la même intensité sur

différents terrains : se familiariser avec des terrains étrangers puis y mener des investigations

demande du temps, sans compter les problèmes linguistiques et financiers liés aux déplacements

inter-îles. L’idée a été de revendiquer l’ancrage réunionnais induit par la localisation géographique de

notre laboratoire de recherche et de mettre à profit ce déséquilibre. Ainsi, la méthode

111

d’estimation de l’acceptation sociale s’est-elle construite à partir du cas réunionnais et

a-t-elle été par la suite confrontée au cas mohélien. Basée sur cet aller-retour à la fois

concret et immatériel, l’analyse de la généricité de la démarche a pu, par la suite, être nuancée par les

expériences passées malgaches et rodriguaises.

Pour autant, il convient de souligner que le même protocole d’enquête a été mis en place entre

les deux terrains principaux, condition nécessaire à toute étude comparée. Revendiquant notre

ancrage géographique, une grille de lecture basée sur le cas réunionnais a permis d’élaborer une

méthode pour estimer l’acceptation sociale d’une AMP. Consciente de sa spécificité et de la nécessité

de la mettre en perspective, les résultats de ce travail se sont construits dans un va-et-vient constant

entre La Réunion et les deux autres cas d’étude (Mohéli et Andavadoaka à Madagascar). Ces trois

AMPs n’ont donc pas été considérées les unes par rapport aux autres, mais surtout les unes à travers

les autres, selon la démarche du croisement.

Ce positionnement méthodologique justifie également la forme donnée à la restitution des

résultats dans ce travail. Il est courant de rencontrer deux stratégies propres aux démarches

comparatives (Hassenteufel, 2005) :

la « structuration par terrain » qui privilégie la description approfondie des terrains, au risque

d’une restitution qui les juxtapose ;

la « structuration par entrées analytiques » qui favorise au contraire une logique d’écriture

guidée par des hypothèses comparatives, au risque de déformer les cas nationaux en ne tenant

compte que de ce qui entre dans la comparaison.

Comme Fleury, nous nous inscrivons dans une « écriture du compromis », alternant ou articulant

ces deux logiques complémentaires (Fleury, 2008, p.7). La première permet de transmettre certaines

connaissances fondamentales au lecteur, au-delà de la comparaison, tandis que la seconde permet

d’éviter la comparaison factice.

3.2 La communauté locale : échelle générique pour l’analyse des

dynamiques sociales ?

Une fois les terrains identifiés et leur place dans l’élaboration de la démarche précisée, il s’agit

d’identifier la population ciblée par ce travail. Dans la plupart des études socio-économiques

associées aux aires protégées, cette population est désignée sous le vocable « communauté

locale ». Cette expression s’avère en effet, au coeur des problématiques de conservation. En

témoigne la richesse des références scientifiques rapportant les succès et les limites de la gestion

communautaire (« community-based management ») dans les aires protégées terrestres et marines (e.g.

White A. et al., 1994 ; Robinson, 1995 ; Pollnac et al., 2001 ; Oracion et al., 2005 ; Cinner et al.,

2008). Ainsi, la communauté locale représente-t-elle désormais la maille de référence pour l’étude

des dynamiques socio-économiques dans la plupart des AMPs de la région.

Pour autant, peu de travaux s’intéressent à l’analyse et à la définition de cette expression.

Agrawal et Gibson proposent tout de même une synthèse des caractéristiques rattachées à ce

concept et communément admises dans la littérature (Agrawal et Gibson, 1999). Ainsi, une

communauté est-elle couramment caractérisée par :

L’homogénéité de sa structure sociale : les membres d’une même communauté détiendraient

des critères ethniques, religieux, linguistiques et économiques (en termes de revenus, de biens et de

dépendance aux ressources) équivalents ;

Le partage d’intérêts et de normes communs : pour constituer une communauté, les

individus devraient partager des intérêts communs, susceptibles de prendre le dessus sur des

stratégies individuelles face à des choix d’avenir ;

112

Sa petite taille : il est supposé que plus le groupe d’individus est d’effectif faible, plus les

interactions et le partage de points de vue, facteurs caractéristiques d’une communauté évoqués cidessus,

sont facilités ;

La proximité spatiale : une communauté serait également déterminée par l’unité des lieux de

résidence des individus la constituant, unité qui induirait une proximité spatiale et faciliterait ainsi

l’homogénéité de la structure sociale du groupe.

Cette analyse se vérifie dans les pays en voie de développement dans lesquels les usagers du

milieu marin habitent, le plus souvent, à proximité les uns des autres et à proximité des ressources à

exploiter. Le regroupement villageois s’effectue en effet sur des critères historiques, ethniques,

religieux mais aussi sociaux et économiques qui fondent le sentiment d’appartenance à une même

communauté. C’est le cas à Mohéli où l’appartenance communautaire se fonde essentiellement sur le

découpage des territoires villageois. Cette structure villageoise est telle qu’elle a servi de référentiel

à la mise en place de la gouvernance du Parc Marin de Mohéli (PMM). Ainsi, chaque village est-il

organisé autour d’une association-mère chargée des projets de développement local et d’un écogarde

responsable, entre autres, du respect de la réglementation du parc. En outre, chaque village est

représenté par l’un de ses membres au comité de gestion du PMM. Pour finir, les usages en mer,

essentiellement consacrés à la pêche, s’effectuent, pour la plupart, à proximité du village de

rattachement du fait de l’utilisation courante de pirogues à balancier et à rames et du faible nombre

de vedettes à moteur. A tel point que les territoires villageois ont été prolongés en mer, formant des

« merroirs » au sens du territoire communautaire marin par analogie au terroir (Paris, 2003).

Dix villages riverains ont été intégrés à la concertation en amont et à la gestion post-parc. Ils

constituent donc dix communautés villageoises, au sein desquelles des entretiens ont pu être menés

auprès d’un échantillon de pêcheurs et de personnes ressources53.

En revanche, la déclinaison du concept de communauté dans le contexte d’un pays développé tel

que La Réunion pose problème. Déjà, les théories modernistes du début du XXème siècle

défendaient l’idée que le progrès économique entraîne des changements sociaux, à l’origine de la

disparition des structures communautaires. Ainsi, les pays développés auraient-ils vu le progrès

dissoudre les liens ancrant les hommes à leur milieu et promouvoir des comportements

individualistes (Agrawal et Gibson, 1999). Nous ne partageons pas ce point de vue et pensons qu’il

persiste des formes communautaires dans les pays développés, même si ces dernières ne se

lisent pas nécessairement sous la forme de regroupements spatiaux. Ce sont effectivement des

critères sensiblement différents qui fondent le sentiment d’appartenance. La mise en place d’une AMP

est d’ailleurs un évènement qui tend à réveiller ces structures communautaires, unissant chaque type

d’usagers du milieu marin autour de valeurs, d’intérêts et d’opinions communs, la plupart du temps

en opposition au projet de conservation. Ainsi, le critère de proximité spatiale n’est-il plus associé au

lieu de résidence mais au territoire d’usage à savoir l’AMP et le partage d’enjeux territoriaux

identiques fonde-t-il le sentiment d’appartenance à une même communauté.

Précisions qu’il est très rare, particulièrement dans le cas des pays développés, que l’ensemble

des usagers de l’AMP se considèrent comme appartenant à une seule et même communauté. Dans le

cas de La Réunion, il existe en effet d’importants décalages sociaux entre les kite-surfeurs et les

pêcheurs par exemple, sans parler des intérêts et des normes peu en commun. C’est pourquoi nous

considérons que chaque type d’usage est assez singulier pour fonder le sentiment d’appartenance à

une communauté distincte des autres usages.

Dans le cadre de cette étude, nous nous sommes intéressés aux usages directs de l’écosystème

récifal. Il s’agit donc des pratiques qui dépendent exclusivement de la présence de l’écosystème,

qu’elles soient extractives comme la pêche ou non extractives comme la plongée sous-marine. Y sont

également inclus les usages qui sont faits dans l’espace récifal marin mais qui dépendent des

caractéristiques physiques générées par la présence des récifs coralliens mais non inhérentes à cet

écosystème. C’est le cas par exemple des sports de glisse.

Ainsi avons-nous identifié huit communautés d’usagers à La Réunion :

53 Le détail de l’échantillonnage suivi à Mohéli est décrit dans la partie 3 – Chapitre 8 de cette thèse

113

Les pêcheurs professionnels, inscrits maritimes pratiquant la petite pêche côtière ;

Les pêcheurs plaisanciers embarqués, pratiquant le même type de pêche mais n’étant pas

affilié à la sécurité sociale maritime ;

Les pêcheurs traditionnels à pied, pratiquant des pêches à pied depuis la côte, dans le lagon

ou derrière la barrière telles que la gaulette, la pêche au poulpe, la pêche à la senne, etc. Y sont

inclus des pêcheurs de subsistance comme des pêcheurs uniquement récréatifs ;

Les chasseurs sous-marins, pêchant en apnée et équipé d’un fusil ou harpon ;

Les pratiquants de sports de glisse, surfeurs, kite-surfeurs, wind-surfeurs ;

Les plongeurs en bouteille, résidant à La Réunion ou de passage, et les gérants des clubs de

plongée ;

Les usagers de la plage et les baigneurs, incluant les touristes et les résidents réunionnais ;

Les activités de découverte du milieu marin et récifal, telles que les bateaux à fond de verre

ou les sociétés proposant des promenades en mer.

Chacune de ces communautés est supposée être relativement homogène en termes de

caractéristiques socio-économiques, de pratiques, de perceptions et d’opinions quant à la RNM. Si le

travail de terrain venait à révéler une quelconque hétérogénéité, une typologie intra-groupe sera

réalisée afin de distinguer des sous-groupes dont l’acceptation risquerait d’être différente. Cette

typologie repose sur une Analyse des Correspondances Multiples (ACM), conduite grâce au logiciel R

(R Development Core Team, 2008) et au package ade4 (Chessel et al., 2004). Elle suit différentes

étapes et se distingue des typologies classiques par l’importance de la place dévolue à l’expertise et

au ressenti de l’enquêteur dans le traitement et l’interprétation. Cette démarche s’inspire d’une

étude menée par le CIRAD auprès d’agriculteurs réunionnais (Thierry et al., 2009).

Dans un premier temps, les questions informatives posées en entretiens sont sélectionnés selon

leur pertinence et leur capacité à discriminer les individus entre eux. Agrégées selon les thématiques,

elles deviennent des « variables synthétiques » à partir desquelles est réalisée une ACM. Cette ACM

sert ensuite de support pour élaborer une première typologie cloisonnée permettant de dégager les

logiques de regroupement polarisant les individus du groupe étudié. Pour compléter ce premier

niveau d’analyse, une classification floue est ensuite lancée, basée sur les données brutes et non sur

l’ACM. Le croisement de ces deux approches autorise la distinction de groupes plus homogènes au

sein des pôles identifiés auparavant. Cette méthode offre également l’opportunité à l’enquêteur de

contrôler l’outil statistique et de faire intervenir son expertise de terrain dans les choix de

regroupements notamment lorsque les individus sont mal représentés ou à la marge de plusieurs

groupes.

L’acception du terme communauté locale que nous proposons autorise, de la sorte, à considérer

la communauté comme une échelle d’analyse pertinente et générique à l’échelle des AMPs

de la région. Il s’agit en effet d’adopter une vision plus large qui tiendrait compte de l’hétérogénéité

des contextes socio-économiques en présence et permettrait de se détacher du présupposé voulant

que les usagers de l’AMP vivent tous à proximité de cette dernière. Par ce biais, le positionnement du

chercheur opère un glissement depuis un point de vue terrestre centré sur la nature des pratiques

des populations riveraines de l’AMP, vers un point de vue davantage marin grâce auquel le chercheur

ne s’intéresse qu’aux usages pratiqués dans l’AMP et à la nature des relations sociales de ces usagers

en mer comme sur terre.

3.3 Méthodologie d’enquêtes à l’échelle des usages de la Réserve

Naturelle Marine de La Réunion

Troisième et dernière échelle d’analyse justifiant notre méthodologie : les communautés

d’usagers. Cette échelle ne concerne donc que le cas réunionnais, le territoire villageois étant le

principal critère structurant les regroupements communautaires à Mohéli.

114

Pour sa précision, l’échelle des usages est celle à laquelle la méthode de construction

d’indicateurs d’acceptation sociale a été élaborée. Ce paragraphe se propose donc de décrire le

cheminement méthodologique suivi, depuis le diagnostic socio-économique jusqu’au calcul des

indicateurs. La stratégie d’échantillonnage suivie pour chaque type d’usager sera également précisée.

a) Du diagnostic socio-économique au diagnostic de territoire

Rappelons que ce travail s’inscrit dans le cadre de la caractérisation socio-économique de l’état

initial de la RNM (Thomassin et David, 2009). La réalisation de cette première phase de diagnostic

repose donc, tout d’abord, sur un important travail historique permettant de retracer les étapes

ayant conduit à la mise en place de l’AMP. Cette première étude s’appuie sur un corpus

documentaire composé de rapports d’expertise (e.g. Robert, 1977 ; Gabrié et al., 1989 ; Biais et

Taquet, 1992 ; Roos et al., 1998 ; ARVAM, 1999), de mémoires universitaires (e.g. Ah-Nième, 1997 ;

Arnaudies, 2000 ; Cazou, 2000 ; Fougeroux, 2000 ; Loupy, 2001 ; Tremblay, 2001 ; Mirault, 2006),

d’articles scientifiques (e.g. Naïm, 1989 ; Amanieu et al., 1993 ; Chabanet et al., 1995 ; David et al.,

1999, p.4), d’une revue de presse issue des trois principaux quotidiens de l’île54 ainsi que d’une

analyse des archives documentaires de la DIREN (courriers, pétitions, compte-rendu de réunions de

concertation, etc.). L’analyse de ce corpus a permis de reconstituer l’histoire des négociations

antérieures à la RNM et de dresser une première analyse des conflits et logiques d’acteurs en

présence55. Elle a également constitué une base indispensable pour l’élaboration du protocole

d’enquêtes à déployer sur le terrain.

Dans un second temps, l’élaboration du diagnostic socio-économique s’est poursuivie par une

série d’enquêtes de terrain auprès des différents usagers de l’AMP. Avec l’aide de l’étude

historique préalable, les questionnaires ont été adaptés selon le type d’usager mais conservent une

trame commune (Annexes C à L) :

Les caractéristiques sociales et économiques de l’enquêté ;

Les activités pratiquées dans le périmètre de la RNM (type de pratique, fréquence, lieux,

outils et techniques utilisées, etc.) ;

Les perceptions de l’évolution de l’état de santé de l’écosystème corallien (richesse

ichtyologique et habitats coralliens) ;

Les perceptions de la concertation et du processus de prise de décisions ;

Les perceptions de la réglementation et du zonage de la RNM ;

Les problèmes rencontrés ;

Les attentes formulées ;

Les solutions à proposer.

Notons que pour l’usage plongée sous-marine, trois formulaires d’enquêtes différents ont été

conçus de manière à différencier les plongeurs résidents, les plongeurs de passage et les gérants de

clubs de plongée. Pour les usagers de la plage et les baigneurs, il a été décidé de mener deux

enquêtes distinctes, l’une auprès des touristes, l’autre auprès d’un échantillon de la population

résidante. Enfin, par manque de temps, les enquêtes auprès des activités de découverte du milieu

marin et récifal n’ont pu être conduites. Un recensement des acteurs concernés à cependant été

réalisé. Il conviendra, dans le cadre du futur plan de gestion de la RNM, de compléter ces

informations.

L’idée première était de conduire des enquêtes à l’aide de ces questionnaires, conçus

majoritairement à l’aide de questions fermées facilitant saisie et traitement statistique. Cependant, le

terrain a rapidement montré le manque d’adéquation de ce type de support pour impliquer

54 Les trois quotidiens réunionnais sont : le Journal de l’Ile de La Réunion (JIR), le Quotidien et

Témoignages

55 Le détail de cette analyse est exposé au chapitre 4 de la Partie 2 de cette thèse

115

des populations, de prime abord, septiques et réticentes à l’idée d’être enquêtées, d’autant plus sur

un sujet aussi sensible que celui de la RNM. En outre, les questions fermées se sont avérées

inappropriées pour convenablement saisir les opinions et les représentations de chacun. D’une part,

elles biaisent la réalité des ressentis individuels en imposant des réponses pleines d’à priori. D’autre

part, elles laissent peu de place à la contextualisation de ces ressentis, pourtant indispensable à une

bonne compréhension des logiques d’acteurs.

