l'article paru dans le bulletin n°36 de l'Académie de l'Ile de La Réunion où vous trouverez ce qui concerne la carnivorie.


LES SÉDUCTRICES DE BOURBON

Coévolution plantes-insectes à La Réunion

Il sera question des plantes de La Réunion et des stratégies qu’elles déploient pour séduire les insectes pour mieux se reproduire, mieux se défendre, mieux se nourrir, …

Les insectes, apparus il y a plus de 400 millions d’années, et les végétaux entretiennent des relations d’interdépendance depuis l’apparition des plantes à peu près en même temps et surtout des plantes à fleurs au Jurassique en Chine il y a 174 millions d’années. La diversité de leurs interactions s’explique par leurs évolutions conjointes, c'est-à-dire leur coévolution.

L'exemple de l'orchidée Angraecum sesquipedale de Madagascar est bien connu. Charles Darwin, en observant son éperon de 30 cm, en 1861, avait prédit l'existence d'un insecte pollinisateur capable d'en exploiter le nectar : « Dans plusieurs fleurs que m'a envoyées Mr. Bateman, j'ai trouvé des éperons de onze pouces et demi de long, avec seulement le pouce et demi inférieur rempli d'un nectar très doux. [...] Il est cependant surprenant qu'un insecte soit capable d'atteindre le nectar : nos sphinx anglais ont des trompes aussi longues que leur corps ; mais à Madagascar il doit y avoir des papillons avec des trompes capables d'une extension d'une longueur comprise entre dix et onze pouces ! » Ce n'est finalement qu'en 1903 que la sous-espèce malgache Xanthopan morgani praedicta fut décrite par Lionel Walter Rothschild et Karl Jordan.

À Madagascar, la coévolution plantes-insectes a lieu depuis l'apparition des plantes puisque Madagascar est un morceau d'Afrique dont elle s'est détachée, il y a 115 millions d'années, emportant avec elle plantes et insectes d'Afrique.

À La Réunion, le problème est tout autre. L'île n'a émergé qu'il y a 3 millions d'années. De plus le Piton des Neiges a eu des éruptions cataclysmiques qui ont probablement anéanti toute vie sur l'île à plusieurs reprises, en particulier il y a 200 000 ans. La coévolution est donc très récente et, plantes et animaux sont arrivés de zones différentes, avec leurs adaptations propres, surtout de Madagascar mais aussi de l'est. Les peuplements sont dysharmoniques c'est-à-dire qu'ils ne reflètent pas le peuplement de leur région d'origine dont toutes les espèces ne sont pas arrivées : les plantes à graines légères ou pouvant flotter et résister longtemps à l'eau de mer sont favorisées, ainsi que les petits insectes à longue diapause1. A La Réunion un tiers des insectes indigènes sont endémiques ainsi qu’environ un tiers des plantes indigènes. À ce titre, La Réunion fait partie du hotspot de biodiversité de l’océan Indien occidental.

1 Comment les plantes séduisent les insectes pour qu’ils les aident à se reproduire.

1.1 Les insectes pollinisateurs.

Les insectes sont les animaux pollinisateurs les plus diversifiés. Ils participent à la reproduction d’une espèce sur sept2 d’angiospermes3. La pollinisation est un exemple de relation favorable aux deux protagonistes, la plante et l’insecte, une interaction à bénéfices réciproques, un exemple de mutualisme. L’insecte s’alimente en partie grâce à l’organisme végétal dont les nectaires floraux sont des glandes qui produisent du nectar. Le nectar est une nourriture alternative au pollen. Il est riche en sucres (glucose, fructose, saccharose, ...) et peut également contenir, entre autres, des acides aminés, des protéines et des vitamines… Les nectaires sont généralement situés à la base des pièces florales, le plus souvent des pétales, plus rarement des sépales ou des étamines ou au fond d'un long tube comme l'éperon des orchidées. Ces nectaires floraux ont été décrits par le poète latin Virgile (70 – 19 av. J.C.) dans le livre 4 des Géorgiques. Comme les fleurs qui les portent, les nectaires résultent de processus coévolutifs avec des pollinisateurs. En contrepartie de cette distribution de nectar, de cette « récompense », la plante est pollinisée et fécondée. L’insecte joue alors le rôle de transporteur des grains de pollen dans la fleur ou d’une fleur à l’autre, contribuant ainsi à leur fécondation, parfois d’un pied à l’autre, contribuant alors au maintien de la diversité génétique de l’espèce végétale.

À La Réunion, des plantes sont arrivées sans leur insecte pollinisateur et réciproquement. Ceci est valable pour les plantes indigènes, arrivées naturellement, mais aussi pour les plantes exotiques (on connaît bien l'exemple de la vanille4). L'orchidée liane camaron, Cryptopus elatus, endémique de La Réunion et de Maurice, semble ne pas avoir partout d'insecte pollinisateur. En effet, le sphinx Hyles biguttata5 est très rare à La Réunion6. La fructification de la liane camaron, en milieu naturel, est rarissime. Dans l’île, du fait de l’absence de certains pollinisateurs, la pollinisation est aussi assurée par des oiseaux (oiseau blanc et oiseau vert) qui ne présentent pas les adaptations spectaculaires des colibris ou des nectarins et par des lézards (lézard vert des hauts et lézard de Manapany). Du fait de niches écologiques vides, il semble que l’opportunisme soit de mise. Ainsi, en 2010, Claire Micheneau et Jacques Fournel ont découvert qu’un grillon, Glomeremus orchidophilus, endémique de l'île de La Réunion, nouvelle espèce découverte à cette occasion, pollinise l’orchidée Angraecum cadetii, également endémique de La Réunion. C’est le seul grillon pollinisateur connu. Cette découverte exceptionnelle a valu à ce grillon de figurer au top 10 mondial 2011 des nouvelles espèces. Grillon et orchidée ont coévolué ensemble depuis leurs arrivées sur l’île.

À La Réunion, l'abeille charpentière, Xylocopa varipuncta, de l’ouest du Nouveau Mexique, considérée comme le pollinisateur préférentiel de Passiflora edulis, la grenadille, introduite, est absente. Le pourcentage de fleurs fécondées est faible. Deux abeilles charpentières sont présentes à La Réunion, Xylocopa violacea et Xylocopa fenestrata, mais elles ne semblent pas être très attirées par les fleurs de grenadille. L'abeille mellifère Apis mellifera unicolor visite bien les fleurs de Passiflora edulis, mais la plupart du temps, du fait de sa conformation, elle emporte le pollen sans toucher le pistil alors que l’abeille charpentière beaucoup plus grosse que l'abeille mellifère ne peut visiter une fleur de grenadille sans le toucher. Pour avoir une fructification abondante la solution la plus probante est de polliniser à la main toute fleur le soir même de son ouverture.

