Il pleut quand nous arrivons au Tremblet sur le petit parking avant la descente vers les champs de laves du « Pays brûlé » comme l'indiquaient les cartes d'antan.
Nicole CRESTEY nous présente le thème du jour, à savoir la colonisation des laves du Grand Brûlé par les végétaux. Selon l'âge des coulées, la végétalisation est plus ou moins avancée. Des naturalistes venus du monde entier viennent ici étudier comment les coulées se peuplent, la fréquence des éruptions du volcan permettant des études très précises à l'échelle du temps humain.
La colonisation de l'île par les végétaux s'est faite par le vent. Elle a pu se faire aussi par les animaux, notamment les oiseaux. Au cours des âges et pour ce qui concerne l'ensemble de l'île, on peut dénombrer plusieurs agents de dissémination de plantes. Le Solitaire de la Réunion (un ibis) a peut-être joué un rôle en son temps révolu désormais. Mais cela est peu vraisemblable, il ne consommait pas, du moins a priori, de graines. De même pour l'oiseau bleu de la Plaine des Cafres. Les perroquets endémiques, le Mascarin notamment, tous disparus aujourd'hui, ont eux par contre très certainement aidé à disséminer des graines. De nos jours, le Merle de Maurice, le moineau, le Martin sont chez les oiseaux les espèces les plus communes et donc les plus actives dans la dissémination de graines.
Chez les mammifères, ce rôle a été joué par les chauve-souris endémiques, frugivores, aujourd'hui disparues. Pourtant, une colonie dont le lieu d'habitation est tenu secret serait arrivée de Maurice à la Réunion.
Les tortues terrestres, également disparues, ont également contribué à répandre des graines.
Pour ce qui concerne le Grand Brûlé, les coulées sont désormais colonisées et envahies par des plantes essentiellement exotiques. Les coulées récentes ne sont pas encore stabilisées. La route que nous allons emprunter s'affaisse régulièrement, notamment au niveau de la Ravine Criais. Cela s'explique par le fait que les parois des tunnels dans lesquels la lave a coulé, une fois refroidies, s'affaissent peu à peu et parfois s'écroulent au fil des ans. On a compté jusqu'à six niveaux de ces tunnels de lave. La coulée de 2007 que nous allons explorer en premier est ainsi exceptionnelle par le volume de lave libéré et ce sur une largeur relativement conséquente. Elle sera très longue à se refroidir, ce que les pique-niqueurs mettent à profit en faisant cuire les merguez au débouché des fissures souterraines par où s'échappent un air brûlant mêlé de gaz telluriques.
Une fois sur la coulée de 2007 ci-dessus, nous découvrons les végétaux les premiers à pousser sur la lave encore chaude par endroits malgré ses cinq ans d'âge (ce texte a été rédigé en septembre 2011). Le bois de chapelet, urticacée comme l'ortie et le bois de tension, est le plus abondant avec la fougère Nephrolepis (nephro pour rein, lepis pour écaille, les spores étant regroupées en une écaille en forme de rein). Cette fougère est indigène.
La fougère Paille-en-queue est une échappée des jardins.
En théorie, ce sont les lichens les premiers à coloniser une coulée récente, suivis des mousses au niveau des failles notamment puis des fougères. Mais nous constatons que le bois de chapelet est là avant toue autre espèce.
Le Mikado (Costularia melicholides ???) doit son nom aux parties noires altérant avec les parties blanches de sa tige.
De nombreux arbrisseaux de Bois d'andrèze parent les flancs du rempart. On les distingue des Bois de chapelet à leurs feuillages jaunes par endroits.
L'Heterotis, autre échappée des jardins, est comme le Tibouchina ??? une Mélastomatacée ???