Pour toutes ces raisons, l’option a rapidement été prise de conduire ces enquêtes sous la forme

d’entretiens semi-directifs avec les communautés d’usagers les plus directement concernées par

la RNM. Ainsi, seules les enquêtes auprès de la population réunionnaise et des touristes sont restées

sous la forme de questionnaires. Pour tous les autres usagers, des entretiens semi-directifs ont été

menés. Ce format offre en effet l’opportunité d’engager un véritable échange autour de questions

ouvertes, tout en conservant une trame structurée. En gardant à l’esprit le fil conducteur du

questionnaire, les entretiens se sont donc déroulés sous la forme d’une discussion ouverte laissant à

l’enquêté tout le loisir de s’exprimer sur les évènements marquants ayant ponctué, selon lui, la mise

en place de l’aire protégée. Ainsi ce format a-t-il été bien mieux accueilli par les différents usagers, se

sentant plus à l’aise pour répondre sans avoir à choisir « la bonne réponse parmi les choix

proposés ». Cette démarche plus qualitative a cependant demandé davantage de temps pour la

réalisation des enquêtes. Le terrain a effectivement montré combien le temps passé avec chaque

personne était un facteur déterminant pour parvenir à établir une relation de confiance entre

l’enquêteur et l’enquêté, relation indispensable pour espérer pouvoir collecter la réalité des

pratiques, des perceptions et des opinions des individus (David, 2005). Ainsi, le recueil de parcours

de vie s’est-il avéré riche d’enseignements pour comprendre les stratégies d’acteurs et les conflits

d’opinions en présence.

Cette option plus qualitative a également rendu la saisie et le traitement des enquêtes plus long

mais bien plus riche et proche de la réalité. L’ensemble des réponses aux entretiens a été saisi dans

un tableur Excel. Celles concernant les pratiques et les caractéristiques socio-économiques, de type

binaire ou fermé pour la plupart, n’ont pas nécessité de traitement préalable pour être directement

intégrées à la base de données. Bien que posées au cours d’un entretien semi-directif, elles ont été

codées tel que le prévoyait le questionnaire d’origine dans la mesure où elles se rapportaient à des

faits et non à des ressentis. En revanche, les réponses aux questions ouvertes relatives aux

perceptions ont nécessité d’être considérées dans toute leur diversité avant de pouvoir être codées,

pour permettre de les traiter statistiquement et de les analyser. En procédant de la sorte,

l’hétérogénéité des réponses est conservée sans être biaisée par des choix ex nihilo.

Pour finir, la phase d’analyse des résultats d’enquêtes est la dernière étape de l’élaboration

du diagnostic socio-économique. Basées sur des statistiques descriptives et univariées, elle consiste à

caractériser chaque groupe d’usagers à partir de ses pratiques et ses perceptions. Lorsque celles-ci

s’avèrent trop hétérogènes au sein même du groupe, une typologie plus fine est proposée56. Par la

suite, les caractéristiques socio-économiques des usagers et de leurs pratiques sont mises en

parallèles avec leurs perceptions afin d’identifier la nature des liens existants entre ces derniers et

l’espace mis en réserve. La mise en lumière de ces liens conduit ainsi à l’élaboration d’un diagnostic

territorial. Ce dernier révèle le maillage de territoires qui existait avant la mise en place de la RNM

et permet d’en déduire les enjeux territoriaux des différents types d’usagers. Quand cela est possible,

une cartographie des territoires d’usages passés et présents est réalisée, illustrant les changements

apparus avec la création de la RNM.

Depuis l’historique de l’AMP jusqu’au diagnostic territorial, l’ensemble de la démarche

méthodologique déclinée sur le terrain de La Réunion est résumé par la Figure 3-4.

56 La méthode utilisée pour cette typologie intra-groupe a été présentée précédemment (p.86)

116

Figure 3-4 : Démarche méthodologique appliquée à La Réunion

b) Stratégie d’échantillonnage des enquêtes auprès des usagers

La conduite des enquêtes sur le terrain a demandé d’élaborer une stratégie d’échantillonnage

propre à chaque type d’usage identifié.

Les pêcheurs professionnels :

De manière générale, sont considérés comme pêcheurs professionnels les pêcheurs payant une

cotisation à l’année, celle-ci leur permettant d’être affiliés au régime de la sécurité sociale maritime

(l’E.N.I.M.57). Au sein de ce statut, il est possible de distinguer trois types de pêche selon leur

localisation, le type de ressources halieutiques recherché ainsi que selon les engins de pêche utilisés

(Roos et al., 1997) :

La petite pêche : Les unités concernées sont les barques non pontées (les canots) et les

bateaux pontés (vedettes) inférieurs à 10 mètres. Les sorties en mer n’excédent pas les 24 heures. La

majorité des espèces recherchées sont pêchées près de la côte sur des fonds inférieurs à 350 m. Les

espèces cibles sont majoritairement des pélagiques et des espèces démersales profondes. Les

dispositifs de concentration de poissons (DCP) constituent une aide précieuse pour la pêche des

pélagiques en réduisant les temps de recherche du poisson et les coûts associés.

La pêche palangrière : Celle-ci se divise en trois catégories : La pêche côtière, la pêche au

large et la grande pêche. Elles s’effectuent toutes au large (en majorité à plus de 200 milles de la côte

ou sur des bancs à 90 milles) et concernent des embarcations pontées dont la longueur est comprise

entre 10 m et 25 m. Les principales espèces recherchées sont les pélagiques.

57 Etablissement National des Invalides de la Marine (ENIM)

117

La pêche australe : Ce type de pêche s’effectue dans des zones lointaines (ZEE des Iles Saint-

Paul et Amsterdam et Iles Kerguelen), sur des bateaux pontés de plus de 50 m. L’espèce cible est la

légine (Dissostichus eleginoides) et les sorties en mer sont supérieures à 30 jours.

Notre travail s’est focalisé sur les pratiques de pêche embarquée, inféodées de manière plus ou

moins forte à la présence de l’écosystème récifal. Parmi ces trois types de pêche, les acteurs

directement concernés par la mise en réserve sont ceux qui sont susceptibles de pratiquer leur

activité dans ou à proximité de la RNM. C’est pourquoi ce travail est centré sur l’étude de la petite

pêche, les espèces recherchées ainsi que les zones de pêche utilisées étant principalement

déterminées par la présence des récifs coralliens.

Les données ont été collectées courant mai 2008 dans les trois ports situés au sein du périmètre

de la RNM : Saint-Gilles, Saint-Leu et Etang-Salé. A défaut d’avoir accès aux effectifs des pêcheurs

professionnels par port d’attache, la population de référence a été estimée en concertation avec le

Comité Régional des Pêches Maritimes (CRPM) et les représentants des pêcheurs de chacun de ces

trois ports. Ces estimations ont ensuite été réévaluées directement sur le terrain, après comptage

dans les différents ports et discussion avec les pêcheurs. Au final, le nombre total de pêcheurs

professionnels pratiquant la petite pêche au sein de la RNMR a été estimé à 73 individus.

L’échantillon retenu concerne 37 pêcheurs, soit 50% de la population totale (marge

d’erreur : 10%, intervalle de confiance : 90%)58. Les enquêtes ont ensuite été réparties comme

suit, proportionnellement selon les effectifs par port (Thomassin et Messaci, 2008):

Port de Saint-Gilles : 21 pêcheurs enquêtés sur 42 recensés

Port de Saint-Leu : 8 pêcheurs enquêtés sur 16 recensés

Port de l’Etang-Salé : 8 pêcheurs enquêtés sur 15 recensés

Les pêcheurs plaisanciers embarqués :

La pêche plaisancière embarquée se distingue de la pêche professionnelle par le fait que ses

pratiquants ne sont pas des inscrits maritimes et ne payent donc pas de cotisations sociales. Ceux-ci

n’ont pas le droit de vendre les produits de leur pêche. Cependant, les espèces ciblées, les

techniques et les embarcations sont semblables à celles de la petite pêche côtière professionnelle,

pratiquées sur des fonds inférieurs à 400 m. En 1990, plus des trois quarts de la flottille de petite

pêche réunionnaise sont constitués d’embarcations de plaisance (Biais et Taquet, 1992), soit environ

800 plaisanciers pour 200 professionnels. L’importance de la pêche de plaisance n’a cessé de

s’accroître : en 2006, le CRPMEM estime la part des embarcations plaisancières sur l’ensemble de l’île

à 1300 contre 264 professionnelles (CRPMEM, 2006).

Face à l’impossibilité d’obtenir l’effectif total de pêcheurs plaisanciers au sein de la RNMR, une

estimation a été effectuée à dire d’acteurs (chefs de ports ou d’associations) et validée par comptage

sur le terrain dans les trois ports inclus dans le périmètre de la réserve. Au final, la population totale

de pêcheurs plaisanciers pratiquant dans la RNM a été estimée à 460 individus. Il convient cependant

de souligner qu’il existe un nombre important de « bateaux ventouses » (qui ne sortent pas) au port

de Saint-Gilles. De plus, les bateaux de plongée et de pêche au gros sont inclus dans l’effectif total.

Tenant compte de ces paramètres, 50 individus ont été enquêtés (marge d’erreur : 10%,

intervalle de confiance : 87%), répartis proportionnellement selon les ports de manière à

conserver une bonne représentativité géographique (Duchêne, 2009) :

Port de Saint-Gilles : 20 pêcheurs enquêtés sur 250 recensés (dont beaucoup ne sortent pas

ou ne pratiquent pas la pêche côtière)

58 La marge d’erreur et le niveau de confiance permettent d’estimer la qualité de l’échantillon. La marge

d’erreur est le taux d’erreur que l’on tolère dans les résultats obtenus tandis que l’intervalle de confiance

représente le niveau d’incertitude admis. http://www.raosoft.com/samplesize.html

118

Port de Saint-Leu : 14 pêcheurs enquêtés sur 100 recensés

Port de l’Etang-Salé : 16 pêcheurs enquêtés sur 110 recensés

Les pêcheurs traditionnels à pied :

La pêche traditionnelle à pied est un usage qui souffre d’une définition claire. Au sens du décret

régissant la pêche maritime de loisir (décret n° 90-618 du 11 juillet 1990, modifié par le décret n° 99-

1136 du 21 décembre 1999 et du 6 septembre 2007), elle est considérée comme la pêche dont le

produit est destiné à la consommation exclusive du pêcheur et de sa famille et ne peut être colporté, exposé

ou vendu sous quelque forme que ce soit, ou acheté en connaissance de cause. Cette définition est donc

centrée sur la commercialisation des prises mais ne fait aucune distinction en termes d’engins de

pêche entre la pêche embarquée et la pêche à pied. Le décret n°2001-426 du 11 Mai 2001

réglementant l’exercice de la pêche maritime à pied à titre professionnel donne une autre définition

(Mirault, 2006) : « la pêche à pied s’exerce sans que le pêcheur ne cesse d’avoir un appui au sol et sans

équipement respiratoire permettant de rester immergé ».

La réalité de la pêche à pied à La Réunion est différente. Sous l’appellation « pêche à pied » est

regroupée une grande diversité de pratiques (pêche au poulpe, à la ligne, au moulinet, à la senne,

etc…) qui inclue également l’utilisation de palmes, masque ou tuba. L’existence de pratiques

combinant pêche à pied et pêche sous-marine justifie le choix de ne pas limiter la définition de la

pêche à pied à la Réunion à celle de l’arrêté de Mai 2001. Cette définition n’en reste pas moins

délicate et compliquée.

Les pratiques assimilées à la pêche sous-marine et pourtant incluses dans la catégorie pêche à

pied ne sont pas exclusives. Elles sont combinées à d’autres pêches à pied et l’accès aux sites de

chasse se fait souvent à pied, permettant par exemple au pêcheur de piquer quelques « zourites »

(poulpe) sur le chemin. Ce qui différencie les pêcheurs classés dans l’usage chasse sous-marine des

pêcheurs pratiquant la pêche sous-marine mais classés dans l’usage pêche à pied est donc l’exclusivité

de leur pratique pour les premiers et la combinaison de celle des seconds avec d’autres types de

pêche à pied. La seconde différence réside dans l’accès au site de pêche. Les premiers sont plus de

65% à accéder à leur site de pêche grâce à une embarcation (Denniel, 2009) alors que les seconds le

font en grande majorité depuis la plage et, pour la plupart, en traversant le platier corallien.

La pêche à pied se pratique donc à pied (sans bateau) et/ou en plongée (en apnée). Elle s’exerce

en zone récifale, depuis la plage jusqu’à la pente externe en passant par la dépression en arrière du

platier (faussement dénommée « lagon »), le platier récifal lui-même et le brisant (zone de

déferlement des vagues). Elle utilise des engins spécifiques, et peut répondre à des objectifs différents

tels que l’autoconsommation, la vente, le loisir ou encore la tradition. Même si elle est souvent

justifiée par le gain complémentaire qu’elle procure (en argent ou en captures), la pratique de la

pêche répond, en effet, à des motivations différentes selon la situation (Oqueli, 2002).

Du fait de son caractère informel, il est très difficile d’obtenir une estimation fiable du nombre de

pêcheurs à pied à La Réunion. Si pendant longtemps cette activité est restée marginale, il faut dire

qu’elle a connu un développement rapide ces dernières décennies, sous l’influence de plusieurs

facteurs. L’accroissement démographique tardif et accéléré, combiné à la mise en place des aides

sociales ont incité une partie de la population active sans emploi à utiliser leur temps libre en

s’adonnant à des pratiques jusqu’alors marginales comme la pêche. D’autre part, l’apparition des aides

sociales a favorisé l’accroissement du parc automobile, libérant ainsi les habitants de l’île de toute

contrainte de distance, et leur permettant d’accéder aux zones de pêche privilégiées, quelle que soit

leur lieu de résidence. Aux pêcheurs traditionnels s’est aussi ajouté un grand nombre de jeunes : se

trouvant sans emploi, et ne pouvant accéder aux aides d’insertion, certains se voient contraints à

pêcher, même s’ils ne sont pas attirés par cette activité (Oqueli, 2002). En 1999, à l’occasion du

colloque « Gestion Intégrée et Développement Durable des zones côtières » de Saint-Leu, une

première estimation tablait sur 1500 pêcheurs à pied (David et al., 1999). La même année,

l’instauration de carte de pêche aux capucins a permis d’estimer le nombre de pêcheurs pratiquant

119

uniquement ce type de pêche. 411 demandes ont été formulées, soit près d’un tiers du total estimé

des pêcheurs à pied, sachant qu’il existe bien évidemment d’autres types de pratique.

Avec la mise en place de la RNMR, une nouvelle réglementation de la pêche à pied a vue le jour.

Pour pouvoir pratiquer la pêche à la golèt (ligne), la pêche au zourite (poulpe) et la pêche aux capucins

(pêche à la senne de plage), les pêcheurs doivent faire une demande de carte auprès des Affaires

Maritimes. Un quota de cartes octroyées a été fixé à 800. La première année, en 2007, 1091

demandes ont été formulées. Si ce chiffre aurait pu servir de référence pour l’estimation de l’effectif

réel des pêcheurs à pied, il convient de préciser que certaines personnes avaient fait des demandes

par mesure de précaution alors qu’elles ne pêchaient plus depuis longtemps. A l’inverse, de

nombreux pêcheurs rencontrés sur le terrain, n’avaient pas fait de demande de carte soit par

manque d’information, soit parce que les pêches autorisées au sein de la RNMR n’étaient pas celles

qu’ils avaient l’habitude de pratiquer (notamment pour la pêche de nuit et la pêche en apnée).

Détenir ou ne pas détenir la carte ne changeait donc rien pour leur pratique. Il serait donc biaisé

d’estimer le nombre de pêcheurs à pied en se référant aux effectifs des demandeurs. Précisons de

plus, que ces demandes étaient restreintes aux communes riveraines de la réserve et que les

pêcheurs potentiels habitant dans d’autres communes en étaient donc exclus.

L’estimation du nombre de pêcheurs par le biais des neuf associations de pêcheurs traditionnels

inscrit à la commission pêche traditionnelle de la RNM59 n’a pas non plus donné de résultats

pertinents, les présidents ayant également beaucoup de mal à décompter leurs adhérents.