Le cas de la calanthe sylvatique, Calanthe sylvatica, indigène, est particulièrement intéressant7. Cette espèce est aussi appelée orchidée trois couleurs car elle présente trois morphotypes colorés : blanc, pourpre et lilas. Elle est pollinisée par un papillon, un sphinx, Macroglossum milvus, à mœurs diurnes et à longue trompe qui perçoit ces couleurs comme différentes. Ces trois morphotypes colorés diffèrent par la morphologie, la période de floraison, le taux de pollinisation8 et la distribution. Chaque population ne présente qu’un seul morphotype (dans la grande majorité des cas) : les blancs sont en altitude moyenne où la majorité des fleurs d’autres espèces sont blanches, alors que les morphotypes colorés (pourpres et lilas) sont présents à des altitudes plus importantes là où la majorité des fleurs d’autres espèces sont colorées. Cette répartition selon la couleur des fleurs environnantes pourrait donc s’expliquer par un mimétisme batésien9, hypothèse proposant que les insectes effectuent leurs visites en se focalisant sur la couleur localement majoritaire, ce qui augmenterait ainsi le taux général de pollinisation de cette couleur. L’analyse de l’odeur a révélé une situation surprenante : les trois couleurs ne sont pas associées à trois odeurs différentes, mais seulement à deux odeurs. Ainsi, une partie des blancs émet la même odeur que les lilas, alors que l’autre partie des blancs émet une autre odeur, similaire à celle des pourpres10. La couleur n’est donc pas indicatrice de l’odeur, car d’une part, les blancs présentent deux types d’odeur, et d’autre part, chacun de ces types a une odeur similaire à une forme colorée. Dans l’état actuel des connaissances, la meilleure hypothèse permettant d’expliquer les différences observées entre morphotypes semble être un processus de spéciation en marche, c’est-à-dire une différenciation en cours de réalisation de trois sous- espèces différentes. La Réunion est un véritable laboratoire de l’évolution.

De manière générale, les insectes attirés par les fleurs sont :

des diptères comme les mouches, les nérides (banana fly, Telostylinus lineolatus11), les syrphes, les dolichopodidés,

les hyménoptères comme les guêpes, les abeilles, les fourmis, les bombyles,

les coléoptères avec les cétoines comme la bébête l'argent, Proaetia aurichalcea,

et les lépidoptères ou papillons.

Les pollinisateurs sont plus ou moins efficaces selon leur pilosité, leur comportement : les papillons papillonnent, restent loin des organes reproducteurs grâce à leur longue trompe. Les coléoptères aux pièces buccales broyeuses massacrent souvent les pièces florales. Les abeilles, velues, qui alimentent leur colonie, sont beaucoup plus efficaces que la mouche bleue12 qui ne se nourrit pratiquement pas à l'état adulte.

Ce sont surtout les fleurs jaunes qui attirent les insectes. Chez les malvacées, les fleurs une fois fécondées deviennent roses chez Hibiscus tiliaceusThespesia populneoides et chez le cotonnier. Roses, elles n’attirent plus les insectes qui se consacrent alors préférentiellement aux fleurs non encore fécondées, jaunes.

Aristoloche, arum, songe des mers du sud, StapeliaBulbophyllum longiflorum attirent les mouches par leur odeur de viande pourrie ou de poisson avarié.

Des inflorescences à fleurs petites ou discrètes miment des fleurs plus visibles, chez les Euphorbiacées par exemple, chez qui le cyathe a l'apparence d'être une seule fleur, mais est en fait constitué de plusieurs fleurs.

1.2 Le cas des Ficus.

À La Réunion il existe 5 espèces de Ficus indigènes et 7 exotiques :

01

Ficus densifolia

Affouche

indigènes

02

Ficus laterifolia

Figuier blanc

03

Ficus mauritiana

Affouche rouge

04

Ficus reflexa

Affouche à petites feuilles

05

Ficus rubra

Affouche rouge

06

Ficus pumila

Lierre

exotiques

07

Ficus carica

Figuier

08

Ficus elastica

Caoutchouc

09

Ficus religiosa

Bo

10

Ficus benjamina

Ficus d’appartement

11

Ficus microcarpa

Arbre de l'intendance

12

Ficus benghalensis

Banyan

Toutes les espèces du genre Ficus sont caractérisées par la production de figues, faux fruits, issus d'un type d'inflorescence très particulier, le sycone. Les fleurs des figuiers, qu'elles soient mâles ou femelles, sont très petites et sont situées à l'intérieur d'un réceptacle creux, que l'on appelle couramment figue, en forme d’urne, ouvert à son extrémité par un ostiole par où peuvent passer les insectes pollinisateurs grâce à leur taille et à la forme de leur tête. L’ostiole est clos par des bractées imbriquées. La cavité de la figue est tapissée de nombreuses fleurs femelles et de quelques fleurs mâles. Lorsque les fleurs femelles sont réceptives (aptes à être pollinisées), les fleurs mâles sont encore à l’état d’ébauches et n’ont pas de pollen, la figue émet alors une odeur qui attire spécifiquement le ou les insectes pollinisateurs spécifiques de cette espèce de Ficus. Cette protogynie13 stricte ne rend la pollinisation possible qu’entre figues différentes. La fermeture plus ou moins hermétique de l’ostiole empêche tout apport de pollen par le vent ou par des insectes non spécialisés. La pollinisation de la figue est assurée par des hyménoptères spécifiques, les blastophages, insectes de quelques millimètres, proches des guêpes, qui ne peuvent se reproduire que dans les figues. Il en résulte une forte spécificité du couple Ficus-blastophage. Ainsi figuier et blastophage ont besoin obligatoirement l’un de l’autre pour assurer chacun leur reproduction. L’insecte femelle fécondé et couvert de pollen pénètre dans la figue, pollinise les fleurs femelles et pond dans une partie d'entre elles. Ainsi une fleur femelle donne ou bien une graine ou bien un insecte. En effet, les larves se développent, chacune dans une fleur transformée en galle. Lorsque les insectes, mâles et femelles, deviennent adultes, ils émergent dans la cavité de la figue dont les fleurs sont alors mâles, c'est-à-dire chargées de pollen. Les femelles du blastophage sont ailées alors que les mâles sont aptères. Les mâles munis de mandibules sortiront seuls de la figue. Ils vont aider les femelles, qui ne sont pas munies de mandibules, à sortir et les fécondent aussitôt, avant de mourir. Les femelles fécondées sont chargées de pollen. Elles quittent la figue à la recherche d’une nouvelle figue réceptive qu'elles pourront polliniser. Chez environ la moitié des espèces de Ficus, les figues donnent ainsi à la fois des insectes, vecteurs de pollen, et des graines. Ces Ficus sont monoïques. Chez les autres Ficus, les figues de certains arbres ne produisent qu’insectes et pollen et pas de graines. Ces arbres sont fonctionnellement mâles. Les figues des autres arbres contiennent des graines, mais ni insectes ni pollen. Ces arbres sont « femelles ». Ces espèces de Ficus sont fonctionnellement dioïques, c’est-à-dire qu’il y a des arbres dits «mâles » et d’autres « femelles ». Les blastophages ne font pas qu’exploiter la plante car ils jouent le rôle de pollinisateurs. Ils ont établi une relation de mutualisme total, d’interdépendance. L’insecte se développe, s’alimente, effectue son cycle reproductif en parfaite synchronisation avec l’organisme végétal. La pollinisation de chaque espèce de figuier dépend d’une ou de plusieurs espèces de blastophages (une moyenne de 4 espèces) qui la pollinisent et qui ne se reproduisent que sur cette espèce de figuier. La relation figuier-pollinisateur est un cas de mutualisme obligatoire et spécifique. La radiation évolutive du genre Ficus et de la sous-famille des blastophages a abouti à la formation d’environ 750 couples d’espèces dans le monde. C'est un exemple de coévolution extrême.