La Z'herbe bourrique pousse normalement dans les zones humides mais on la trouve ici sur la lave. Nicole CRESTEY suppose que nous sommes en présence d'une mutation. Dans le « temps lontan », il existait des « écoles bourriques » où les élèves après la classe allaient suivre des cours du soir. Nos ministres et leurs continuelles réformes viennent donc de réinventer « l'école bourrique ». La Z'herbe bourrique (Ludwigia octovalvis) a un fruit sec à huit valves comme l’indique son nom latin; C’est une onagracée. Les onagres sont, comme les ânes, des bourriques. Lorsqu'on observe la fleur de la Z'herbe bourrique on remarque l'ovaire infère : l'ovaire est sous les sépales. Le fruit ??? en est rouge, ce qui fait de cette plante une ornithochore, c'est-à-dire une plante dont les graines sont véhiculées par les oiseaux. Anémochore, les graines de la plante seraient portées par le vent. La Z'herbe bourrique est comme Heterotis une Mélastonacée, qui lorsque les graines en sont mâchées, donne la bouche noire ??? .
Des volutes de buée (pas de vapeur d'eau) flottent sur les laves. La pluie a cessé, le soleil perce presque les nuées et sous nos pieds fait rutiler mille joyaux minéraux dans les laves non encore colonisées. Le fer dans la roche une fois oxydé la pare de rouge. L'olivine dans les laves a des reflets verts, et bleutés quand elle est oxydée. C'est l'iddingsite, comme sur Mars.
La Colle-colle comme son nom le laisse deviner est une zoochore (disséminée par les animaux).
Nicole déniche un ficus ornithocore dans les laves. Sur la tige, les cicatrices des feuilles tombées, typique de la famille des Moracées ( comme le mûrier du ver à soie).
Un autre ficus est découvert, autre Affouche, peut-être un Mauritiana. On distingue l'étui protecteur des jeunes feuilles à venir au sommet de la plantule.
La Z'herbe caille a pour autre nom le Casse-tout-seul.
Nous sommes sur les laves et deux responsables du Parc national sont arrivés : ils laissent Nicole CRESTEY qui nous guide dans le dédale des laves en nous demandant de toujours rester prudents finir ses explications tellement appréciées par tous, puis il se présentent : Arsène et François. Leurs connaissances et leur passion pour leur métier font honneur à ceux qui les ont formés, en particulier pour Arsène les Professeurs Guy Fontaine, Professeur de Géographie et Doyen de la Faculté des Lettres, et René Robert, Professeur de Géographie, porteur du projet "Patrimoine de l'UNESCO". La discussion tourne autour des thèmes habituels, sensibilisation et répression, et sur les arcanes de la stratification des règlementations dont le Parc hérite. Au passage, on note l'impact de l'héritage des us et coutumes locaux sur la gestion du patrimoine naturel : l'indivision sur des domaines qui ont couru du battant des lames au sommet des montagnes complique les tâches des administrateurs du Parc à l'infini. La SAFER est impliquée. Les aires d'adhésion au Parc sur son pourtour sont là pour inviter les communes sur les territoires desquelles elles se trouvent à les faire entrer dans le Parc dont la charte devrait être finalisée l'an prochain (2012). C'est un nouveau concept de parc national qui est ainsi mis en place à La Réunion, pionnière en la matière, qui montre que l'influence des philosophes américains et indiens en matière d'éthique environnementale a mis à mal le concept de parc national à l'américaine, qui ne sont que les sanctuaires d'une nature vierge idéalisée qui n'a jamais existé. Désormais l'humain, agent premier du paysage, du moins le croit-il, a sa place dans les parcs s'il sait respecter le milieu qu'il façonne à travers les âges. Arsène et François nous racontent leurs aventures aux sommets des Pitons, aires de reproduction des Pétrels de Barreau où les chats marrons et les rats sont leurs prédateurs. Les cages attrape-chats ne sont pas sans faire regretter les imprécisions de celle de Shrödinger.
L'étape suivante sur la route des laves nous mène à un Kipuka (ci-dessus), îlot de végétation épargnée par l'apocalypse des laves dévalant vers la mer (ici c'est la coulée de 2007 qui est concernée). Sur les coulées anciennes, le filao a déjà tout colonisé. Ses aiguilles une fois tombées à terre empêchent les jeunes plantules d'autres espèces de se développer. C'est donc un tueur d'endémiques. Les oiseaux friands de ses graines le disséminent largement. C'est un astucieux psammophile comme la Patate à Durand, astucieux en ce que sur ses racines il a mis de minuscules nodosités abritant des bactéries capables de fixer l'azote atmosphérique. Le Casuarina, l'autre nom du Filao, originaire d'Australie a été importé pour fixer les dunes de l'Étang Salé, mais il sert aussi comme bois de chauffage et bois de charpente et il s'est répandu sur tout le littoral. Jean-Marc GRONDIN nous raconte qu'un de ses cousins forgeron récoltait les vieux ressorts de sommier pour les transformer en clous suffisamment résistants pour percer le bois de filao utilisé pour les parquets, les clous ordinaires se tordant sous le marteau.