Face à la difficulté d’obtenir des estimations fiables, l’enquête auprès des pêcheurs à pied a

principalement veillé à conserver une bonne représentation géographique. Disposant des

plusieurs fichiers de demandeurs de carte, des quartiers regroupant un effectif important de pêcheurs

ont pu être identifiés. L’échantillonnage a donc été aléatoire et stratifié géographiquement de

manière à collecter des informations de manière indifférenciée dans l’ensemble de ces quartiers

(Tableau 3-8). Au total 67 pêcheurs ont pu être enquêtés entre mars et juin 2008.

Tableau 3-8 : Effectifs des pêcheurs à pied rencontrés selon le quartier d’habitation

Quartiers Effectifs Total

Saint-Gilles-Carosse 12

Saint-Paul Bas La Saline 11

Hermitage 2

25

Saint-Paul Hauts Eucalyptus-Muscadiers 5

Barrage 11

16

Trois Bassins Trois Bassins 8 8

Saint-Leu Bas St-Leu ville 6

St-Leu Grand Fond 2

8

Saint-Leu Hauts St-Leu Stella 1

St-Leu Chaloupe 1

2

Etang-Salé / Les Avirons Etang-Salé / Les Avirons 8 8

67

59 Il existe aujourd’hui 9 associations recensées: l’association collectif des pêcheurs traditionnels de Trou

d'eau (Mme Ringuin), la coordination des associations pêches et traditions (trou d'eau) (Mr Sault), l’association

sauvegarde de la pêche traditionnelle, La Saline, (Mr Alciope), la coordination des associations de pêche

traditionnelle de St Paul (Mr Gence), l’association pêche loisirs de l'étang-salé (Mr Calteau), l’APTA, association

de pêche traditionnelle des avirons (Mr Hebert), l’APPPES, association de pêcheurs professionnels et

plaisanciers de l'etang salé (Mr Savigny), l’APTO, association de pêche traditionnelle de l'ouest (Mr Sery), le club

nautique de Saint-leu (Mr Crescence)

120

Les chasseurs sous-marins :

L’article premier de l’arrêté préfectoral n° 1904/DAG.R/2 du 25 mai 1976, définit la pêche sousmarine

telle que : « la capture en action de nage ou de plongée, des animaux marins, par quelques moyens

que ce soient (à la main, à la foëne, au filet, à l’aide d’appareils spéciaux pour la pêche sous-marine) ».

Cette définition est la seule à apparaître dans les textes officiels (Esclapez et al., 2000). Pour autant,

seuls les individus ne pratiquant qu’exclusivement la pêche sous-marine à l’aide d’un fusil, sont

considérés comme chasseurs sous-marins dans cette étude.

La pêche sous-marine est une activité encadrée juridiquement. C’est aussi un sport officiellement

reconnu. Il a par conséquent sa propre commission au sein de la Fédération Française d’Etude et de

Sports Sous-marins (FFESSM). Au niveau régional, une commission pêche sous-marine est

représentée au sein du Comité Régional d’Etude et de Sports Sous-marins (CRESSM), elle dépend de

la FFESSM. Suite à des divergences d’intérêts au sein de la FFESSM, deux autres fédérations ont vu le

jour : la Fédération Nautique de Pêche Sportive en Apnée (FNPSA) et la Fédération Chasse Sousmarine

Passion (FCSMP). Toutes trois sont habilitées à délivrer des licences (non obligatoire depuis

le décret du 18 juin 2009) pour la pratique de la pêche sous-marine. A La Réunion, seule la FFESSM

est aujourd’hui représentée.

La FFESSM fourni des licences pour la pratique de la pêche sous-marine mais ne distingue pas les

plongeurs en bouteille des pêcheurs en apnée. Parmi les 1795 licences accordées pour l’année 2009,

le responsable du CRESSM Réunion estime à 200 le nombre approximatif de pêcheurs sous-marins.

Les affaires maritimes ont fourni 65 autorisations pour l’année 2009. Un premier chiffre approximatif

fait donc état d’environ 265 pêcheurs sous-marins. C’est sans compter les pêcheurs sous-marins nonlicenciés,

qui ne sont recensés nulle part. Ainsi, il est impossible d’estimer de manière fiable le

nombre de pêcheurs sous-marins à La Réunion. Notons qu’une estimation de 1996 avance le chiffre

de 300 pêcheurs sous-marins enregistrés pratiquant sur dans la zone récifale de La Réunion

(Troadec, 1996) tandis qu’une autre étude datent de 2000 estime à 416 le nombre de pêcheurs sousmarins,

enregistrés et libres confondus, entre la baie de La Possession et la Pointe au Sel (Bertrand,

2000).

Au regard de ces estimations, 42 chasseurs sous-marins ont été rencontrés entre Mai et

Juin 2009 (soit une marge d’erreur de 10% et un intervalle de confiance de 85% pour une

population de référence estimée à 350 individus) en suivant un échantillonnage aléatoire,

stratifié géographiquement comme suit (Denniel, 2009) :

Frange nord de la RNM : 4 pêcheurs sous-marins enquêtés

Saint-Gilles : 14 pêcheurs sous-marins enquêtés

Saint-Leu : 10 pêcheurs sous-marins enquêtés

Etang-Salé : 12 pêcheurs sous-marins enquêtés

Frange sud de la RNM : 2 pêcheurs sous-marins enquêtés

Les pratiquants de sports de glisse :

Plus de 70% des vagues réunionnaises, principal support de la pratique des sports de glisse,

déferlent sur des récifs coralliens. Ils constituent des « breaks » qui produisent des vagues de grande

qualité. Plusieurs sports ont ainsi été recensés à La Réunion. Dans le cadre de cette étude quatre ont

été retenus :

Le surf : L’activité se développe à la Réunion dès les années 70 principalement à Boucan-

Canot et à Saint-Gilles, Saint Leu étant devenu un spot de surf par la suite. Aujourd’hui ce sport est

largement démocratisé ; on compte actuellement 432 licenciés de surf dont seulement 188 de plus de

18 ans. La majorité de ces licenciés sont donc mineurs et représentent probablement les inscrits en

écoles de surf. Peu de références font état d’une estimation du nombre de pratiquants à La Réunion.

121

Le kayak de mer : Peu d’informations sont disponibles sur le kayac de mer étant donné la

jeunesse de ce sport à La Réunion. Cette pratique est cependant rattachée au Comité Régional de

Canoë Kayac qui déclare que « l’activité s’effectue sur 3 types de supports : eaux vives, eaux calmes

et mer. Le plus gros potentiel est la mer où il existe 31 espaces possibles de pratique,

essentiellement dans le lagon. »60. Fin 2007, on dénombre 521 licenciés. Néanmoins, sur 8 clubs, 5

pratiquent en mer et seuls 2 sont situés dans le périmètre de la RNM.

Le kite-surf : Le kite-surf est un sport nouveau qui consiste à glisser sur une planche de surf

de taille souvent réduite, tractée par un cerf-volant, appelé aile. La pratique de ce sport est très

récente à la Réunion puisqu’elle ne date que d’une dizaine d’années. Le kite-surf relève de la

Fédération Française de Vol Libre (FFVL) et compte environ 80 licenciés. On estime cependant le

nombre de pratiquants supérieur à 100 lorsqu’on tient compte des pratiquants libres.

Le wind-surf : La pratique du wind-surf (terme anglais pour planche à voile) a débuté il y a

environ 20 ans à La Réunion. On dénombre 150 licenciés mais les planchistes à la Réunion sont

essentiellement des pratiquants libres. Les zones de pratique de wind-surf se situent dans la bande

des 300 m., le plus souvent dans les déferlantes. Les lieux de pratique sont au nombre de 11 sur une

zone allant de Boucan Canot à Saint-Pierre»

La collecte des données s’est faite en Mai 2008. Au total 72 enquêtes ont été menées

(Thomassin et Havard, 2008). L’échantillonnage a été déterminé selon deux critères : le nombre de

pratiquants à La Réunion ainsi que le mécontentement exprimé à l’égard de la RNM via la presse. Les

surfeurs sont de loin, les plus nombreux à pratiquer dans le périmètre de la RNM, suivis des windsurfeurs,

des kite-surfeurs et des kayakistes. En revanche, la revue de presse a révélé un fort

mécontentement exprimé de la part des kite-surfeurs. Au final, le surf est l’activité pour laquelle

l’effort d’échantillonnage a été le plus fort (51 enquêtes), suivi du kite-surf (12 enquêtes), du windsurf

(7 enquêtes) et du kayak de mer (2 enquêtes).

Enfin, dans un souci de représentativité spatiale, nous avons veillé à enquêter les pratiquants sur

l’ensemble du territoire de la RNM. Les deux kayakistes ont été enquêtés sur les deux spots les plus

connus, l’un à la sortie du port de Saint-Leu et l’autre face à la plage des Brisants à Saint-Gilles. Sur

les sept wind-surfeurs, trois pratiquent plutôt dans le sud du périmètre de la RNM (Saint-Leu, Etang-

Salé voire Saint-Pierre) et trois dans le nord (Boucan et La Saline). Concernant le kite-surf, l’essentiel

de l’activité, à l’échelle de la RNM, est localisée sur le spot de Petit Trou d’eau à la Saline. 11 des 12

kite-surfeurs ont donc été enquêtés là-bas. Enfin, les spots de surf étant bien plus nombreux, nous

avons pris le parti d’effectuer une dizaine d’enquêtes pour chacun des 5 spots de référence (spot le

plus fréquenté par l’enquêté) présents dans le périmètre de la RNM. Du nord au sud, on trouve

Boucan qui regroupe les spots de Ti’Boucan, les Aigrettes et Perroquet (6 enquêtes), Roches Noires

(11 enquêtes), Trois Bassins qui comprend les spots du Pic de Trois Bass’ et de la Gauche de Trois

Bass’ (11 enquêtes), Saint-Leu rassemblant la Tortue et la Gauche de Saint-Leu (12 enquêtes) et enfin

Etang-Salé englobant le Simulateur et le Brisant (11 enquêtes).

Les plongeurs en bouteille et les clubs de plongée :

Les pratiques sous marines englobent toutes les activités dont le principal objectif est de

découvrir et d’observer in situ l’écosystème corallien. Il existe deux modes de découverte basés sur

le principe de l’immersion du pratiquant : la plongée sous-marine en scaphandre autonome et

l’observation sous-marine de surface en palmes, masque et tuba (PMT). Dans le cadre de ce travail,

60 Compte-rendu de réunion datant du 26 Février 2003 entre la fédération nationale de canoë kayak, les

élus et les administrations (Etat, Région et communes) – Archives de la DIREN

122

l’étude de l’usage plongée sous-marine s’est restreinte aux pratiquants utilisant un scaphandre

autonome.

Pratiquée de manière régulière et au-delà du niveau « baptême », cette activité requiert une

licence accordée par la Fédération Française d’Etude des Sports Sous-marins (FFESSM). En 2009,

1795 licenciés sont recensés à La Réunion. Cependant, ce chiffre n’est pas révélateur du nombre de

plongeurs au sein de la RNMR car la licence n’est pas nécessaire pour effectuer des baptêmes de

plongée. De plus, les plongeurs licenciés dans d’autres régions françaises mais ayant l’habitude de

plonger à La Réunion, ne sont pas inclus dans ce décompte. Il est donc très difficile d’estimer le

nombre de plongeurs au sein de la RNMR.

L’option a donc été prise de conduire des entretiens avec l’ensemble des 25 clubs de plongée

présents dans les communes limitrophes de la RNM. En parallèle, 98 enquêtes ont également été

conduites auprès des plongeurs, en distinguant les plongeurs résidant à La Réunion (63 enquêtes)

des plongeurs de passage (35 enquêtes). Ainsi, malgré l’absence d’estimation fiable de la population

de référence, l’échantillon de près de 100 plongeurs autorise-t-il une extrapolation des résultats. Ces

enquêtes ont été menées entre Mai et Juin 2007 (Louze, 2007).

Les touristes :

A l’origine, le travail sur l’activité touristique devait porter sur les touristes non résidents,

hébergés en hôtels, gîtes, maisons d’hôtes, résidences ou locations de vacances. Le tourisme

affinitaire61, majoritaire à la Réunion, était donc mis de côté. Cependant, le contexte post-crise du

chikungunya dans lequel se sont déroulées les enquêtes (Mai à Août 2007) a rendu délicate la

rencontre de touristes dans les structures d’hébergement. Les enquêtes ont donc été menées

directement sur les plages de la côte Ouest ainsi qu’à l’aéroport auprès des touristes ayant terminé

leur séjour, touchant ainsi également des touristes affinitaires. Au total, 113 enquêtes ont été

réalisées en suivant un échantillonnage aléatoire (D'Agostino, 2007).

La population réunionnaise :

Malgré les distances potentiellement importantes entre le lieu de résidence et le périmètre de la

RNM où se concentrent les zones de baignade en mer, la baignade dans le « lagon » et le pique-nique

sous les filaos sont des pratiques fréquentes pour une grande majorité de la population. C’est

pourquoi il nous a semblé pertinent de considérer la population réunionnaise comme un type

d’usager potentiel et de sonder, ainsi, l’opinion publique relative à la RNM. Pour ce faire, une

méthode originale et efficace a été conduite. Elle consiste à proposer une animation scientifique dans

les écoles (classes de CM1 et CM2) autour de trois maquettes62 illustrant les relations bassin-versant

/ littoral (Photo 3-1), en retour de laquelle les élèves soumettent un questionnaire à leurs parents.

Motivés par un concours à l’issu duquel la classe pouvait gagner une sortie à l’Aquarium de Saint-

Gilles, le retour s’est avéré conséquent puisque sur 640 questionnaires distribués, 406 furent

retournés et exploitables, soit plus de 60% (White C., 2006). En outre, le système de la carte scolaire

qui rattache toute personne domiciliée à une adresse, à une école déterminée permet de s’assurer

que les perceptions recueillies auprès des parents d’élèves correspondent à celles d’un quartier.

61 Selon l’INSEE, le tourisme affinitaire est le tourisme dont la motivation du séjour est la visite à des

parents ou amis, en plus du séjour de vacances. A la Réunion, les touristes affinitaires logent à 93% chez la

famille ou les amis, contre seulement 2% à l’hôtel (Mirault, 2006).

62 Trois maquettes étaient proposées illustrant respectivement les potentielles conséquences du

ruissellement, de l’érosion et des pollutions agricoles et urbaines sur l’écosystème marin. Le concept a été, par

la suite, repris par l’Association des Petits Débrouillards.

123

Photo 3-1 : Maquettes utilisées lors des animations scolaires

(Clichés : A. Botta, 2005-2006)

Le travail de terrain s’effectua entre le 2 et le 26 Mai 2006. La sélection de notre échantillon a

suivi trois étapes (Thomassin et al., 2010):

Dans le but de faciliter le suivi des résultats d’enquêtes par le gestionnaire (GIP-RNMR), nous

sommes intervenus au niveau des écoles primaires (classes de CM1 et CM2) en choisissant les

parents d’élèves comme population cible de nos enquêtes. Les opérations de sensibilisation et

d’éducation à l’environnement marin auprès des scolaires étant un des axes de travail du GIP-RNMR,

la méthode retenue permet de reproduire facilement les enquêtes tout en ne demandant que peu de

travail supplémentaire lorsqu’il s’agira d’estimer « l’effet réserve » tous les quatre à cinq ans.

La deuxième étape a consisté à sélectionner les écoles dans lesquelles intervenir. C’est un

critère spatial qui a guidé notre choix. Au-delà de la collecte brute des perceptions sur la RNM, il

nous a semblé intéressant de pouvoir les comparer selon qu’elles émanaient d’une personne habitant

dans les hauts ou dans les bas, dans l’ouest, dans le nord, dans l’est ou dans le sud. La bonne

représentativité de notre échantillon reposait donc sur une bonne représentativité spatiale des

écoles dans lesquelles nous allions intervenir. Nous avons donc réparti l’ensemble des écoles de la

Réunion en 5 groupes selon leur localisation : Nord, Sud, Est, Ouest dans les Hauts et Ouest dans les

Bas. Il nous a semblé utile de distinguer les Hauts des Bas uniquement dans l’Ouest dans la mesure

où la RNM s’y trouve.

Durant la troisième étape, les écoles ont été sélectionnées dans chaque groupe selon une

méthode aléatoire. Notre échantillon s’est ensuite précisé en fonction des refus exprimés par

certaines écoles. Au total, ce sont 13 écoles (Tableau 3-9) qui ont été visitées avec pour certaines

des interventions dans plusieurs classes. 406 personnes ont ainsi été enquêtées.