La figue, impropre chimiquement à un grand nombre de phytophages (animaux se nourrissant de matière végétale) avant sa maturation, offre cependant un environnement intérieur protecteur pour tout insecte ayant la possibilité de s’y installer. C’est ainsi, qu’au cours de l’évolution, de nombreuses espèces d’insectes (diptères, coléoptères, hyménoptères) ont réussi à en tirer avantage à l’aide d’innovations et d’adaptations morphologiques. Les figues mûres de F. benghalensis libèrent parfois des insectes mais ce ne sont pas ses pollinisateurs !

1.3 Le cas de l’abeille domestique.

Apis mellifera unicolor est le nom scientifique de la sous-espèce d’abeille domestique présente à La Réunion et exploitée par les apiculteurs sur toute l’île. Paradoxalement, son statut réel est méconnu.

Cette abeille a été décrite comme endémique de Madagascar. Certains pensent que son introduction depuis Madagascar se serait produite bien avant l'arrivée des premiers colons, naturellement. Des analyses moléculaires auraient montré que cela se serait produit il y a 8000 ans, donc qu’elle était présente avant la présence de l’homme. L’abeille serait alors indigène.

Pour d’autres, l’abeille se serait même adaptée à son nouveau milieu, ce qui aurait entraîné des divergences génétiques suffisantes pour estimer qu’elle est endémique.

De nombreux auteurs la considèrent comme une espèce exotique. Les premiers colons la citent : François Martin en 1667 dit que l’on peut tirer quantité de cire de l’île14. Charles Thomas Maillard de Tournon qui débarque à Bourbon en 1703 dit que l’on y produit du miel15. Guillaume Hébert, gouverneur de Pondichéry, fait escale à Bourbon du 26 avril au 18 mai 1708. Il rapporte : « Les mouches à miel se mettent dans les benjoins que le temps a creusé, et quand les créoles veulent prendre la cire, ils mettent bas l’arbre. Ils en tirent quelquefois 25 à la fois. Jamais ils n’ont pu accoutumer ces abeilles ni leurs essaims de travailler dans des ruches16. » Le comportement de l'abeille domestique actuelle est bien différent de celui de ces abeilles « sauvages » et résulte de la nécessité d'importer des abeilles domestiques. En effet, si sa présence avant l’arrivée des colons n’est pas clairement définie, des importations d’abeilles pour le développement de l’apiculture locale ont été rapportées par le passé17. Les importations se sont poursuivies au moins jusqu’en 1982, date de l’interdiction de l’introduction de reines et de colonies dans l’île18. L'abeille domestique est supposée n’avoir été introduite qu'à partir du XVIIème siècle19 .

D’après mes observations, l’abeille domestique s'intéresse davantage aux plantes exotiques qu’aux plantes indigènes. D’ailleurs sur le marché, quatre types de miels prédominent : baie rose ou faux poivrier, litchi, jambrosade, eucalyptus qui sont des espèces exotiques. L’abeille favoriserait ainsi la fructification des plantes exotiques, donc leur reproduction aux dépens des plantes indigènes, ce qui pose problème dans les milieux naturels (l'invasion par les espèces exotiques est la première cause de diminution de la biodiversité dans les îles). L’abeille véhicule généralement une image positive associée à l’apiculture et à son rôle dans la pollinisation. Aussi, en comparaison avec d’autres groupes animaux ou végétaux, une attention moindre est portée aux potentiels impacts négatifs sur les écosystèmes de l’introduction d’abeilles exotiques. Pourtant plusieurs exemples montrent que ces introductions peuvent avoir des impacts négatifs. Pour répondre à la demande croissante de miel, de plus en plus de ruches sont installées en forêt, y compris dans le cœur même du Parc National. L’abeille domestique, comme cela a déjà été démontré dans d’autres régions, concurrence les pollinisateurs indigènes pour l’accès aux ressources florales. Le choix d’espèces mellifères, parmi lesquelles des espèces envahissantes, peut alors se faire au détriment parfois de la flore locale indispensable aux abeilles sauvages. Il faut se souvenir de la protestation des apiculteurs quand il a été décidé d’éradiquer le raisin marron, plante exotique très envahissante, mais mellifère. La mouche bleue, agent de la lutte biologique contre le raisin marron, a été accusée de faire de la concurrence aux abeilles domestiques mais la concurrence faite par l’abeille domestique à tous les pollinisateurs naturels n’a jamais été évoquée.