124

Tableau 3-9 : Répartition des questionnaires collectés au sein des parents d’élèves en 2006

Quartier Localisation Effectifs de questionnaires

exploi tables

Saint-Denis Nord-Est 41

Saint-Gi l les centre Bas de l ’ouest 43

Tan Rouge Hauts de l ’ouest 24

Hermi t age Bas de l ’ouest 40

La Saline les bains Bas de l ’ouest 35

Trois Bassins Hauts de l ’ouest 35

La Cha loupe Saint-Leu Hauts de l ’ouest 26

Etang-Salé Bas de l ’ouest 27

Saint-Pierre Sud 42

Terre Sainte Sud 17

Saint-Benoî t Nord-Est 59

Saint-André Nord-Est 17

Total 406

c) Construction des indicateurs d’acceptation sociale

Une fois les entretiens menés et le diagnostic territorial réalisé, notre démarche méthodologique

se conclue par la phase de construction d’indicateurs d’acceptation sociale. Rappelons que nous

considérons l’acceptation sociale comme étant fonction du degré de satisfaction des

enjeux territoriaux des usagers. Ainsi convient-il de concevoir des indicateurs permettant de

suivre dans le temps si les enjeux identifiés par le biais du diagnostic territorial sont contentés aux

yeux des usagers. Si c’est le cas, on supposera que l’acceptation sociale n’en sera que renforcée.

Pour chaque enjeu identifié et pour chaque usager, différents types d’indicateurs ont donc été

construits. Ils diffèrent selon la nature des variables sur lesquelles ils reposent :

Des indicateurs d’opinion : Ce type d’indicateurs repose sur plusieurs variables de

perceptions, déduites des questions posées lors des entretiens. Chaque variable possède au moins

trois modalités de réponses différentes. A chaque modalité est affectée une valeur selon qu’elle

exprime une opinion traduisant une bonne acceptation (+1) ou une mauvaise acceptation (-1). Les

réponses intermédiaires ou l’absence d’opinion ont une valeur nulle. Le Tableau 3-10 propose

l’exemple d’un indicateur de perception de l’état de santé du milieu récifal construit à partir des

entretiens des pêcheurs professionnels. Il répond au besoin de suivre la satisfaction d’un enjeu

environnemental et agrège trois variables : la perception de l’état de santé général de l’écosystème

corallien, des changements concernant le recouvrement corallien et ceux relatifs aux stocks de

poissons.

Tableau 3-10 : Exemple de la construction d’un indicateur d’opinion

Cette codification induit une importante simplification des opinions recueillies mais présente

le mérite d’être aisée à comprendre et à reproduire. Le calcul des variables s’effectue en soustrayant

125

les réponses négatives aux réponses positives et en pondérant le résultat par l’effectif total des

réponses. Il permet d’obtenir une valeur comprise entre -1 et 1, considérée comme une métrique.

L’indicateur final n’est qu’une moyenne de l’ensemble des variables considérées. Il oscille donc

également entre -1 et 1. Dans le but de conserver la diversité des réponses obtenues à certaines

questions, il arrive qu’il y ait plus de trois modalités et que les valeurs s’échelonnent alors entre -2 et

2. Dans ces cas là, les effectifs des répondants sont doublés afin de parvenir à des variables et des

indicateurs compris entre -1 et 1.

Ces indicateurs d’opinions sont, par la suite, représentés sous la forme d’un graphique en

rose des vents, facilitant synthèse et suivi temporel. Cette représentation rend effectivement plus

aisée l’interprétation de l’augmentation ou de la baisse d’un indicateur puisqu’elle figure

graphiquement l’évolution des variables constitutives. Elle permet de contourner le biais qui

consisterait à trouver une valeur identique à plusieurs années d’intervalle, pour un même indicateur

alors que les valeurs des variables constitutives auraient fortement évoluées.

Pour finir, ces indicateurs sont également déclinés spatialement quand cela est possible (ex :

par port d’attache pour les pêcheurs professionnels), ou par discipline lorsque l’usage considéré

englobe plusieurs pratiques (ex : les sports de glisse).

Des indicateurs quantitatifs : Ce type d’indicateur repose sur des variables chiffrées telles

qu’un chiffre d’affaire, un nombre d’infractions ou le poids de captures de pêche. Ces indicateurs ne

sont donc pas bornés sauf quand il s’agit de taux. Ils traduisent des mesures réelles, valables à l’heure

de l’enquête. Pour la plupart, ils participent au suivi de la satisfaction d’enjeux économiques exprimés

par les usages marchands du milieu.

Des indicateurs spatiaux : Ce type d’indicateur est basé sur des variables géographiques

obtenues après traitement sur SIG. Il mesure des rapports de surfaces entre le territoire utilisé avant

la RNM et celui autorisé après sa mise en place. Ces indicateurs s’expriment en pourcentage de

territoire perdu ou gagné depuis la création de l’AMP, critère déterminant dans l’acceptation ou le

rejet de cette dernière.

Des indicateurs à construire : Ces indicateurs reposent à la fois sur des variables chiffrées

mais aussi de perception. Ils n’ont pu faire l’objet d’un calcul dans ce travail du fait d’une

réglementation encore en négociation, d’un balisage en cours et d’un système de surveillance en voie

d’organisation au moment de l’étude. Pour autant, le détail de leur calcul est décliné.

Ce dernier type d’indicateur pose la question de la prise en compte de l’état d’avancement de l’AMP,

comme élément déterminant quant au choix et à la pertinence des indicateurs d’acceptation sociale à

mesurer. A l’heure de la création d’une AMP et dans le cadre de l’élaboration d’un Etat 0, tous les

indicateurs ne sont pas pertinents à mesurer et tous ne sont pas mesurables étant donné le peu de

recul sur l’efficacité de l’outil de protection. Cette question sera discutée de manière approfondie

dans le Chapitre 7.

* *

*

126

Conclusion

Par le biais d’une analyse critique (analyse SWOT) des protocoles existants pour aborder les

dynamiques sociales au sein des AMPs, les atouts et les faiblesses du protocole SocMon ont été

identifiés et ont permis de fonder notre positionnement scientifique. Le territoire, concept par

essence géographique, y est central puisque l’appréhension de l’acceptation sociale repose sur le

degré de satisfaction des enjeux territoriaux des différents usagers. Notre approche propose ainsi

d’élaborer des indicateurs permettant d’évaluer et de suivre dans le temps et l’espace cette

satisfaction.

Grâce à une démarche ascendante (bottom-up), cette démarche permet, d’une part, de répondre

au manque d’adéquation à la gestion locale des variables proposées par SocMon tout en conservant

une dimension générique servant au rapportage. Il est en effet admis que toute AMP est une création

territoriale qui vient contraindre les enjeux territoriaux des usagers. Le territoire est donc considéré

comme un filtre d’analyse générique autorisant la comparaison d’AMPs au-delà des différences de

contexte politiques, économiques, culturels voire historiques.

En outre, le cadre conceptuel fourni par l’analyse territoriale offre l’opportunité de corriger les

faiblesses du protocole SocMon en termes d’analyse des processus dynamiques internes au sociosystème.

La théorie de l’individualisme méthodologique est ainsi dépassée dès lors que l’étude des

relations entre usagers à propos du territoire sont adjointes à celle des relations entre ces mêmes

usagers et leurs territoires.

Enfin, l’échelle de la communauté, qui représentait également une limite de SocMon notamment

dans les pays développés, est rediscutée à l’occasion de la déclinaison de notre démarche

méthodologique sur les deux terrains retenus : le Parc Marin de Mohéli (Comores) et la Réserve

Naturelle Marine de La Réunion. A Mohéli, c’est bien une communauté de résidents qui est

considérée pour la conduite et l’échantillonnage des enquêtes, tant le territoire villageois à

d’importance. A La Réunion, le sentiment communautaire est fondé par le type d’usage effectué en

mer. Les enquêtes, menées sous la forme d’entretiens semi-directifs, ont ainsi été déclinées à

l’échelle des différents types d’usagers.

Du diagnostic socio-économique à la construction d’indicateurs d’acceptation sociale en passant

par l’identification des enjeux de territoire des différents usagers, le positionnement scientifique et la

démarche méthodologique suivie sont le résultat d’inspirations théoriques et de réalités de terrain.

Ils conservent cependant, l’objectif de venir compléter efficacement les protocoles déjà existants

pour rendre l’appréhension des dynamiques sociales au sein des AMPs plus aisée et plus

opérationnelle pour les gestionnaires.

* *

*

127

Conclusion de la première partie

Cette première partie a permis de poser les cadres contextuel, géographique, scientifique

et méthodologique de cette thèse.

Contextuel, par l’approche historique des logiques de conservation mises en place dans les

aires protégées et leur mise en parallèle avec la lente appropriation du sujet par les sciences sociales,

notamment la géographie. Le premier chapitre démontre en effet que le début des années 1990

marque le début d’une humanisation des problématiques de conservation de la nature, traduite par la

mobilisation croissante des sciences humaines et sociales au sein des programmes de recherche

concernés. Au sein de ce corpus disciplinaire, la géographie se positionne depuis quelques années

comme une science d’autant plus légitime qu’elle propose des outils d’analyse opérationnels, une

approche territoriale innovante et une vision, par essence, interdisciplinaire. Cette thèse s’inscrit

donc dans le mouvement récent qui encourage l’émergence d’une véritable géographie de la

conservation.

Géographique, grâce à la présentation détaillée des aires marines protégées (AMPs) présentes

dans les pays membres de la Commission de l’océan Indien (COI). Le deuxième chapitre est

effectivement l’occasion de décrire brièvement les contextes environnementaux, socio-économiques

et politiques dans lesquels s’inscrivent les 48 AMPs de la COI et d’effectuer une typologie en fonction

des logiques de conservation en présence. Ainsi, les modèles seychellois et mauricien peuvent être

assimilés au modèle « Conservation – Exclusion », mettant de côté toute association et participation

des usagers locaux. A l’opposé, les AMPs comoriennes et rodriguaises endossent le rôle d’exemples

en termes de participation des populations locales et sont regroupés sous le type « Conservation –

Participation ». Enfin, les AMPs malgaches et réunionnaises ont, pour leur part, suivi un itinéraire

évolutif qui les a conduit de l’exclusion à la participation des communautés et usagers locaux.

Scientifique, par la justification de notre problématique dans le troisième chapitre. Basé sur une

approche critique de l’état de l’art en matière d’étude des dynamiques sociales dans les AMPs, le

positionnement scientifique de cette thèse s’articule autour de deux hypothèses de recherche :

La déclinaison opérationnelle des dynamiques sociales au sein des AMPs se fait au moyen

d’indicateurs d’acceptation sociale

Le territoire est un filtre d’analyse générique permettant d’étudier l’acceptation sociale dans les

AMPs de la région.

La vérification de ces hypothèses suppose de poser des postulats (ici cinq) et de définir un

certain nombre de concepts incontournables tels que l’acceptation sociale, un indicateur, le territoire, la

territorialité ou encore les enjeux territoriaux. Ainsi, une AMP est-elle considérée comme un nouveau

territoire réglementaire venant s’imposer à un maillage de territoires marins déjà appropriés. Son

acceptation sociale est donc fonction du degré de satisfaction des enjeux territoriaux exprimés par

les différents usagers.

Méthodologique, par le descriptif des choix méthodologiques effectués pour mener à bien

notre recherche. Déclinée à trois échelles, cette méthode croisée est élaborée à partir du cas

réunionnais (Réserve Naturelle Marine de La Réunion), ajustée grâce au cas mohélien (Parc marin de

Mohéli) puis nuancée par les cas malgache (AMP d’Andavadoaka) et rodriguais (AMP de Rivière

Banane). Le protocole d’enquêtes à La Réunion s’appuie sur l’identification de communautés

d’usagers de la réserve et privilégie les entretiens semi-directifs pour collecter perceptions et

opinions. Le diagnostic socio-économique permet l’identification des enjeux territoriaux des acteurs,

enjeux dont le suivi de la satisfaction est l‘objectif des indicateurs d’acceptation sociale proposés.

128

Deuxième partie

Diagnostic socio-économique,

enjeux territoriaux et indicateurs

d’acceptation sociale de la Réserve

Naturelle Marine de La Réunion

« La gestion environnementale n’est pas une question de rapport des hommes avec la nature mais une

question entre les hommes à propos de la nature »

Jacques Weber, 1996

129

Introduction de la deuxième partie

L’appréhension des dynamiques sociales au sein des AMPs est un sujet de recherche encore peu

exploré. Il est pourtant l’objet d’une demande croissante de la part des gestionnaires qui se trouvent

souvent démunis face à des crises qu’ils ne savent gérer. L’enjeu est donc de parvenir à traduire ces

dynamiques sous une forme opérationnelle, utile aux gestionnaires. C’est l’objet de notre première

problématique et cette deuxième partie à vocation à fournir des éléments de réponse. Elle se

propose en effet de développer une démarche méthodologique permettant d’étudier et d’estimer

l’acceptation sociale de la Réserve Naturelle Marine de La Réunion (RNM).

Cette démarche s’organise en plusieurs étapes et est déclinée pour chaque type d’usages

présents au sein du périmètre de la RNM. Dans ce travail, seuls les usages directs du milieu on été

considérés, à savoir les pratiques qui dépendent exclusivement de la présence de l’écosystème,

qu’elles soient extractives ou non extractives. Au total, huit communautés d’usagers sont ainsi

étudiées. Chacune fait l’objet d’un diagnostic socio-économique réalisé à partir d’entretiens semidirectifs,

grâce auquel les enjeux que chacun place dans le territoire marin à protéger ont pu être

identifiés. Ces enjeux de territoire peuvent être d’ordre économique, identitaire et/ou

environnemental. Par la suite, des indicateurs d’acceptation sociale sont présentés. Leur suivi dans le

temps doit permettre de déterminer si la RNM permet, ou non, de satisfaire ces enjeux de territoire.

De cette satisfaction dépend l’acceptation de l’AMP.

Dans le chapitre 3, l’analyse critique des méthodes existantes a permis de dégager les atouts et

les faiblesses des protocoles utilisés dans la région, notamment le protocole SocMon. La démarche

que nous proposons ici vient se positionner en complément. Elle fait l’objet de quatre chapitres.

Le premier chapitre (Chapitre 4) se propose de retracer l’histoire de la mise en place de la

RNM, depuis la création de l’Association du Parc Marin de La Réunion (APMR) en 1997 à la signature

finale du décret instituant le RNM en 2007. Ce nécessaire retour historique révèle les jeux d’acteurs

et permet de comprendre l’évolution des opinions et positionnements des différents groupes

d’usagers au cours du temps, permettant ainsi d’expliquer certains comportements actuels.

Le second chapitre (Chapitre 5) s’attache à décliner la méthode auprès des usagers extractifs

en présence. Ainsi les pêcheurs professionnels, les pêcheurs plaisanciers embarqués, les pêcheurs à

pied et les chasseurs sous-marins sont-il successivement passés en revue. Notons qu’une attention

particulière a été dédiée à ces usages extractifs, proportionnelle au degré de concernement qu’ils

détiennent dès lors que l’on traite de protection du milieu marin et de régulation des usages. Ce

chapitre est donc particulièrement dense, comparé aux autres.

Le troisième chapitre (Chapitre 6) fait écho avec le second puisqu’il s’intéresse aux usagers

non-extractifs. Y sont abordés les pratiquants de sports de glisse, les plongeurs sous-marins, les

usagers de la plage et les activités de découverte du milieu.

Pour finir, le quatrième chapitre (Chapitre 7) propose une analyse critique de notre démarche

et tente de mettre en lumière les avantages et les limites du travail mené. Il se conclue par

l’identification des réponses apportées aux faiblesses du protocole SocMon, dans l’idée d’une

complémentarité.

130

Chapitre 4 - Jeux et réseaux d’acteurs :

retour sur l’histoire conflictuelle de la

concertation en amont de la RNM

Sommaire

1. 1997-1999 : une phase de pré-concertation menée par l’APMR en vue de l’approbation du

projet de RNM ..............................................................................................................................................132

1.1 La commune de Saint-Paul, médiateur d’un conflit naissant .........................................................133

1.2 Réglementation de la pêche aux capucins nains : Emergence d’un conflit interne aux

pêcheurs à pied..........................................................................................................................................................135

1.3 Une « Commission Pêche » pour renouer le dialogue avec les pêcheurs à pied .....................137

2. 2000-2003 : La DIREN au coeur de la concertation pour l’élaboration du décret de RNM...139

2.1 Une médiation environnementale au service du projet de RNM .................................................140

2.2 Le projet d’insertion des pêcheurs à pied : une initiative prometteuse soumise aux

dysfonctionnements de gouvernance....................................................................................................................142

2.3 La réglementation de la pêche aux capucins : la saga des arrêtés .............................................144

3. 2004-2007 : L’histoire douloureuse de la signature finale du décret de la RNM de La Réunion

...........................................................................................................................................................................147

3.1 Trois Sages pour arbitrer et finaliser le projet de décret.................................................................147

3.2 Conflits et problèmes de gouvernance : 3 ans de délai pour aboutir à la validation officielle du

décret de RNM...........................................................................................................................................................148

3.3 L’après-décret : un nouveau défi à relever ..........................................................................................152

Introduction

La compréhension des opinions et perceptions actuelles des différents usagers et l’analyse de

l’acceptation sociale de la RNM ne peuvent être correctement abordées sans opérer un retour sur

l’histoire des négociations ayant concouru à la mise en place de l’aire protégée. De 1997, date de

création de l’Association Parc Marin La Réunion (APMR), à 2007, date de signature du décret

instaurant la RNM, les alliances et les conflits se cristallisent autour d’acteurs et d’évènements

décisifs. Ces conflits, non résolus pour certains, pour d’autres de manière insatisfaisante,

entretiennent de vieilles rancunes dans la représentation des acteurs et alimentent leurs stratégies et

positionnements actuels. Ainsi sont-ils souvent révélateurs d’une acceptation sociale inaboutie.

Ce chapitre a donc pour vocation de retracer l’historique de la concertation en amont de la

création de la RNM de La Réunion. Inspiré d’un corpus documentaire composé d’articles de presse,

de documents d’archives collectés à la DIREN mais également d’entretiens auprès d’acteurs clé63,

l’approche n’a pourtant pas la prétention d’être exhaustive. Les décisions et jeux d’acteurs ne

peuvent en effet être exposés dans toute leur complexité et leur diversité dans la mesure où l’auteur

63 Trois acteurs clé ont pu être rencontrés. Il s’agit d’Alain Barcelo, directeur de l’APMR de 1997 à fin

2003, d’Anne Lieutaud, chargée du milieu marin à la DIREN de Septembre 1999 à Juin 2005 et d’Emmanuel

Tessier, directeur de l’APMR puis du GIP-RNMR à partir de Février 2006.

131

n’a pas réellement vécu l’ensemble de la période 1997-200764. C’est pourquoi la présentation des

évènements effectuée dans ce chapitre est à nuancer. Elle représente un angle de vue et d’analyse

propre à l’auteur qui, pour certains acteurs ayant effectivement participé et vécu ces évènements,

peut sembler incomplet, simpliste voire erroné. Ce chapitre s’efforce cependant de rester au plus

proche des faits.

La période 1997-2007 a volontairement été scindée en trois. La première phase s’étend de 1997

à 1999 inclus et couvre la période de pré-concertation sous la responsabilité de l’APMR, ayant pour

objectif l’approbation du dossier de prise en considération du projet de RNM par le Conseil National

de la Protection de la Nature (CNPN). La seconde phase débute en 2000 alors que la DIREN

reprend la responsabilité du projet et s’étend jusqu’à fin 2003 au moment de l’achèvement de la

médiation environnementale. La troisième et dernière phase couvre les années 2004 à 2007-2008 et

retrace les longues années de validation du projet de décret jusqu’à sa signature finale. Chacune de

ces périodes est synthétisée par une frise chronologique retraçant les principaux évènements l’ayant

ponctuée. Cette frise propose une mise en parallèle des aspects relatifs à la gouvernance du projet,

des actions et initiatives engagées et des périodes conflictuelles qui en découlent.

1. 1997-1999 : une phase de pré-concertation menée par

l’APMR en vue de l’approbation du projet de RNM

Le 17 juillet 1997, l’Association du Parc Marin de La Réunion (APMR) est officiellement

créée. A compter de cette date et jusqu’à novembre 1999, l’APMR est porteur du projet de création

de la RNM65. Pour constituer le dossier de prise en considération de ce projet, première étape

dans le processus de création de la RNM, elle lance dès 1998 avec la DIREN et la sous-préfecture de

Saint-Paul, quatre groupes de réflexions thématiques permettant une large consultation des

acteurs.

Un groupe sur l’analyse socio-économique et l’insertion sociale piloté par la sous-préfecture. Avec le

soutien de la Commission Locale d’Insertion de Saint-Paul, cette dernière commande une étude

ciblée sur les possibilités de ré-insertion des pêcheurs à pied et des chasseurs sous-marins

pratiquant des pêches de subsistance (Assouline, 2000) ;

Un groupe sur l’harmonisation réglementaire, piloté par la DIREN. Ce groupe est chargé de faire

l’inventaire des réglementations existantes applicables à la zone d’étude et de proposer une

amélioration et/ou une modification des règles en vigueur ;

Un groupe sur l’écosystème et la gestion intégrée des zones côtières, piloté par la DIREN. Dans ce

cadre, un inventaire des connaissances disponibles sur le milieu récifal a été réalisé à partir

duquel une cartographie de la sensibilité des écosystèmes marins a été conçue (ARVAM, 1999) ;

Un dernier groupe sur l’analyse des techniques de pêche et gestion de la ressource piloté par l’APMR.

Le travail de ce groupe a été l’occasion de rencontrer les pêcheurs à pied, les chasseurs sousmarins,

les pêcheurs embarqués ainsi que les ichtyologues et les administrations en charge de la

gestion de la ressource.

Aux dires d’A. Lieutaud, ces travaux ont représenté « les prémices de la concertation ». Ils

n’abordaient cependant pas la question de la délimitation des réserves sauf pour le groupe sur

l’écosystème et la gestion intégrée des zones côtières dans lequel les enjeux écologiques ont été identifiés

sous forme de zones plus ou moins vulnérables et donc à conserver de manière prioritaire. Cette

étude constitue d’ailleurs la proposition des scientifiques relative au zonage de la future RNM.

Une synthèse des réunions de ces groupes, réalisée par l’APMR, constate « l’accord de tous les

invités, sous des conditions variables, à la réalisation des Réserves Naturelles ». Seuls les membres du

64 L’auteur est présent à La Réunion depuis Juillet 2004

65 Rappelons que le statut de Réserve Naturelle Marine a été retenu après avoir longtemps été discuté

entre scientifiques et institutionnels (Chapitre 2)

132

Collectif des Pêcheurs Traditionnels66 (CPT) affichent une opposition. En témoigne leur abandon de

l’une des réunions en signe de contestation. L’APMR poursuit en disant que « si les membres du CPT

initient une démarche en interne pour que les pêcheurs s’engagent à suivre la réglementation qui sera mise

en place, pour peu qu’elle leur accorde une place, la concertation butte toujours sur la mouvance du CPT. Sa

composition n’est toujours pas connue, ses demandes précises ne sont pas encore formalisées (…) ».

Ce collectif est au coeur des débats qui ponctuent cette phase de pré-concertation. Pour tenter

de résoudre ce conflit, trois initiatives sont lancées durant cette période : une médiation organisée

par la commune de Saint-Paul, la réglementation de la pêche aux capucins et la création d’une

commission pêche. Le retour historique sur ces initiatives permet d’une part d’analyser la stratégie

d’actions du CPT et, d’autre part, de révéler des dysfonctionnements en termes de gouvernance du

projet de création de la RNM, dysfonctionnements qui contribuent à l’ancrage du conflit avec les

pêcheurs à pied.

1.1 La commune de Saint-Paul, médiateur d’un conflit naissant

Avec la création de l’APMR en juillet 1997, l’arrêté préfectoral de 1992 instituant le Parc Marin

devient une réalité. Afin de veiller au respect de la réglementation en vigueur67, neuf écogardes sont

recrutés le 1er avril 1998. Dès juin 1998, une partie de leur mission consiste à patrouiller sur le

littoral pour surveiller les pratiques au sein du Parc Marin.

Ce rôle de surveillance dans le lagon marque le début d’un conflit ancré avec les pêcheurs à

pied. En l’absence d’un système de contrôle effectif, le Parc Marin est, jusqu’alors, considéré par ces

derniers comme inexistant. Malgré l’interdiction de la plupart des pêches à pied dans les lagons, les

pratiques des pêcheurs n’ont aucunement changé, d’autant plus que l’arrêté de 1992 est jugé par ces

derniers comme arbitraire et incohérent, puisque décidé sans aucune concertation.

La création de l’APMR et le début des contrôles font donc rapidement naître des tensions,

notamment à l’occasion des premières interpellations. Il faut dire que l’arrêté de 1992 est mal connu

par les pêcheurs des suites d’un manque de diffusion et de communication. En outre, le rôle des

écogardes est ambivalent puisqu’ils se voient à la fois chargés de la sensibilisation et de la surveillance.

Non assermentés, ils ne disposent de ce fait d’aucun pouvoir de sanction et font donc appel aux

services de police pour sanctionner les infractions. Les pêcheurs les perçoivent donc comme « des

maquereaux » ou comme « les yeux des gendarmes » dixit A. Barcelo, et cette situation peu claire nuit

fortement à l’image de l’APMR.

Le conflit se cristallise autour de l’interpellation de plusieurs pêcheurs en infraction début juin

1998. Après s’être vus dresser des procès-verbaux, confisquer leurs matériels de pêche et leurs

prises, les pêcheurs décident d’organiser un barrage sur la route RN1 de La Saline en signe de

contestation (Annexe M1). Outre la levée des sanctions, leurs principales revendications concernent

la reconnaissance de l’existence d’une pêche traditionnelle pratiquée depuis des deux voire trois

générations et la nécessité de revoir la réglementation pour autoriser sa pratique. Souffrant d’un

manque de légitimité, les pêcheurs décident de se structurer sous la forme d’un Collectif de Pêcheurs

Traditionnels (CPT). Créé début juillet 1998, ce CPT se veut un organe représentatif de l’ensemble

des pêcheurs à pied des communes de Saint-Paul et Trois-Bassins dont l’objectif est d’obtenir un

statut officiellement reconnu pour ces derniers et de lancer une révision de l’arrêté de 1992 en

concertation avec l’ensemble des acteurs (Annexe M2). Mené par Mélanie Ringuin, le CPT fédère

66 Ce collectif est entièrement composé de pêcheurs à pied. Pour défendre leur activité, ceux-ci se sont fait

appelés pêcheurs traditionnels. La plupart revendiquent en effet l’aspect traditionnel de la pêche à pied

réunionnaise. C’est pourquoi les expressions « pêcheur à pied » et « pêcheur traditionnel » sont souvent

assimilée dans ce chapitre.

67 Les limites géographiques du Parc Marin s’étendent du Cap La Houssaye à la Pointe de Boucan Canot,

entre le Port de Saint-Gilles les Bains et la commune de Trois-Bassins jusqu’à l’isobathe 50m. En outre, les

récifs coralliens de Saint-Leu, Saint-Pierre et Petite Ile sont également en réserve de la laisse de haute mer au

front récifal. L’arrêté de 1992 interdit toute activité de pêche professionnelle ou de plaisance dans ces réserves

à l’exception de la pêche à pied à la ligne (sauf sur les barrières récifales). La pêche aux capucins nains peut faire

également l’objet d’une autorisation ponctuelle des Affaires Maritimes, uniquement pour les pêcheurs

professionnels.

133

trois associations de pêcheurs à pied déjà existantes : « Pêches et Traditions » menée par H. Sault et

existant depuis 1991, l’ « Association de sauvegarde de la Pêche Traditionnelle » menée par G.

Mamosa, l’ « Association des P’ti pêcheurs amateurs » menée par J-L Berfeuil. Ces deux dernières

associations ont été créées à l’occasion de l’apparition de ces conflits, dans le but de fédérer la parole

des pêcheurs. Dans le sud de l’île, il existe également trois associations. Il s’agit de l’association des

« Petits pêcheurs amateurs de Saint-Pierre » menée par J-Y Aloyau, des « Pêcheurs Golet » et des

« Pêcheurs artisans de La Réunion » menée par J-L Collongues. Enfin, une association est présente au

Port. Il s’agit de « Mer et liberté ». Parmi ces associations, seules celles d’H. Sault et de J-L

Collongues sont membres adhérents de l’APMR.

Face à l’émergence de ce conflit, deux initiatives visant à construire un dialogue avec les pêcheurs

à pied se mettent en place.

Dans un premier temps, E. Gence, Président de l’association Action Ouest et administrateur de

l’APMR dans le collège des adhérents, et M. Ringuin entament un premier travail de terrain auprès de

l’ensemble des pêcheurs concernés par le projet de RNM. Ce travail de proximité vise à recueillir les

revendications des dits pêcheurs dans le but de rédiger un document formel présentant une

proposition de zonage, une réglementation de la pêche et du cheminement dans le lagon. Malgré un

climat particulièrement tendu, E. Gence et M. Ringuin réussissent à organiser des rencontres entre

les pêcheurs et les associations de protection de l’environnement (Vie Océane, SREPEN et Ecologie

Réunion). Ces réunions témoignent d’une convergence de volontés à résoudre le conflit à travers le

dialogue. E. Gence et M Ringuin parviennent ainsi à présenter un document signé de tous les

pêcheurs, en accord avec les principes du colloque « Protection des lagons » de 1991 (cf. Chapitre

2). En outre, la Coordination des associations de pêcheurs traditionnels est-elle crée en tant

qu’organe fédérant et représentant les intérêts de toutes les associations existantes. E. Gence en est

le secrétaire et devient par ce biais le porte-parole des pêcheurs, à l’interface avec les décideurs.

En parallèle, la commune de Saint-Paul tente de se positionner en tant que médiateur. Le maire,

Joseph Sinimalé, organise une série de réunions pour entamer un dialogue, jusqu’ici inexistant, avec

les pêcheurs. Un courrier de ce dernier, daté du 21 août 1998, fait état des conclusions de ces

réunions, qu’il défend auprès du préfet :

Nécessité de faire un inventaire hiérarchisé des causes de dégradation du milieu ;

Revoir la réglementation de la pêche traditionnelle en concertation ;

Mettre en place, en attendant cette révision, des « jachères de coraux » afin de protéger

certaines zones de toutes formes de fréquentation ;

Elaborer des mesures d’insertion sociale pour les pêcheurs traditionnels ;

Reconnaître officiellement le statut de pêcheur traditionnel par le biais, notamment, de leur

représentation de droit au sein de l’APMR.

A la suite de ces réunions et devant une situation qui reste tendue, le maire met en place un

comité de travail pour poursuivre les rencontres, auquel l’ensemble des membres du CA de l’APMR

assiste à l’exception des services de l’Etat.

Cette initiative opère une première scission au sein de l’équipe chargée de la

gouvernance du projet, scission qui voit s’opposer collectivités territoriales et organismes d’Etat

(Préfecture, DIREN). Jusqu’alors, ces derniers envisageaient la pêche dans les lagons uniquement

comme un acte de braconnage. Les pêcheurs à pied n’avaient donc aucune légitimité à être intégrés

aux discussions concernant le projet de Réserve, leurs pratiques étant inévitablement vouées à

disparaître. Les quelques tentatives de négociations entamées par le sous-préfet de Saint-Paul lors du

barrage de route, sont d’ailleurs restées vaines. A l’inverse, les mandats électoraux des collectivités

territoriales incitent les représentants à préserver la paix sociale et à conduire une politique de

proximité auprès de ses administrés. Ces différences de perspectives, couplées aux divergences

politiques au sein même de l’équipe de gouvernance du projet (CA de l’APMR) renforcent cette

scission. Les élections régionales de mars 1998 font, en effet, basculer le Conseil Régional de droite à

gauche (Parti Communiste Réunionnais), entraînant notamment la destitution de G. Cassirame du

134

poste de président de l’APMR et son remplacement par P. Berne. L’opposition à la tête de

l’association vient donc renforcer les problèmes de gouvernance du projet, notamment pour le maire

de Saint-Paul, d’appartenance RPR.