1.4 Des symbioses remises en question

Certaines fleurs sont butinées par effraction. Des organismes perforent leur corolle pour atteindre le nectar auquel ils n'ont pas accès. En l'absence de bourdons sur l’île, les xylocopes seraient les auteurs de ces effractions mais aussi les oiseaux verts. Ils se procureraient ainsi le nectar situé dans des corolles trop profondes. Les abeilles vont profiter par la suite de ces effractions, mais sans bien sûr jouer leur rôle de pollinisateurs, en prélevant le nectar sans effleurer organes reproducteurs de la fleur.

Noms scientifiques

Noms vernaculaires

Familles

Origine

1

Crocosmia crocosmiflora

Montbretia

IRIDACÉEES

Afrique du sud

2

Cuphea ignea

Herbe cigarette

LYTHRACÉES

Amérique

3

Digitalis purpurea

Digitale

PLANTAGINACÉES

Europe

4

Fuchsia boliviana

Fuchsia de Bolivie

ONAGRACÉES

Amérique du sud

5

Fuchsia magellanica

Ti zanneau

ONAGRACÉES

Amérique du sud

6

Hedychium coccineum

Longose

ZINGIBERACÉES

Himalaya

7

Hedychium flavescens

Longose jaune vanille

ZINGIBERACÉES

Himalaya

8

Kalanchoe pinnata

Herbe tortue

CRASSULACÉES

Madagascar

9

Lonicera japonica

Chèvrefeuille

CAPRIFOLIACÉES

Est Asie

10

Passiflora molissima

Passiflore banane

PASSIFLORACÉES

Amérique du sud

11

Strobilanthes hamiltonianus

Califon

ACANTHACÉES

Inde

12

Tecoma stans

Bois pissenlit

BIGNONIACÉES

Amérique

13

Tropaeolum majus

Capucine

TOPAEOLACÉES

Amérique

Autre exemple de symbiose remise en question : l’abeille butine le manioc bord de mer, Scaevola taccada, uniquement pour le nectar car les étamines ne sont porteuses de pollen que dans la fleur en bouton. La fleur s’autopollinise mécaniquement, quand le pistil grandit et se charge de pollen à l’intérieur du bouton. Pourquoi la fleur offre-t-elle du nectar aux insectes ?

1.5Les fourmis moissonneuses.

Si des insectes favorisent la reproduction des plantes en pollinisant leurs fleurs, des fourmis se comportent en auxiliaires des plantes en dispersant leurs graines. Elles récoltent des graines pour les emmener dans leur nid. Certaines espèces les dévorent entièrement mais peuvent en perdre en route, d'autres n'en dévorent qu'une partie, l'élaïsome20, ce qui ne nuit pas au pouvoir germinatif des graines. J'ai observé la récolte de graines de filaos par des fourmis au Piton Grand-Anse.

2 Comment les plantes séduisent les insectes pour qu’ils les aident à se défendre.

2.1 Les plantes ont des domaties,

A La Réunion, les domaties sont bien connues, même des botanistes débutants, car elles sont utiles pour la détermination de beaucoup de plantes. Elles s’observent en particulier chez :

Noms scientifiques

Noms vernaculaires

Familles

Origines

01

Allophylus borbonicus

Bois de merle

SAPINDACÉES

Mascareignes

02

Anacardium occidentale

Pomme cajou

ANACARDIACÉES

Amérique du sud

03

Antidesma madagascariense

Bois de cabri

PHYLLANTHACÉES

Mada., Com., Réunion, Maurice

04

Antirhea borbonica

Bois d’osto

RUBIACÉES

Mada, Réunion, Maurice

05

Chionanthus broomeanus

Bois de cœur bleu

OLEACÉES

Mascareignes

06

Cinnamomum camphora

Camphrier

LAURACÉES

Formose et Japon

07

Coffea arabica

Café

RUBIACÉES

Ethiopie, Soudan

08

Coffea liberica

Café Liberia

RUBIACÉES

Afrique intertropicale

09

Coffea mauritiana

Café marron

RUBIACÉES

Réunion, Maurice

10

Coffea canephora

Café Robusta

RUBIACÉES

Afrique intertropicale

11

Gaertnera vaginata

Osto café

RUBIACÉES

Réunion

12

Molinaea alternifolia

Tan Georges

SAPINDACÉES

Mascareignes

13

Ocotea obtusata

Bois de cannelle marron

OLEACÉES

Réunion, Maurice

14

Pouzolzia laevigata

Bois de fièvre

URTICACÉES

Réunion, Maurice

15

Pyrostria commersonii

Bois Mussard

RUBIACÉES

Réunion

16

Rhodendron simsii

Azalée

ERICACÉES

Himalaya

La domatie (du latin domus, maison) est une structure (tige, stipules, pseudobulbe, poche foliaire, tubercule, etc.) spécialement adaptée, qui s’observe sur un végétal et qui, le plus souvent attire des arthropodes (fourmis, acariens) ou des cyanobactéries du genre Nostoc. En échange, ces organismes protégeraient la plante. Ces bénéfices réciproques relèvent de la symbiose. Dans le monde, cette structure est présente dans 300 familles de plantes et 2000 espèces. Elle diffère de la galle qui est une excroissance tumorale induite par la piqûre d'animaux parasites. À La Réunion, les domaties sont de petites dépressions à l'aisselle des nervures, souvent velues. Elles ne semblent pas attirer les fourmis. En revanche, à la loupe, on a observé des acariens sur le bois de cœur bleu et sur le bois d’osto21. Il s’agirait donc plutôt d’ « acarodomaties ». Depuis LUNDSTROEM en 1886, bien des auteurs ont cherché à expliquer l'utilité que pouvait avoir pour la plante la présence d’acariens, vivant dans ces formations, les domaties foliaires. Les acariens élimineraient des spores, des algues, des filaments mycéliens, nuisibles à la plante, ou même lutteraient contre de petits animaux nuisibles, tels que des acariens cécidogènes22. En retour, la plante leur sert de gîte et leur délivre peut-être des substances attractives. Des expériences faites sur le cotonnier, qui naturellement n'a pas de domaties, ont consisté à introduire des touffes de poils de coton à l'aisselle des feuilles du cotonnier. La colonisation d'acariens dans ces domaties artificielles augmente de 15 % le nombre de fruits, les acariens ayant débarrassé la plante de certains de ses parasites l'affaiblissant. Des expériences similaires sur le caféier ont montré une augmentation de productivité de 30 %.

Une même plante peut avoir des domaties foliaires de morphologies variées selon ses différents habitats (93 variations chez le Camphrier Cinnamomum camphora).