Selon A. Barcelo, le conflit entre les collectivités territoriales et l’Etat existe depuis le début du

projet et porte également sur des considérations financières :

« Il y a toujours eu une opposition sur le projet entre les collectivités territoriales et l’Etat. La DIREN était

perçue comme la structure qui donne des ordres mais qui ne met pas un centime. Sur l’accord initial de

création de l’APMR, les collectivités (Région 50%, Département 25% et les 7 communes 25%, au prorata de

l’importance du linéaire côtier) devaient prendre en charge le fonctionnement (environ 500 000€) et l’Etat

devait prendre en charge l’investissement (environ 400 000€). Durant la première année, ça fonctionne.

Mais au cours de la seconde année, l’Etat se retire car il considère qu’il ne devait prendre en charge que

l’investissement initial durant la première année. Donc la deuxième année l’APMR n’avait aucun fond pour

l’investissement et ça a été mal vécu par les collectivités territoriales. »

Malgré l’officialisation d’un dialogue autour du projet avec les pêcheurs, la structuration d’un

collectif les représentant, la formalisation de leurs revendications et le soutien du maire de Saint-Paul,

le conflit avec les pêcheurs à pied est loin d’être résolu. Le départ du préfet R. Pommies le 15 juillet

1998 et son remplacement tardif par J. Daubigny le 5 Août 1998, ralentit d’autant plus le processus

de gestion de crise. Cependant, au cours de l’assemblée générale extraordinaire de l’APMR datant du

23 juin 1999, il est fait acte de la création du collège des pêcheurs non professionnels en tant que

membre de droit et non plus simplement en tant que membre adhérent. Par ce biais, les

représentants des pêcheurs à pied obtiennent deux voix délibératives en Assemblée Générale (AG),

et une au Conseil d’Administration (CA). Un courrier du 13 Novembre 1999, signé des différentes

associations à l’exception de celle de G. Berfeuil, et à destination de l’APMR, présente les résultats de

l’élection de ces représentants (Annexe M3). J-Y. Aloyau, représentant de l’Association des Petits

pêcheurs de Saint-Pierre, siègera à l’AG avec la représentante du CPT, M. Ringuin, tandis que cette

dernière siègera également au CA. Ce changement de statut est une première victoire pour les

pêcheurs à pied qui y voient une reconnaissance de la légitimité de leur activité. E. Gence,

siège, de son côté, au CA en tant que représentant des membres adhérents, ce qui revient

officieusement pour les pêcheurs à pied à détenir deux voix délibératives au CA.

1.2 Réglementation de la pêche aux capucins nains : Emergence

d’un conflit interne aux pêcheurs à pied

Pour répondre aux revendications des pêcheurs à pied, l’APMR entame des négociations pour

réviser l’arrêté de 1992 et permettre une pratique encadrée de la pêche aux capucins nains. Cette

pêche représente en effet l’archétype de la pêche traditionnelle réunionnaise. Pratiquée en équipe,

elle s’effectue sur des fonds majoritairement sableux et consiste à emprisonner les poissons en

refermant une senne de plage.

Ces négociations se font tout d’abord avec la Coordination des associations des pêcheurs

traditionnels, menée par E. Gence. Rapidement, des différences de points de vue au sein même de

cette instance, se font sentir. A. Barcelo témoigne :

« Les négociations ont été menées avec E. Gence, en présence des pêcheurs, en tant que représentant de

la Coordination, mais en vain. E. Gence ne voulait pas aboutir. Plusieurs fois nous étions prêts à trouver une

solution, mais il trouvait toujours un argument pour repousser l’accord. »

S’opère alors une scission au sein des associations de pêcheurs. En novembre 1998, J-L

Berfeuil décide de quitter la Coordination afin de parvenir à trouver une issue au problème. L’APMR,

via A. Barcelo, entame alors une négociation en direct avec J-L Berfeuil, sans que la Coordination ne

soit au courant. En dehors de la réglementation, ce dernier est chargé d’évaluer le nombre de

pêcheurs potentiels. En un mois, les deux hommes arrivent à tomber d’accord sur une

135

réglementation qui satisfasse les deux côtés (Annexes M4) et l’arrêté préfectoral est signé le 22

janvier 1999. Il vient remplacer l’arrêté de 1992 et autorise, à titre expérimental et pour la seule

année 1999, la pêche aux capucins aux détenteurs d’une autorisation délivrée sous la forme d’une

carte par la préfecture. La réglementation fixe les dates de pêche aux périodes de lune montante à

savoir, du 14 février au 2 mars, du 15 mars au 1er avril et du 14 au 30 avril. La pratique doit se faire

entre 5H et 9H du matin, dans certaines zones définies68. La vente du produit de la pêche est

strictement interdite et les prises sont limitées à 3 kilos par personne et par jour.

La question de la réglementation de la pêche aux capucins divise donc les pêcheurs à pied entre

eux. Ce conflit atteint son paroxysme lors de la délivrance des autorisations de pêche. L’arrêté

précise que le dépôt des demandes doit être effectué aux Affaires Maritimes entre le 25 et le 29

janvier 1999 de 8H à 16H. Il est ajouté que « toute demande déposée ou reçue dans d’autres conditions

ne sera pas prise en compte ». Cependant, un courrier signé d’E. Gence au nom d’Action Ouest et de

M. Ringuin secrétaire du CPT, datant du 1er février 1999 et adressé au préfet, relate les irrégularités

constatées lors du dépôt des demandes.

Tout d’abord, il semble que l’alliance entre A. Barcelo et J-L Berfeuil des suites de la rédaction de

l’arrêté ait été atteinte à condition que ce dernier soit prioritaire pour déposer les demandes des

pêcheurs de son association. En témoigne cet extrait du courrier sus-cité :

« Dès le vendredi 22 janvier 1999 et jusqu’au dimanche 24 janvier, 400 fiches numérotées de demande

d’autorisations ont été distribuées par le Parc Marin à une unique association de pêcheurs qui semble avoir

fait remplir à grande vitesse et pour certains quartiers, sans expliquer précisément le contenu exact de

l’arrêté préfectoral notamment concernant le problème des dimensions des mailles et des dates d’autorisation

de pêche. Ainsi nous nous interrogeons sur l’objectif réel de cette action et la célérité avec laquelle elle a été

menée. »

En outre, les auteurs de ce courrier constatent qu’A. Barcelo et J-L Berfeuil ont déposé 384

demandes d’autorisation hors des délais prévus, à savoir le 25 janvier au-delà de 16H. Ils accusent

d’ailleurs le sous-préfet de Saint-Paul de l’époque, Mme Gras, de cautionner et soutenir ces

agissements. De son côté, la Coordination a pu déposer 9 demandes.

Se sentant trahis, cet évènement renforce la cassure au sein des pêcheurs à pied. Les

représentants du CPT opèrent alors un travail de sape, visant à décrédibiliser J-L Berfeuil et G.

Mamosa afin de rééquilibrer leur popularité. Et A. Barcelo de conclure :

« C’est malheureux car en un mois, on est arrivé à se mettre d’accord sur la pêche aux capucins avec J-L

Berfeuil donc on aurait pu arriver à trouver un terrain d’entente sur la réserve avec lui. E. Gence a été

important pour les pêcheurs car il leur a permis de se faire entendre mais il a tout bloqué. »

La réglementation de la pêche aux capucins et la révision de l’arrêté de 1992 aurait dû marquer

une seconde victoire pour les pêcheurs puisque cela figurait dans la liste de leurs revendications

initiales. Cette initiative est cependant dévalorisée par ce conflit interne aux associations de pêcheurs

traditionnels qui voient leur légitimité diminuer mais également par l’apparition d’une nouvelle faille

dans la gouvernance du projet de protection du milieu.

L’adhésion des pêcheurs à cette nouvelle réglementation et, par extension, l’acceptation du

projet de réserve étaient logiquement conditionnées par l’intégrité du dispositif de contrôle et de

surveillance allant de paire. Le respect des règles par chaque pêcheur reposait en effet sur l’assurance

que les infractions seraient sanctionnées. Cette première réglementation jouait donc le rôle de test

et préfigurait la gouvernance de la future RNM. Un courrier du président de l’APMR, P. Berne, datant

du 24 Février 1999 et adressé au Préfet, suivi d’un autre signé du Président de Région, P. Vergès

68 A Saint-Gilles, la pêche est autorisée du lieu de location de pédalo à l’Hermitage, jusqu’à la Ravine Sèche.

Pour Saint-Leu, entre la Pointe des Châteaux et la ferme corail, puis du port jusqu’à l’embouchure de la ravine

du Cap. A Saint-Pierre, entre la gendarmerie et le bâtiment DSQ de Terre Sainte et au niveau de la plage de

Grand-Bois. A l’Etang, Salé, dans le Bassin Pirogue. (Annexes M5)

136

datant du 8 Avril 1999, font cependant état d’une profonde défaillance dans le système de

surveillance :

« L’expérience d’ouverture de la pêche aux capucins nains constitue le premier test de responsabilisation

de la population de pêcheurs pour la gestion participative de l’écosystème récifal. (…)La réussite de ce test

dépend aujourd’hui de la capacité des forces de l’ordre à faire cesser les nombreux dérapages pratiqués par

certains pêcheurs. (…) D’ores et déjà, les tensions montent entre ceux qui respectent la réglementation et les

autres et il est probable que l’on débouche rapidement sur une situation plus tendue qu’elle n’était avant

l’expérimentation. Nous avons toujours réclamé que les contrôles soient plus nombreux, la grande majorité

des pêcheurs le souhaitent également, il en va désormais de la réussite de l’expérimentation. (…) A ce jour, à

raison de trois équipes d’écogardes marins présentes chaque jour sur le terrain, soit 125 heures effectives,

aucun contact physique ou visuel n’a été enregistré avec les forces de l’ordre. »

Ainsi le peu de sanctions des contrevenants a-t-il décrédibilisé l’ensemble de la démarche de

concertation ainsi que le système de gouvernance du projet RNM.

1.3 Une « Commission Pêche » pour renouer le dialogue avec les

pêcheurs à pied

Sous la pression de l’ensemble des pêcheurs à pied, une « Commission Pêche » est mise en

place par l’APMR en juillet 1999, en parallèle des quatre groupes thématiques créés pour la

constitution du dossier de Réserve Naturelle. Cette Commission a pour ambition de jouer le rôle

d’une instance de concertation permettant une réflexion commune entre les pêcheurs et l’APMR afin

qu’une solution durable soit trouvée. Les services de l’Etat restent cependant responsables des

décisions finales, la commission pêche n’étant qu’un lieu de dialogue et de concertation. Cinq

réunions sont organisées entre juillet et septembre 1999, l’ensemble étant sanctionné par le CA de

l’APMR du 16 novembre.

La première réunion, présidée par E. Gence alors que P. Berne est absent, est l’occasion de

présenter aux pêcheurs la cartographie de la sensibilité du milieu réalisée par l’ARVAM dans le cadre

des quatre groupes thématiques. Ce travail est restitué au titre de la proposition de zonage faite par

les scientifiques. Il propose une hiérarchie des zones récifales selon leur sensibilité sur la base de

critères strictement écologiques. Cette restitution permet d’inciter les différentes associations de

pêcheurs traditionnels à proposer également leur zonage et leurs réglementations pour la réunion

suivante. Aux dires des comptes-rendus de réunions, cette cartographie est également prétexte à

débat. Ainsi cette première réunion se conclut-elle âprement puisqu’une vive altercation faite de

propos violents et de menaces surgit entre pêcheurs à pied d’un côté et scientifiques et associations

de protection de la nature de l’autre. A tel point que ces derniers refusent d’assister à la réunion

suivante, le 7 août 1999. Cette seconde réunion est pourtant l’occasion de présenter les zonages et

la réglementation proposés par les associations des Petits Pêcheurs de Saint-Pierre et des P’tis Pêcheurs

Amateurs (J-L Berfeuil). Celles du CPT sont l’objet d’un courrier ultérieur (25 septembre 1999),

faisant suite à deux réunions de terrains. Ainsi, le 8 septembre 1999, les membres de la commission

pêche sont-ils reçus chez H. Sault à La Saline pour une présentation des techniques et instruments de

pêche. Il en est de même le 15 septembre à Saint-Pierre. Une dernière réunion a lieu finalement le 25

septembre dans le but de faire le bilan des différentes propositions émanant des pêcheurs à pied.

Alors qu’il était prévu que l’APMR soit chargée de faire une synthèse de toutes ces propositions,

il est décidé, durant le CA du 16 Novembre, d’envoyer l’ensemble de ces propositions tel quel aux

services de l’Etat afin de ne pas faire d’erreur de synthèse et de conserver, pour l’APMR, son rôle de

concertation (Annexe M6).

La Commission Pêche permet donc de renouer le dialogue entre l’APMR et les pêcheurs

à pied. Ces derniers s’engagent volontairement dans la démarche et réaffirment, malgré les tensions,

137

leur soutien au projet de Réserve Naturelle dès lors qu’il est le fruit d’une concertation avec tous les

acteurs. Pourtant, les divergences d’intérêt entre associations et la scission du CPT jouent en la

défaveur des pêcheurs dont les propositions de zonage et de réglementations sont multiples et

difficilement conciliables. En plus de ce manque de lisibilité, les progrès en matière de concertation se

voient rapidement anéantis par un changement majeur dans la gouvernance du projet. Le mois de

novembre 1999 marque en effet la fin du mandat de l’APMR en tant que porteur de projet. La

DIREN, jusque là en soutien, reprend les rennes et créé un poste de « chargé du milieu marin » afin

qu’un agent soit dédié en totalité au projet69. Selon A. Barcelo, des dysfonctionnements auraient

toujours existé entre l’APMR et la DIREN, résultant une fois encore d’une querelle administrative :

« Etant financé à plus de 50% par la Région, l’APMR était perçue comme une émanation de la Région.

Les deux organismes [DIREN et APMR] n’étaient donc pas en phase et n’avaient pas la même manière de

voir les choses »

Avec ce nouveau statut, la DIREN et notamment A. Lieutaud, chargée du milieu marin, s’attache

à rédiger le dossier de prise en considération du projet. L’analyse des propositions émises par les

pêcheurs est repoussée à plus tard, l’idée étant qu’une nouvelle phase de concertation serait de

toute façon entamée dès l’acceptation du projet auprès de la CNPN. En attente d’un retour sur les

zonages et réglementations proposés, les associations de pêcheurs traditionnels se sentent bafouées.

En témoigne l’extrait d’un courrier émanant de la Coordination de ces associations, datant du 15

mars 2005, adressé au Préfet et récapitulant les étapes de la concertation (Annexe M7) :

« Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’échanges, débats, synthèse, sur les propositions des uns et des autres, pour

ainsi aboutir à une seule proposition de l’APMR qui aurait été faite à l’Etat ? C’est pourtant ce que le Préfet

de La Réunion attendait ainsi qu’il nous l’avait affirmé dans un courrier. Qu’en est-il des propositions que nous

avions formulées ? »

Malgré ces revendications et ces dysfonctionnements certains, le dossier de prise en

considération est accepté par la CNPN en juin 2000. Cette dernière émet cependant deux

réserves :

Le projet de décret doit proposer des délimitations de zonages d’activités et des

réglementations ;

Les problèmes de rejet dans les lagons doivent être résolus en particulier les problèmes

d’assainissement.

La première d’entre elles témoigne de l’absence de propositions de zonages, pourtant largement

discutés avec les pêcheurs, dans le dossier final. Y figure cependant, comme en témoigne A. Lieutaud,

celui porté par les scientifiques, issu de l’analyse de sensibilité du milieu.

« Dans le dossier, il y avait un zonage de la sensibilité écologique, fondé sur les travaux scientifiques et

présenté comme pouvant servir de base à un zonage des activités et de la réglementation. Mais entre le

zonage de la sensibilité et le zonage de la réglementation il y a un monde, qui est celui de la réalité. Le

problème c’est que la carte du zonage des sensibilités a été perçue comme la carte du zonage de la réserve

ce qui n’était pas le cas. »

69 Il convient de rappeler que le parc marin était le projet pilote de La Réunion au sein du Programme

Régional Environnement de la Commission de l’Océan Indien (PRE-COI). Jusqu’en 1999, les représentants de

La Réunion au sein du PRE-COI sont les agents de l’Etat, à savoir la DIREN, ainsi que des représentants de

l’environnement au Conseil Général et au Conseil Régional, tous regroupés au sein de la Cellule LOcale

Environnement (CLOE). Cette cellule était chargée de coordonner les actions environnementales de la Région,

du Département et de l’Etat. Ainsi, la place régalienne de l’Etat dans les décisions en matière d’environnement

était-elle atténuée. Avec la disparition de la CLOE en 1999, la DIREN s’est retrouvée l’unique représentant et

décisionnaire en matière environnementale.