Comment expliquer l'existence de ces structures extrêmement répandues, avec une morphologie très constante, dans des familles végétales très diverses et sans parenté taxinomique, à répartition très vaste, sinon par leur utilité ?

Par leur localisation à l'aisselle des nervures secondaires et parfois aussi aux bifurcations de celles-ci, leur structure plus ou moins en creux, les « acarodomaties », surtout si elles produisent des « récompenses » pour les acariens, se rapprochent de certaines glandes qui ont une surface déprimée, comme l'avait déjà souligné A. P. DE CANDOLLE en 1827. Acarodomaties et glandes ont-elles une origine phylogénique, plus ou moins lointaine, comparable ?

2.2 ou des nectaires extrafloraux.

Des glandes à nectar, les nectaires, peuvent parfois aussi être extra-floraux, et se trouver sur les feuilles, les bractées, le pétiole ou même sur une tige ou à la surface des fruits. Ceci est connu depuis 1762. Déjà en 1886, F. Delpino, botaniste italien, grand précurseur de la science de la pollinisation, cite une liste de 2900 espèces porteuses de nectaires extrafloraux. Dans les zones tempérées, on peut en observer sur les feuilles de cerisiers et de certains pruniers. Sous les tropiques où le feuillage estpersistant, le succès écologique des fourmis arboricoles s'explique en partie par leur régime alimentaire incluant une part importante de nectar que certaines plantes peuvent fournir à profusion. Le nectar est collecté au niveau de nectaires extrafloraux. Ces nectaires attirent en premier lieu des fourmis prédatrices de chenilles et d’autres insectes phytophages. Agressives et prédatrices, les fourmis expulsent ou capturent les arthropodes folivores et assurent ainsi la protection de la plante. Ces nectaires étant en général présents sur les feuilles, les ouvrières patrouillent sur l'ensemble du feuillage et ses branches porteuses. Le coût que représente la production de nectar pour la plante est ainsi compensé par le bénéfice qu'elle retire de cette défense par procuration23. Il s'agit d'un exemple de mutualisme, où les deux parties impliquées, à savoir les fourmis et la plante, sont gagnantes (nourriture pour la fourmi, défense des plantes contre les folivores). Opportunistes, d'autres insectes peuvent être attirés par du nectar extrafloral comme les bananaflies, les abeilles et les guêpes observées sur la liane papillon. Ils ne jouent aucun rôle pour la protection de la plantes.

Dans le monde, des nectaires extra-floraux ont été recensés chez des plantes à fleurs d’environ 4000 espèces, réparties dans 750 genres et au moins 108 familles (surtout des plantes tropicales et carnivores) qui sont visitées par plus de 10 ordres d'insectes. Les Fabacées ou Papilionacées comptent 1069 espèces à nectaires extrafloraux (sur un total de 19500 espèces), surtout dans les genres SennaInga et Acacia. Les Passifloracées en comptent 438 espèces sur 935, et le genre Passiflora à lui seul 322 espèces. Les Malvacées en comptent 301 espèces sur 4225 notamment dans le genre Gossypium. Chez les Ebénacées, toutes les espèces en sont pourvues comme le plaqueminier ou kaki, les mambolos, les sapotes, exotiques, et le bois noir des hauts, Diospyros borbonica, endémique de La Réunion. Les nectaires foliaires ont également été observés chez une quarantaine d'espèces de fougères appartenant aux genres PteridiumCyatheaHemiteliaAngiopterisPhotinopterisPlatyceriumDrynariaHolostachyumMerinthosorusPolybotrya de quatre familles. Pteridium aquilinum (L.), la fougère aigle, est particulièrement connue pour ses nectaires et il y a de très nombreux travaux sur ce sujet. Le premier d'entre eux est celui de Francis Darwin, le fils de Charles Darwin. Il date de 187724 et traite des fougères anglaises. Les nectaires extrafloraux sont absents, cependant, chez les bryophytes, les gymnospermes, les premières angiospermes, les magnoliidées, et les membres des Apiales. Il faut sans doute mettre ce fait en parallèle avec l’évolution des insectes et l’apparition et le développement des fourmis au cours du Crétacé. Des études phylogénétiques et la large distribution de nectaires extrafloraux parmi les plantes vasculaires indiquent des apparitions indépendantes et multiples au cours de l'évolution, dans au moins 457 lignées divergentes.

À La Réunion, des nectaires extrafloraux ont été observés chez :

Noms scientifiques

Noms vernaculaires

Familles

Origines

01

Abutilon hirtum

 

MALVACÉES

Eurasie méridionale

02

Acacia dealbata

Acacia Bernier

FABACÉES

Australie, Tasmanie

03

Acacia mearnsii

Acacia

FABACÉES

Australie

04

Albizia lebbeck

Bois noir

FABACÉES

Asie tropicale ?

05

Aleurites moluccana

Bancoul

EUPHORBIACÉES

Asie, Pacifique

06

Alsophila glaucifolia

Fanjan femelle

CYATHEACÉES

Réunion

07

Cajanus cajan

Ambrevade

FABACÉES

paléotropicale

08

Cajanus scarabeoides

Pistache marron

FABACÉES

Asie

09

Canavalia bonariensis

 

FABACÉES

Amérique du sud

10

Canavalia rosea

Patate cochon

FABACÉES

pantropicale

11

Claoxylon glandulosum

Gros bois d'oiseaux

EUPHORBIACÉES

Réunion

12

Desmanthus virgatus

Ti cassi

FABACÉES

Amérique tropicale

13

Dichrostachys cinerea

 

FABACÉES

Afrique, Australie

14

Diospyros borbonica

Bois noir des hauts

EBENACÉES

Réunion

15

Diospyros digyna

Sapote

EBENACÉES

Antilles

16

Diospyros kaki

Kaki

EBENACÉES

Asie

17

Diospyros philippensis

Mambolo

EBENACÉES

Philippines

18

Enterolobium cyclocarpum

Oreille cafre

FABACÉES

Amérique centrale

19

Erythrina variegata

Pignon d’Inde

FABACÉES

océans Indien et Pacifique

20

Gagnebina pterocarpa

 

FABACÉES

Maurice

21

Gossypium sp.

Cotonnier

MALVACÉES

 

22

Hiptage benghalensis

Liane papillon

MALPIGHIACÉES

Indo-Malaisie

23

Inga laurina

Arbre à miel

FABACÉES

Antilles

24

Leucaena leucocephala

Cassi

FABACÉES

Mexique, Amérique centrale

25

Passiflora alata

Grenadille

PASSIFLORACÉES

Amérique tropicale

26

Passiflora edulis

Grenadine

PASSIFLORACÉES

Brésil

27

Passiflora quadrangularis

Barbadine

PASSIFLORACÉES

Amérique tropicale

28

Passiflora suberosa

Grain d’encre

PASSIFLORACÉES

Amérique tropicale

29

Pithecellobium dulce

Tamarin de l’Inde

FABACÉES

Amérique centrale

30

Prosopis juliflora

Epinard

FABACÉES

Amérique du sud

31

Prunus persica

Pêcher

ROSACÉES

Nord de la Chine

32

Pteridium aquilinum

Fougère aigle

DENNSTAEDTIACÉES

Cosmopolite

33

Ricinus communis

Tantan

EUPHORBIACÉES

NE Afrique tropicale ?

34

Senna sp.

 

FABACEES

 

34

Thunbergia grandiflora

Liane mauve

ACANTHACÉES

SE asiatique

35

Vachellia farnesiana

Zépinard

FABACÉES

Amérique tropicale

Des plantes protègent spécialement leurs fleurs en tuant les insectes rampants, tout en épargnant les insectes volants pollinisateurs qui accèdent au nectar floral par l'intérieur de la corolle. L’exemple de Thunbergia grandiflora25 est particulièrement significatif. Des fourmis, appâtées par le nectar extrafloral, interdisent l’accès à l’extérieur de la corolle, régulièrement percée en leur absence par des prédateurs. Les insectes doivent alors obligatoirement accéder au nectar floral par l’intérieur de la corolle et, ainsi, contactent les organes reproducteurs. Les insectes pollinisateurs sont ainsi favorisés. Le rôle des nectaires extrafloraux dans la protection de la plante par les fourmis, et, de la fleur en particulier, est généralement admis aujourd’hui26.

3 Comment les plantes séduisent les insectes pour les tuer.

3.1 Des plantes carnivores à La Réunion ?

Un autre cas de relation plante-insecte est fourni par Passiflora foetida. Trois chercheurs indiens, T.R. RADHAMANI, L. SUDARSHANA et RANI KRISHNAN27 se sont demandés si cetteplante, qui est fréquente à La Réunion28, pouvait être considérée comme une plante carnivore. Passiflora foetida est, en effet, capable de prendre au piège, dans les filets collants de ses bractées, des insectes (homoptères, hyménoptères, diptères) ce que nous avons également observé à La Réunion où cette plante, originaire d'Amérique, est naturalisée. Les bractées sont couvertes de petites glandes produisant une sécrétion collante29 ayant une activité peptidase et phosphatase acide, deux enzymes que l'on trouve aussi dans les pièges des plantes carnivores avérées (Droséracées, Broméliacées, Byblidacées, Céphalotacées, Lentibulariacées, Sarracéniacées, Martyniacées, Népenthacées, Eriocaulacées, Dioncophyllacées). Des acides aminés provenant de la digestion des proies ont aussi été mis en évidence par les scientifiques. Il n'est cependant pas encore établi clairement que la plante tire des nutriments de ses proies. On la considère pour l'instant comme une protocarnivore (ou paracarnivore ou subcarnivore). On a émis l'hypothèse que les plantes protocarnivores occupaient des habitats pauvres en nutriments minéraux, mais pas aussi carencés en azote et en phosphore que les habitats de véritables plantes carnivores. Elles présentent une évolution convergente à celle de plantes carnivores dans leurs formes, mais pas nécessairement dans leurs fonctions. Sont-elles capables de digérer leurs proies ou d'assimiler leurs nutriments comme le ferait une plante carnivore au sens strict ?

La même observation d'insectes piégés et morts a été faite sur Erica galioides, le thym marron, espèce endémique de la Réunion qui possède des poils glanduleux sur les rameaux, les feuilles, les pédicelles, les sépales. Le caractère collant de cette plante est souligné par le nom de l’espèce, galioides, semblable au gaillet ou Galium, qui, lui, a la propriété de s’accrocher à la peau ou aux vêtements grâce à de minuscules crochets de ses feuilles et de ses tiges comme le « velcro ». Francis Friedmann30dit : « L’extrémité glanduleuse rouge des poils peut sécréter une glu incolore qui ne sèche pas (sur des herbiers récoltés il y a vingt ans on trouve encore des poils gluants, Bosser 11893, P), ce qui rend les feuilles et l’ensemble de la plante gluants. Chez certaines plantes également gluantes, la glande est sessile sur la marge des feuilles. D’autres plantes ne sont pas gluantes soit parce que la sécrétion de glu ne se fait pas, bien que les poils glanduleux soient apparemment normaux, soit parce que la partie glanduleuse manque totalement à l’extrémité des poils qui sont alors dendritiques. Les plantes dont les poils glanduleux sont très réduits, grêles, à extrémité non sécrétrice, sont également non gluantes. La plupart des échantillons peu pubescents et non gluants (poils glanduleux très réduits) proviennent des régions les moins élevées : Bébour, Plaine des Cafres. Les échantillons typiquement glanduleux, à feuilles gluantes, proviennent le plus souvent d’altitudes plus élevées : Pic du Maïdo, Caverne Dufour, pentes du Piton de la Fournaise. Seuls les rameaux jeunes, en croissance active sont gluants et non les rameaux âgés, les poils glanduleux étant caducs. Dans la phase gluante, E. galioides piège un certain nombre de petits insectes et des éléments transportés par le vent, graines, etc. (les poils gluants ressemblent beaucoup à ceux des Drosera, plantes carnivores, mais ce n’est là qu’une ressemblance superficielle). La raison d’être des poils gluants n’est pas évidente, ils pourraient jouer un rôle dans la dissémination par les oiseaux ». Cette espèce pousse jusqu'à 2600 m sur le Piton de La Fournaise sur des sols purement minéraux. La carnivorie, réelle ou non, expliquerait peut-être la colonisation de sols aussi pauvres par Erica galioides. Dans une de ses premières publications sur les plantes carnivores en 1875, Charles Darwin avait d'ailleurs suggéré qu'un certain nombre de plantes ayant développé des glandes adhésives, comme Erica tetralix, du même genre que Erica galioides, puissent s'avérer carnivores pour peu que quelques études approfondissent le sujet. En 1875, Darwin ne fit que mentionner ces espèces, sans lui-même poursuivre ces recherches, cantonné qu'il était sur le genre DroseraErica galioides n'est pas a priori très attractif pour les insectes. Mais vues de près, ses glandes sont cependant rouges et brillantes, plutôt appétissantes. Cette plante pousse sur des sols purement minéraux et il semblerait logique de penser qu'elle améliore sa nutrition en exploitant les éléments qui proviennent de la décomposition des cadavres d'insectes qu'elle a capturés. Elle possède à sa surface des enzymes digestives qui attaquent la gélatine des pellicules photo. Synthétise-t-elle ces enzymes ou sont-elles produites par des bactéries ou des moisissures qui vivent à sa surface ? Les insectes, petits et moyens31, piégés par Erica galioidessont condamnés. Morts, ils vont se décomposer sous l’action de ces enzymes. Les nutriments seront entraînés par les pluies au pied de la plante. Permettront-ils une nutrition améliorée dans un sol purement minéral dépourvu d’azote ? Francis Friedmann a noté que le caractère glanduleux n’était pas constant. La production de glu représente un coût non négligeable pour cette plante qui ne dispose pas de ressources minérales abondantes. Elle semble être plus fréquente chez les plants en croissance active et chez les plants d’altitude élevée. Elle présenterait un caractère adaptatif évident si la carnivorie était avérée. Notons que l’ordre des Ericales inclut parmi ses familles celle des Sarracéniacées, famille de plantes carnivores (Sarracenia 11 espèces, Heliamphora 15 espèces et Darlingtonia californica) et celle des Roridulacées, qui compte deux espèces endémiques d’Afrique du Sud qui capturent des insectes mais ne les digèrent pas. Une punaise, qui vit sur ces plantes sans s’engluer, se nourrit des proies de la plante et les digère puis nourrit indirectement les plantes par ses déjections.