138

Ainsi cet évènement décrédibilise-t-il d’autant plus la DIREN et renforce-t-il la méfiance voire

l’opposition ferme des pêcheurs à pied au projet de Réserve Naturelle.

L’approbation par la CNPN clôt cependant la première phase de l’histoire de la concertation de

la RNM. Cette période voit naître l’opposition des pêcheurs à pied au projet de RNM, laquelle

s’ancre au gré des erreurs de gouvernance. Ainsi les différentes initiatives prises pour tenter de

résoudre ce conflit majeur jouent-elles finalement en la défaveur de l’acceptation sociale de la RNM

par les pêcheurs à pied. Le retour historique sur ces initiatives a cependant montré combien les

stratégies de ces derniers divergeaient au fil du temps. Certains parviennent à trouver des terrains

d’entente avec l’APMR. D’autres restent dans l’opposition. Il n’est pas question ici de juger le

positionnement respectif de ces associations mais plutôt d’insister sur le rôle fondamental des

stratégies individuelles des représentants de ces pêcheurs. Ces leaders fédèrent des groupes de

pêcheurs, groupes qui diffèrent entre eux selon leurs opinions et leurs représentations. Cette

hétérogénéité sera d’ailleurs confirmée par les résultats d’enquêtes et justifiera de procéder à une

typologie à l’intérieur même de cette catégorie d’usagers.

La Figure 4-1 donne un aperçu d’ensemble des évènements ayant rythmé cette première période.

Figure 4-1 : Frise chronologique de la période de pré-concertation en amont de la RNM

(1997-2000)

2. 2000-2003 : La DIREN au coeur de la concertation pour

l’élaboration du décret de RNM

Comme dans toutes les procédures de mise en place de Réserve Naturelle Nationale, la

signature du décret de création doit être obligatoirement précédée d’une procédure locale conduite

par le préfet de département et comprenant une enquête publique ou son équivalent et des

consultations locales. Cette phase de concertation s’étend, pour le cas de La Réunion, de 2000 à

2003 et est menée par la DIREN, appuyée de différents partenaires locaux. La stratégie suivie est

bien construite et tend à apaiser les conflits et à éveiller de l’espoir chez les plus récalcitrants.

Pourtant, le problème de la réglementation de la pêche aux capucins est loin d’être réglé et noircit,

chaque année, les relations entre acteurs au sein du projet RNM.

139

2.1 Une médiation environnementale au service du projet de

RNM

A partir du début de l’année 2000 et jusqu’à octobre 2001, la DIREN élabore conjointement avec

l’APMR, le préfet et la Région une stratégie de concertation. Cela a tout d’abord consisté à faire

l’inventaire de toutes les informations cartographiques déjà disponibles, à les compléter et à les

valoriser afin de construire les premiers scénarii de zonage, ceux-ci devant servir de supports aux

discussions lors de l’ouverture officielle de la concertation. Les associations de protection de la

nature comme la SREPEN et Vie Océane proposent ainsi, respectivement en février et mai 2000, un

zonage et différentes réglementations basés sur des références scientifiques précises tandis que la

DIREN et l’APMR recueillent également les propositions des pêcheurs professionnels et des clubs de

plongée durant le mois de juin 2000.

Cette phase de préparation est aussi l’occasion de mettre en place tout le système de

validation administrative et formelle de la future concertation avec les élus et les mairies

concernés. Ainsi un comité de suivi est-il créé au titre de l’instance politique et technique chargée du

suivi rapproché du projet. Il regroupe trois services d’Etat (Sous-préfecture de Saint-Paul, DIREN et

Affaires Maritimes), tous les élus de la zone d’emprise du projet, l’APMR et un expert du laboratoire

d’Ecologie Marine. Cet échelon politique est chargé de valider les résultats de la médiation afin de

constituer « un clapet anti-retour » (dixit A. Lieutaud) empêchant les élus de revenir sur leurs

engagements. Ce comité de suivi est aussi l’occasion de recueillir les opinions des élus qui, dans leur

majorité, sont favorables au projet de RNM même si le problème posé par les pêcheurs à pied

nuance souvent leurs engagements. Au dessus de ce comité siège un comité de pilotage, sous l’égide

du Préfet, en tant qu’instance décisionnelle représentant l’ensemble de la société civile : tous les élus

de la zone d’emprise, les services de l’Etat, les organismes scientifiques, les associations agréées de

l’environnement, les usagers et les acteurs économiques de la mer et du littoral. Le rôle de ce comité

de pilotage est de valider formellement les grandes avancées du projet et d’officialiser les oppositions

via des comptes-rendus publics.

Afin de se déposséder de sa position hiérarchique déjà conflictuelle et de parvenir à mettre tous

les acteurs autour de la table, la DIREN décide de lancer une médiation environnementale. La

méthode s’inspire de celle développée par M. Ridgley et C. Lumpkin privilégiant l’expression

systématique des besoins, des enjeux et des controverses de tous (Ridgley et Lumpkin, 2000).

L’objectif était que tous s’approprient les enjeux de chacun. Cette démarche a tout de même

nécessité une adaptation au contexte français. Selon A. Lieutaud, le fait qu’elle ait été conçue dans un

système anglo-saxon posait problème :

« Là-bas, les individus savent qu’ils ont le droit à la parole et qu’ils peuvent s’exprimer. En France, on n’a

pas cette habitude. Du coup, quand on donne la parole aux gens, ils commencent par se positionner en tant

que rebelle, opposé à toute innovation. Ce positionnement résulte du système top-down, inscrit dans la

tradition de gouvernance à la française. »

Après avoir affiné la méthode, la DIREN lance un appel à projet pour recruter l’organisme en

charge de mener la médiation. L’Agence Réunionnaise d’Education Populaire (AREP) est

retenue et entame les réunions en novembre 2001. Sa mission est d’accompagner la DIREN pour

faire émerger un ou des consensus entre les différents usagers directs ou indirects du milieu sur un

zonage des usages et des niveaux de protection du milieu marin, dans la perspective de la mise en

place d’une réserve naturelle marine et dans les limites du cadre fixé par la DIREN.

Une première phase de diagnostic permet à l’AREP, en concertation avec la DIREN, de définir le

protocole de terrain. Chaque catégorie d’usagers représente un groupe de concertation à part

entière, à l’exception des pêcheurs à pied parmi lesquels plusieurs groupes sont identifiés afin de

toucher le maximum d’individus et de sensibilités. Dix groupes sont ainsi constitués :

140

4 groupes de pêcheurs à pied (1 à la Saline, 1 à Saint-Leu, 1 à Saint-Pierre et 1 regroupant les

représentants d’associations) ;

1 groupe de pêcheurs professionnels regroupés au Comité des Pêches (CRPMEM) ;

1 groupe de chasseurs sous-marins ;

1 groupe de représentants d’associations de sport et activités nautiques ;

1 groupe de représentants des clubs de plongée ;

1 groupe d’hôteliers ;

1 groupe de représentants d’associations de protection de la nature.

Les élus et les scientifiques sont consultés par la DIREN à travers les comités de suivi et de

pilotage.

Chacun des groupes est rencontré successivement deux fois. La première réunion est basée sur

l’écoute. Les animateurs n’interviennent pas mais prennent notes des préoccupations, problèmes,

craintes, espoirs et colères des personnes présentes. L’objectif est de « faire baisser la tension en

permettant l’expression de la charge affective et agressive accumulée par ces personnes afin de permettre un

climat moins affectif et plus rationnel lors des rencontres suivantes » (AREP, 2002, p.4). Durant la seconde

réunion, les animateurs de l’AREP restituent les notes prises lors de la première réunion afin de les

valider et de construire des propositions et un discours à propos du projet de RNM. Il s’agit

également d’obtenir l’accord des participants pour envoyer le document de propositions à la DIREN.

En contre partie, les participants reçoivent un document identique présentant le discours de la

DIREN.

L’ensemble de cette démarche est accueillie favorablement par les différents groupes

d’usagers. L’idée des groupes de paroles desquels étaient volontairement exclus la DIREN et l’APMR

a permis de crever certains abcès existants mais également d’en révéler : « on s’est rendu compte, et

nous l’ignorions complètement, que les hôteliers et les clubs de pongée étaient remontés contre le projet de

réserve » (A. Lieutaud). Face à une situation bien plus polémique que prévue, la DIREN et l’AREP

décident d’organiser une troisième série de réunions bilatérales, auxquelles la DIREN serait présente,

afin d’engager une véritable négociation. La carte de sensibilité du lagon réalisée par l’ARVAM servait

de support aux discussions et figurait les zones à enjeux écologiques majeurs. Chaque groupe

d’usagers était chargé d’y positionner ses zones d’usages puis de définir l’emplacement de potentielles

zones sanctuaires. Ces propositions étaient donc faites en parallèle dans chaque groupe et rendaient

les synthèses délicates. C’est pourquoi, dans les zones les plus conflictuelles, la DIREN présentait

également les propositions des autres groupes d’usagers pour parvenir à un consensus et avancer de

manière transparente.

En décembre 2002, l’AREP présente sa synthèse finale dans laquelle elle compile les

revendications et propositions de chaque groupe consulté. Il semble que les réunions aient finalement

abouti à un quasi consensus concernant la réglementation des techniques de pêche et les

scénarii de zonage. Seules les négociations avec le groupe des pêcheurs de Saint-Pierre semblent

s’être soldées par un échec. En plus d’une agressivité particulièrement forte de la part de ces

pêcheurs, liée à l’arrestation récente de membres du groupe, le départ d’A-F Didier en novembre

2002, directrice régionale de l’environnement de l’époque, laisse A. Lieutaud seule à assister à ces

réunions, obligeant les membres de l’AREP à sortir de leur rôle neutre de médiateur pour tenter de

rétablir le calme et l’équilibre. A cela s’ajoute un turn-over important parmi les participants aux

réunions, forçant les membres de l’AREP à recadrer et redéfinir les objectifs à chaque rencontre.

Le groupe des représentants des associations de pêcheurs demeure également extrêmement

sceptique quant au projet et à la concertation menée. Dans une lettre au sous-préfet de Saint-Paul

datant du 7 juillet 2003 (Annexe M8), la Coordination des associations de pêcheurs traditionnels

affirme son profond désaccord avec le déroulement de la médiation et déplore que les propositions

des pêcheurs datant de 1999 puis de 2002, ne figurent pas dans les documents présentés lors du

premier comité de suivi, le 5 mai 2003. Ils regrettent ainsi que les autres membres du comité ne

puissent être informés de leurs propositions et estiment que la concertation est un échec.

141

Chose peu commune, l’association Vie Océane soutient le point de vue de la Coordination et

condamne elle aussi le déroulement de la concertation dans un courrier du 6 janvier 2003 adressé à

la DIREN (Annexe M9). L’association regrette également de ne pas disposer des informations sur les

propositions ou les demandes formulées par les autres groupes consultés afin d’être en mesure

d’élaborer des propositions concrètes en fonction.

Pour autant, l’AREP conclue qu’après un an de médiation, « les oppositions qui persistent relèvent

davantage de stratégies de pouvoir et/ou d’opposition systématique à l’administration, que d’un réel sentiment

de frustration par rapport à une situation socio-économique. (…) Il nous semble que la balle est dans le

camp du comité de pilotage, qui devrait choisir parmi tous les scénarios, ceux qui semblent les plus aptes à

protéger d’une part les lagons er les formations récifales et d’autre part les intérêts des usagers (notamment

les pêcheurs), la culture et les traditions réunionnaises » (AREP, 2002).

2.2 Le projet d’insertion des pêcheurs à pied : une initiative

prometteuse soumise aux dysfonctionnements de gouvernance

En parallèle de la médiation menée par l’AREP, la DIREN s’engage à financer les études

complémentaires émanant d’une demande des usagers. Devant les tensions avec certains membres

d’associations de pêcheurs à pied, c’est ainsi qu’elle soutient le projet de réinsertion professionnelle

des pêcheurs. Ainsi, à la suite de l’étude sociologique commandée par le maire de Saint-Paul en 2000

(Assouline, 2000), la nécessité de faciliter et d’encourager la réinsertion des pêcheurs émerge-telle

au titre d’une compensation économique en contrepartie des restrictions de pêche engendrées

par la future création de la RNM. Différents projets avaient déjà été suggérés parmi lesquels la

construction d’un musée de la pêche, la reconstitution d’un village de pêcheur, l’entretien d’un

sentier pêcheur entre le quartier de Barrage et le front de mer, etc. Ce besoin réapparait rapidement

au cours de la médiation et s’impose comme projet à soutenir de manière prioritaire.

Financée par le Fond Européen de Développement Régional (FEDER) et l’Agence d’Insertion de

La Réunion (ADI), le projet d’insertion des pêcheurs à pied est porté pas la Mission Intercommunale

de l’Ouest (MIO) en partenariat avec la DIREN et l’AREP. Il démarre fin 2002 et s’achève en mai

2004.

L’essentiel du travail consiste à encadrer le montage de projets individuels ou collectifs, à

sélectionner les plus réalisables et à démarcher les potentiels financeurs. Les projets pouvaient

porter sur n’importe quel domaine d’activité, sans être nécessairement circonscrits au milieu marin.

L’affluence des demandes témoigne de l’intérêt des pêcheurs et de l’importance de la démarche. Elles

émanent principalement de Saint-Pierre, Saint-Leu et l’Hermitage. Parmi les quelques 300

propositions formulées, une centaine est sélectionnée pour tenter d’être concrétisée. Au final, près

de 70 personnes vont être accompagnées dans un projet individuel, plus de 30 dans un projet

collectif.

Le comité de pilotage du 16 juin 2004 est l’occasion de faire le bilan de cette opération,

largement relayée dans la presse. Au titre des plus belles réussites sont citées :

L’embauche de trois pêcheurs par la mairie de Saint-Leu pour remettre en service les salines de

la Pointe au Sel et animer l’éco-musée ;

La création de l’association « Les jardiniers du lagon » dans laquelle 4 anciens pêcheurs sont

chargés de l’entretien du lagon, d’opérations de bouturage de corail et de sensibilisation du grand

public ;

La concession d’un terrain en bord de mer par la mairie de Saint-Pierre pour des pêcheurs

gaulette de Grand Bois en vue de la réalisation d’une piste de VTT ;

La concession d’un terrain sur la commune de Saint-Paul pour quatre pêcheurs afin d’y implanter

une pépinière de plantes endémiques ;

Un projet de démoustication biologique porté par un pêcheur ;

Un projet de création d’un établissement conchylicole porté par deux autres pêcheurs ;

142

Un projet de partenariat avec ou à travers une Société d’Economie Mixte (SEM) pour le

nettoyage des plages.

Cette initiative est accueillie, à juste titre, avec beaucoup d’espoir parmi la population des

pêcheurs à pied. Malgré l’engouement qu’elle suscite, sa réussite souffre pourtant à nouveau de

dysfonctionnements en termes de gouvernance. Pour l’illustrer, nous nous attarderons sur

l’histoire de deux de ces projets.

Concernant le projet d’implantation d’une pépinière de plantes endémiques, un terrain de deux

hectares a été mis à disposition par les Sucreries de Bourbon à quatre pêcheurs de l’association des

petits pêcheurs amateurs de Saint-Gilles. J-L Berfeuil était le porteur de projet et s’est largement

investi dans le montage du dossier. Malgré des débuts prometteurs, ce projet n’a pourtant jamais vu

le jour des suites de l’absence de subventions. Ces dernières devaient pourtant permettre aux quatre

pêcheurs de débuter l’activité et d’embaucher rapidement cinq autres pêcheurs. J-L Berfeuil

témoigne (Annexe M10):

« L’AREP nous a donné un sérieux coup de main pour monter le dossier. Quand on voit qu’on est

toujours sans réponse des collectivités [concernant les demandes de subventions], ça laisse perplexe. Je

côtoie de nombreux pêcheurs et quand ils voient comment ça se passe pour mon projet, ils n’y croient plus.