Jan Schlauder32 a émis l’hypothèse d’une apparition progressive de la carnivorie au cours de l'évolution :

1 – premier stade : la présence de poils raides et glanduleux sur le calice favorise la dispersion des graines qui s’accrochent aux poils et aux plumes des animaux (zoochorie).

2 – des poils glanduleux sur le calice favorisent la pollinisation croisée en piégeant les insectes rampants.

3 – les insectes rampants capturés et digérés améliorent la nutrition de la plante : protocarnivorie.

4 – les surfaces foliaires sont à leur tour munies de pièges : carnivorie passive de type papier tue-mouche.

5 – stade ultime : pièges à ressort des plantes « gobe-mouches » grâce à des poils adhésifs à fonctions sensitives, motrices et digestives.

La prédation des insectes par les plantes ne relève pas d'une coévolution plante-insecte mais le stade qui nous intéresse ici est le stade 2 où la pollinisation croisée est favorisée par des structures de la plante.

3.2 Des plantes qui favorisent les pollinisateurs volants.

On peut faire l'hypothèse que le piégeage des insectes minimise efficacement la prédation sur les jeunes fleurs et les fruits. En effet, on observe que les boutons de fleurs et les fruits sont davantage attaqués par les prédateurs lorsque les bractées porteuses de poils gluants ont été retirées expérimentalement chez Passiflora foetida. La fonction des poils gluants serait d'éliminer les insectes rampants susceptibles d'attaquer les organes reproducteurs, ce qui favoriserait les pollinisateurs volants et la fécondation croisée et donc la production de graines.

Plumbago zeylanica, peut-être indigène à La Réunion, possède des poils glandulaires sur le calice, qui ressemblent structurellement à ceux des Drosera et qui sécrètent un mucilage collant capable de capturer et de tuer des insectes. Rachmilevitz et Joel, en 1976, considèrent également les Plumbago comme des protocarnivores. L’expérience faite avec une pellicule photo montre que les poils glandulaires des calices sécrètent une enzyme capable d’attaquer la gélatine des films photographiques. Pour Jan Schlauder, en 1997, ces poils visqueux favoriseraient aussi la pollinisation croisée en éliminant les insectes rampants comme les fourmis incapables de transporter le pollen d’un pied à un autre. La famille des Plumbaginacées appartient à l’ordre des Caryophyllales comme celle des Dioncophyllacées, des Droséracées, des Népenthacées et des Drosophyllacées qui comptent des genres carnivores.

Il est possible aussi que ces poils collants permettent le transport par les animaux, à poils ou à plumes, ou par nos vêtements, des fruits à une seule graine qui restent enfermés dans le calice. C'est le premier stade de carnivorie de Jan Schlauder33Drymaria cordata, une caryophyllacée envahissante, capture de petits insectes grâce aux poils glanduleux de son calice et de son pédoncule qui facilitent la dispersion de ses fruits. Les glandes adhésives des fruits du Bécabar bâtard, Boerhavia coccinea et deBoerhavia diffusa, deux Nyctagynacées, favorisent aussi leur dispersion. Les insectes ne seraient que de simples victimes collatérales d’une autre symbiose animal-plantes, la zoochorie, c’est-à-dire le transport des graines par les animaux plus gros.

Il y a un cas énigmatique : la fabacée, Desmodium intortum, possède des rameaux très collants mécaniquement grâce à des poils « velcro » qui lui permettent de capturer d'assez gros insectes (jusqu'à des mouches bleues) sans que cela puisse être mis en relation évidente avec la reproduction de la plante ou sa dispersion, ou même l'amélioration de sa nutrition.

Voici quelques exemples de plantes de La Réunion capables de capturer des insectes :

Nom scientifiques

Nom vernaculaires

Familles

Origines

01

Boerhavia coccinea

Bécabar bâtard

NYCTAGYNACÉES

?

2

Boerhavia diffusa

 

NYCTAGYNACÉES

?

03

Erica galioides

Thym marron

ERICACÉES

Réunion

04

Plumbago auriculata

Dentelaire du Cap

PLUMBAGINACÉES

Afrique du Sud

05

Plumbago zeylanica

Dentelaire de Ceylan

PLUMBAGINACÉES

Afrique et Asie

06

Jatropha gossypiifolia

 

EUPHORBIACÉES

Am. tropicale

07

Drymaria cordata

 

CARYOPHYLLACÉES

Amérique

08

Passiflora foetida

Poc- poc

PASSIFLORACÉES

Am. sud

09

Rhododendron simsii

Azalée

ERICACÉES

Himalaya

10

Desmodium intortum

Colle-colle

FABACÉES

Amérique

CONCLUSION

Tous ces exemples montrent que l’interdépendance plantes-insectes est complexe. Cet article sans prétention n’a pas l’ambition de répondre à toutes les questions. Il traduit seulement le plaisir d’observer dans la nature des relations entre les êtres vivants, de les photographier éventuellement. Elle montre que l’évolution n’est pas seulement le résultat du combat du plus fort contre le plus faible, de la sélection du meilleur. Pour Darwin, le processus de l’évolution sélectionne, non le meilleur, mais le plus adapté, ce qui est complètement différent. Le mutualisme, qui procure par définition des avantages réciproques, favorise les deux partenaires, ce qui améliore leur adaptation aux conditions locales, leur succès. De plus, la spécificité du couple insecte-plante, en spécialisant chaque partenaire, est un facteur de spéciation, c’est-à-dire d’apparition de nouvelles espèces. L'entraide est ainsi doublement un moteur de l’évolution, peut-être plus efficace que le struggle for life classiquement évoqué. La Réunion, véritable laboratoire de l’évolution, en est certainement un hot spot et tous ces exemples de plantes séductrices mériteraient d’y être étudiés plus finement.

BIBLIOGRAPHIE

Académie de l'île de la Réunion, Escales, tome II, Orphie, 2018.

Index, Conservatoire Botanique National de Mascarin, 2020.

Bosser, J., Cadet, Th., Guého, J., Marais, W., Flore des Mascareignes, La Réunion, Maurice, Rodrigues, The sugar Industry Research Institute, l'Institut Français de Recherche pour le Développement en Coopération, The Royal Botanic Gardens, Kew, 1976–2019.

Lougnon, A., Sous le signe de la tortue, Larose, 1958.

Lougnon, J., Quinze années d'actualités locales, tome 2, Cazal Saint-Denis, 1977.

Martiré, D., Le grand livre des plus beaux insectes de La Réunion, Orphie, 2015.

Martiré, D. et Rochat, J., Les papillons de La Réunion et leurs chenilles, Parthénope collection, Publications scientifiques du Muséum, 2008.

Pailler T. et al., Guide des Orchidées de l'océan Indien, version numérique, 2018.

Vincent ALBOUY, « Plantes et insectes : des relations durables » (Glénat, 2014).



Notes de bas de pages


Phase du cycle de vie de l'insecte durant laquelle il diminue l'intensité de ses activités métaboliques, généralement pendant une période défavorable.

2 Schoonhoven et al. 1998, Danforth et al. 2006.

3 Les angiospermes sont les plantes à fleurs et à vrais fruits à la différence des gymnospermes.

4 L'insecte pollinisateur de la vanille n'existe pas à La Réunion. La vanille n'y est pas fécondée naturellement. Deux botanistes, un Belge puis un Français, sont les premiers à réussir la fécondation artificielle de la vanille, en 1836 et en 1837. Mais leur découverte ne filtre pas au-delà des cercles scientifiques. C’est finalement un jeune esclave réunionnais, féru de botanique, Edmond Albius, qui, en 1841, à l’âge de 12 ans, redécouvre le procédé de pollinisation manuelle de la vanille, faisant de l’île Bourbon le berceau de la diffusion d’un nouveau savoir-faire et, pour un temps, le plus gros producteur de vanille au monde.

5Pailler, T., Guide des Orchidées de l'océan Indien de T. Pailler et al., version numérique, 2018.

6 Martiré, D. et Rochat J., Les papillons de La Réunion et leurs chenilles, Parthénope Collection, Publications scientifiques du Muséum, 2008, p. 358.

7Schatz, B., Delle-Vedove, R., Bessière, J.-M. et Dormont, L., La couleur comme communication entre orchidées et insectes pollinisateurs Cah. Soc. Fr. Orch., n° 8 (2014) Actes sixièmecolloque de la Société Française d’Orchidophilie, Blois 45.

8 Juillet et al., 2010.

9 D’après son découvreur, un naturaliste anglais du XIXèmesiècle nommé Henry Walter Bates.

10 Delle Vedove et al., 2011.

11 Martiré, D., Le grand livre des plus beaux insectes de La Réunion, Orphie, 2015, p. 217.

12 Insecte introduit en 2007 à La Réunion pour lutter contre le raisin marron.

13Les fleurs femelles fleurissent avant les fleurs mâles.

14 Lougnon, A., Sous le signe de la tortue, Larose, 1958, p. 46.

15 id. p.116.

16Académie de l'île de la RéunionEscales, tome II, Orphie, 2018, p. 22.

17Bappoo, D. R. et Ramanah, D., The state of beekeeping in Mauritius and other Mascarene Islands, Proceeding Fourth International Conference on Apiculture in Tropical Climates, 6-10 november 1988-1989, Cairo, Egypt

Lougnon, J., qui, dans Quinze années d'actualités locales, tome 2 raconte, p. 92 et 119, que suite à une épidémie d'acariose en 1960, l'apiculture réunionnaise fut sauvée par l'importation massive de reines du Banat (Hongrie).

Chaudenson, R., Lelexiquedu parler créole à La Réunion, 1974, t. I p. 228 et t. II p.669.

18Ce qui n'a pas empêché l'arrivée du varroa en 2016.

19CRANE E., Bees and beekeeping, Science, Practice and World Ressources, Heinemann Newnes, 1990.

20Excroissance très nutritive de la graine.

21 J'ai fait ces observations à l’aide du microscope de poche Nature et découvertes réf. 40125000 dans les domaties du bois de cœur bleu sur le sentier de la Roche Verre Bouteille, du bois d’osto sur le sentier du Trou de Fer et fait des photographies sur le bois de cœur bleu à La Crête (Saint-Joseph) avec un Olympus Tough.

22 Responsables de la formation de galles.

23 Espèces, n°25, septembre 2017.

24 Journ. Linn. Soc. Bot. 15 : p. 398 à 409.

25 Van der Pijl, 1954.

26 Bentley, B. L., Extrafloral nectaries and protection by pugnacious bodyguards, Ann. Rev. Ecol. Syst. 8:407-427, 1977.

27Journal of Biosciences, Vol. 20, Number 5, December 1995, pp 657-664, India.

28 Elle y st appelée poc-poc.

29 Ce sont ces glandes visqueuses qui donnent une mauvaise odeur, d'où le nom foetida.

30Flore des Mascareignes, volume 112, p. 7 et 8, 1981.

31 Le record est une libellule zygoptère, une demoiselle, de 30 mm de long.

32 Journal de l’International Carnovorous Plant Society, 1997

33 cf précédemment 3.1 : des plantes carnivores à La Réunion ?