Moi j’y crois encore un petit peu. J’attends. »

A l’inverse, le projet des « Jardiniers du lagon » voit officiellement le jour avec la création de

l’association le 14 août 2003. Composée de 8 bénévoles, l’association vit grâce aux subventions de

l’Etat et des collectivités avoisinant environ 80 000€ par an. Les 4 pêcheurs impliqués dans l’aventure,

tous issus de Saint-Leu, doivent rapidement être recrutés par le biais de Contrats Emploi Consolidé

(CEC) dans l’idée d’être, par la suite, pérennisés. Motivés, ceux-ci s’investissent largement dans

l’opération, participant aux expériences de bouturage de corail menées conjointement avec

l’ARVAM, au nettoyage des lagons en partenariat avec l’APMR, aux actions de sensibilisation ou de

réhabilitation des sites endommagés. Ils passent d’ailleurs avec succès plusieurs examens et se

perfectionnent en plongée. Pour A. Lieutaud, cette reconversion était une grande réussite : « C’était

vraiment une valorisation des connaissances du lagon au service d’un enjeu collectif ».

Malgré l’intérêt de la démarche notamment pour la promotion du projet de RNM, les

collectivités n’ont pourtant pas contribué à la faciliter. Selon A. Lieutaud, il a été très difficile de

construire les partenariats avec les municipalités pour qu’elles autorisent les jardiniers du lagon à

intervenir sur les plages et les lagons :

« La commune de Saint-Paul ne voulait pas que les pêcheurs de Saint-Leu viennent chez eux pour faire le

nettoyage. C’est donc le sous-préfet de Saint-Paul qui a tranché en tant que représentant de l'Etat chargé de

la gestion du Domaine Public Maritime »

Pendant trois ans, les 4 pêcheurs saint-leusiens obtiennent effectivement des CEC mais leurs

statuts n’évolueront jamais plus. Las de cette situation précaire, ils réclament, à partir de 2007, le

véritable emploi qu’on leur avait promis. D’autant que la durée légale de leur CEC arrive à terme et

que l’association est donc menacée. Réclamations vaines, ils témoignent :

« On a voulu mettre un terme à notre statut de RMIstes pour obtenir un vrai statut dans la société et

surtout avoir une couverture sociale. Mais avec ce qui nous arrive aujourd’hui, nous pouvons dire que nous

aurions mieux fait de rester à notre place. On n’avait pas les avantages sociaux mais on vivait mieux, sans la

déception actuelle »

Encensée par la presse les premières années, l’expérience se solde finalement par un échec, faute

de moyens et de volonté politique. Selon A. Lieutaud, les collectivités n’ont cessé d’être

frileuses quant aux projets de réinsertion, alors qu’elles étaient les plus demandeuses au départ. En

outre, les partenaires chargés de proposer des tâches aux jardiniers du lagon n’ont, selon cette

dernière, également pas joué le jeu d’un projet collectif dans la durée. Cette attitude serait liée à

143

l’angoisse de mal faire, de prendre les mauvaises décisions concernant un problème aussi sensible que

celui des pêcheurs à pied :

« En se mettant autant sur le devant de la scène [par le biais de la presse notamment], les pêcheurs

ont beaucoup cristallisé l’angoisse au niveau des élus qui se sont dit « l’insertion c’est un foyer à problèmes,

on y va prudemment ». On n’a jamais eu de soutien des élus sur l’insertion ».

L’association des Jardiniers du lagon est dissoute dans le courant de l’année 2007. Les quatre

pêcheurs estiment avoir été floués. L’un d’entre eux rejoint tout de même le groupe des écogardes

de l’APMR. Les autres, tous pères de famille, ont repris leurs activités illégales de pêche tout en

survivant grâce aux Assedics. Ils rejettent en bloc la RNM et les institutions la concernant, à la

hauteur de la trahison qu’ils estiment avoir subie.

En plus de la médiation de l’AREP, le volet insertion des pêcheurs avait suscité une vague d’espoir

participant à l’atténuation des conflits avec les associations de pêcheurs durant les années 2002 et

2003. Pour autant, l’échec d’initiatives clés telle que celle des jardiniers du lagon a

largement joué en la défaveur de l’acceptation de la RNM et de la confiance envers les

instances de gouvernance du projet.

2.3 La réglementation de la pêche aux capucins : la saga des

arrêtés

Malgré la diminution des tensions à l’égard du projet de RNM grâce à une médiation relativement

bien menée et au projet d’insertion, le mécontentement des associations de pêcheurs traditionnels

représentées par la Coordination des associations est constant. A mesure que les années passent et

que la gouvernance du projet pèche au détriment d’initiatives pourtant prometteuses, le blocage

s’intensifie et se cristallise autour de la réglementation de la pêche aux capucins, entraînant

progressivement d’autres acteurs dans la controverse.

Après une année de test en 1999, le nouvel administrateur des Affaires Maritimes annonce que le

système de cartes d’autorisations individuelles pour la pratique de la pêche aux capucins est illégal et

qu’il ne sera pas reconduit pour l’année 2000. Un arrêté de renouvellement est pourtant pris fin

1999 dans une relative discrétion et sans concertation, méthode très décriée par les associations de

pêcheurs traditionnels dont la concurrence ne cesse d’augmenter et n’arrange pas le climat tendu.

Ainsi est-il prévu que la pêche aux capucins soit ouverte de janvier à avril, avec des périodes

alternées de fermeture et d’ouverture en fonction de la lune montante. Selon les pêcheurs, cette

réglementation n’est pas adaptée au capucin qui n’est pas présent en permanence dans les eaux du

lagon. Ils réclament l’ouverture de la saison de février à fin avril, sans interruption et le justifient par

le fait que l’alternance de périodes d’ouverture et de fermeture complexifie les règles d’accès à la

mer et pousse les gens à se mettre hors la loi.

La Coordination des associations de pêcheurs traditionnels engage alors un dialogue conflictuel

avec la sous-préfecture de Saint-Paul. Elle conteste les périodes, les engins, la qualité du suivi

scientifique, la demande de reconduction des cartes et dénonce le manque de concertation autour

d’une réglementation pérenne de la pêche à pied dans les lagons. En parallèle, dans un courrier du 28

janvier 2000 adressé au Préfet, le CRPMEM retranscrit les ressentis des pêcheurs professionnels

pratiquant la pêche à pied. Ceux-ci dénoncent les conditions de la concertation au cours de

laquelle ils estiment n’avoir pas pu s’exprimer, « toute argumentation risquant de faire l’objet de

représailles de la part des pêcheurs traditionnels ». En découle un sentiment de frustration renforcé par

l’impression d’une « libéralisation totale de la pêche dans les lagons » au détriment des démarches de

protection du milieu « auxquelles ils ont toujours largement participé ». Leur positionnement s’oppose à

certaines revendications des pêcheurs à pied comme celle d’ouvrir la pêche aux capucins dès le mois

de janvier, traduisant ainsi un conflit d’intérêt entre ces deux types d’usagers. Ils rappellent ainsi que

les pêcheurs professionnels ont accepté de se légaliser en payant leurs cotisations et qu’ils ne

144

trouvent donc pas normal de se retrouver sur le même pied d’égalité que des pêcheurs qui n’ont pas

voulu suivre la même démarche ou qui ne pratiquent leur activité qu’à titre de loisir.

Durant l’année 2000, les pêcheurs à pied collaborent peu aux suivis scientifiques de la pêche aux

capucins, condition pourtant nécessaire à l’obtention d’une carte de pêche. Mais les méthodes de

comptage et d’évaluation mises en place par les scientifiques permettent de fournir une estimation

répondant en partie aux objectifs du suivi. Les résultats sont accablants. Malgré une année de pêche

reconnue comme très mauvaise et une fiabilité discutable des données servant au suivi, ceux-ci sont

tout de même diffusés par voie de presse. L’évènement provoque un tollé chez les pêcheurs qui

s’insurgent contre l’instrumentalisation de ces résultats, qu’ils jugent massivement contestables, pour

renforcer la stigmatisation dont ils sont victimes. Le sous-préfet choisit malgré tout de reconduire

l’arrêté en 2001, puis en 2002, en interdisant clairement la fréquentation à pied des zones

coralliennes. Ces arrêtés sont à nouveau très largement contestés, en particulier parce qu’ils

morcellent un peu plus l’espace des autorisations ou des interdictions.

Un autre acteur rentre alors dans la controverse. Il s’agit de D. Dérand, représentant local de la

fondation Brigitte Bardot qui, au nom de l’association France Nature Environnement (FNE), saisit le

tribunal administratif pour contester la légalité de l’arrêté préfectoral réglementant la

pêche dans la réserve, notamment celle aux capucins. Ainsi l’arrêté de 2002 est-il annulé au titre

de l’incompétence du préfet à prendre ce type d’actes en l’absence d’arrêtés ministériels l’y

autorisant. D. Dérand s’explique dans un article du JIR datant du 11 février 2001 (Annexe M11) :

« (…) le préfet n’a pas compétence pour créer un régime d’autorisations de pêche dans les eaux

territoriales de La Réunion, ni de fixer le nombre d’autorisations susceptibles d’être délivrées. Il n’a pas

compétence non plus pour délivrer lesdites autorisations et fixer les quotas de capture par espèces ou

groupes d’espèces. »

L’objectif du représentant associatif est de démontrer qu’aucun moyen réel n’est mis en oeuvre

pour faire respecter ces arrêtés et de demander indirectement au préfet de prendre une

réglementation plus stricte afin d’éviter le pillage du lagon. Les retombées de cette action en justice

sont à l’opposé. L’annulation des arrêtés provoque un vide juridique engendrant une véritable ruée

dans le lagon décriée par le président du CRPMEM dans un article du 18 février 2003 (Annexe

M12) :

« Des pêcheurs irresponsables n’ont pas hésité à prélever des poissons en des quantités exagérées et

souvent à l’aide de moyens prohibés. Il y a eu un véritable pillage lagonaire. »

Malgré les conséquences désastreuses de l’annulation des arrêtés, D. Dérand réitère sa

démarche et fait annuler l’arrêté de 2003. Pour ne pas renouveler cette fâcheuse expérience, la

DIREN, le CRPMEM, les Affaires Maritimes et le Préfet s’empressent donc d’entériner deux

nouveaux arrêtés préfectoraux, non contestables. Le premier réglemente l’exercice de la pêche

maritime et côtière dans les eaux réunionnaises et permet d’instituer la légitimité du Préfet à

réglementer les usages au sein du Domaine Public Maritime (DPM). Le second, découlant du premier,

concerne plus directement la pêche dans le lagon. Il réglemente la pêche dite traditionnelle exercée à

titre professionnel dans la réserve et vise le capucin ou encore la pêche au crabe au casier (Annexe

M12).

La signature de ces deux arrêtés est accueillie avec joie et soulagement par les pêcheurs

professionnels qui y voient « le retour du plein droit dans le lagon » ainsi que par les pêcheurs à pied qui

se félicitent qu’une réglementation pérenne soit enfin instaurée après plusieurs mois de vide

juridique. La Coordination des associations de pêcheurs traditionnels accueille également

favorablement l’abandon du système par quinzaine qui réglementait la pêche aux capucins dans les

textes des précédents arrêtés et se réjouit de la reconnaissance officielle de la pêche traditionnelle.

Pour autant, le vide juridique, ponctuel cette fois-ci, existant entre l’annulation de l’arrêté le 31

décembre 2002 et la signature des nouveaux arrêtés mi février 2003, provoque à nouveau une ruée

dans le lagon. De même, lorsque fin 2003 la presse annonce que la FNE entend à nouveau contester

145

l’arrêté pour l’année 2004, le phénomène se reproduit. B. Cauvin, responsable des écogardes de

l’APMR à l’époque, témoigne de la situation dans un article du Quotidien daté du 29 novembre 2003

(Annexe M13) :

« Le 31 décembre 2002, les arrêtés avaient été annulés par le tribunal administratif et, le jour même, on

avait retrouvé des trémails [filets] dans la passe et des dizaines de plongeurs se sont mis à pêcher dans le

lagon. N’y ayant plus de réglementation, il n’y avait plus de braconnage et nous ne pouvions que regarder le

carnage sans rien pouvoir faire. Les choses s’étaient calmées en février 2003 avec la publication de nouveaux

arrêtés réglementant la pêche. Mais apparemment, ça recommence et on retrouve une nouvelle fois des filets

dans le lagon le jour même où la presse annonce le nouveau recours de France Nature Environnement. Soit

le hasard fait bien les choses, soit il y a des gens extrêmement bien renseignés. »

Ainsi, même s’il n’existe plus de vide juridique, la confusion dans les esprits persiste et ce sont

des années de sensibilisation sur le terrain pour encourager le changement des mentalités, qui

partent en fumée. Cette controverse est d’autant plus dure à supporter pour l’APMR et les autorités

qu’elle est assénée par une association qui se targue de préserver l’environnement. Pour

l’APMR c’est « un coup de poignard dans le dos » (Annexe M13) tandis que pour le CRPMEM

« l’association FNE a contribué à la destruction des ressources récifales et a fait preuve d’une totale

irresponsabilité » (Annexe M12).

L’histoire de la réglementation de la pêche aux capucins révèle donc également d’importants

dysfonctionnements en termes de gouvernance. L’originalité de la situation réside dans le fait que ces

derniers sont engendrés par un acteur qui, logiquement et aux vues des conséquences de la première

annulation des arrêtés, aurait mieux fait de se taire. Pour autant, cette polémique a sans doute

contribué à accélérer l’élaboration d’une réglementation pérenne de la pêche aux

capucins, tenant compte des revendications des pêcheurs et ainsi, à participer à l’amélioration de

l’acceptation sociale du projet de RNM par ces derniers.

Il faut également rappeler que malgré l’échec de certains projets de réinsertion des pêcheurs, la

période 2000-2003 se déroule sous le signe de la médiation, des échanges et du dialogue entre les

différents acteurs. Bien qu’il persiste toujours quelques mécontents, notamment au CPT qui,

rappelons le, ne représente qu’une partie des pêcheurs à pied, cette phase de concertation reste

dans l’ensemble un succès. La Figure 4-2 propose une schématisation chronologique des évènements

ayant rythmé cette période.

Figure 4-2 : Frise chronologique de la période de concertation en amont de la RNM (2000-

2003)

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3. 2004-2007 : L’histoire douloureuse de la signature finale

du décret de la RNM de La Réunion

Dans la continuité de la médiation menée par l’AREP, la phase de validation du projet de décret

s’ouvre dès 2004. Le consensus n’ayant pas été obtenu, l’option est prise d’avoir recours à un groupe

de trois Sages, neutres, pour arbitrer les décisions finales. La procédure de validation n’est pourtant

pas si simple et le rapport des Sages réveillent de nombreux conflits avec l’ensemble des usagers qui

freinent la validation finale de la RNM. D’importants bouleversements dans la gouvernance du projet

viennent se greffer à ces conflits et ralentissent d’autant plus la prise de décision. Au final, il aura fallu

plus de 3 ans pour que le projet de RNM voie effectivement le jour.

3.1 Trois Sages pour arbitrer et finaliser le projet de décret

A l’issu de la médiation de l’AREP, il revient au comité de pilotage du projet de RNM de statuer

sur la réglementation et le zonage à inscrire dans le futur décret. Pour ce faire, le préfet de l’époque,

M. Friederici, nomme en juin 2003 un « Conseil des Sages » chargé d’arbitrer cette décision en

consultant à nouveau l’ensemble des acteurs. Il répond, par ce biais, à une ancienne demande du

CPT, suggérée en novembre 1999.

Cet organe se veut neutre et impartial. Il est composé de trois personnalités reconnues

localement : Jean Coudray, scientifique à la retraite, Armand Pothin, commissaire enquêteur et Yvon

Lucas, retraité de la gendarmerie très impliqué dans les causes collectives, notamment celle des

pêcheurs, et ancien secrétaire de l’association Action Ouest présidée par E. Gence. Leur mission est

précisée dans une note émanant du Préfet, datée du 11 juin 2003 : « (…) la concertation n’a pas permis

à ce jour de dégager un consensus sur le contenu de la réserve : quel zonage retenir ? Quelle réglementation

appliquer à l’intérieur de chaque zone ? Quelles mesures d’accompagnement ? (…) Les services de 1’Etat ont

donc décidé de missionner un groupe de trois « sages » (…) Le but poursuivi est celui de la recherche du

meilleur compromis, valorisant au mieux l’intérêt général. (…) ce groupe devra : 1. synthétiser les

propositions de zonage et de réglementation issues de la concertation de terrain, 2. produire un, au

maximum deux propositions de scénarios argumentés, présentant leurs avantages et inconvénients

respectifs ».

Pendant trois mois, les Sages rencontrent donc les principaux acteurs : élus (maires de Saint-