On distingue les laves Aa, le graton, dont la colonisation par les plantes est plus difficile, des laves Pahoehoe, laves visqueuses et lisses, cordées une fois refroidies.
Sur la coulée de 2002 on devine parfois la douce puanteur du SO2.C'est une coulée où abondent les blancs lichens. On y découvre un petit Bois de rempart. « Un feuille y tué un cabri, trois feuilles y tué un bœuf ! » En faisant "miroiter" la feuille, on devine trois bandes parallèles partant de la base allant jusqu'à son extrêmité. Le petit plant si les dieux du Pays brûlé lui prêtent vie pourra avoir un tronc de deux mètre de diamètre.
Nous constatons également que les bords de la route sont plus fournis en végétation. Nicole CRESTEY explique que plus irrigués que les laves par les eaux de pluie qui n'ont pas traversé le bitume de la route, plus vite refroidis, recevant plus de graines arrivées là sous les semelles ou les pneus des voitures des visiteurs, ils sont naturellement plus végétalisés.
La Plaine des Palmistes eut pour maire en son temps un certain Boissier qui aurait importé dans l'île une jolie petite plante rouge, aux inflorescences en boules, d'où son nom vernaculaire, Boules de Boissier (Polygonum capitalum ???). Ces boules qui devraient être des graines ne sont que des fleurs.
La coulée de 2004 est aussi une coulé Pahoehoe. Les filaos ont colonisé. Les aiguilles du Filao sont en fait un rameau, divisés en petit segments, au bout desquels on devine de minuscules pousses : ce sont les vraies feuilles du Filao à feuilles de prêle (Casuarina equisetifolia , c.a.d. qui rappelle le plumage du Casoar Casuarina crin seti de cheval equi), monospécifique qui a pour cousine la Prêle. La chlorophylle n'est donc pas l'apanage de la feuille dans le règne végétal.
Parmi les brins d'herbe, des Cyperacées éparses.
Nous arrivons à la coulée de 1998 qui n'a pas atteint la route. Dans l'herbe se tapit la Trompe la mort, nom vernaculaire de la Sensitive, Mimosa pudica. Nicole nous fait escalader des roches où s'amorce un sentier partant à l'assaut des laves et déjà très végétalisé et très fleuri. Des fleurs roses (Mélastomatacées ???) y côtoient des Crotalaires, qui de profil font penser à un petit oiseau. Partout poussent des fougères Nephrolepis bisserata dont la prolifération va un temps empêcher celle des ligneux. Les jeunes fougères tendent leurs minuscules crosses.
Ko ça un soz ? « Le zenfan quand y né y montre le poing son moman ? »
La minuscule Goutte de sang est une petite parasite des graminées, ici la traînasse, dont elle pompe la sève montante (ou minérale) et non la sève élaborée (ou nourricière).
La Z'herbe lo rail (Asystasia gangetica) doit son nom au fait qu'elle a été introduite par les ouvriers qui construisait la voie du chemin de fer aux temps anciens de la vapeur.
La Z'herb de l'eau (Commelina??? ) de la même famille que la misère servait de laxatif.
La Gueule noire ???, (de la famille des Mélastomatacées MELA noir , STOMA bouche)) ou Tabac marron ou encore Tabac bef est ici abondant, comme le Tibouchina et ses feuilles veloutées à ne pas confondre avec le Patchouli.
La Liane d'amarrage, comme son nom l'indique, a servi à ligoter les paquets dans le temps lontan.
Nous avons retrouvé l'entrée de l'ancienne décharge qui a été intelligemment paysagée et arborisée. Une future forêt de grands arbres y pousse sur les vestiges enfouis du consumérisme global. La Doucette se reconnaît à ses larges feuilles rentrantes. Distinguer les Petits nattes ??? des Grands nattes est encore possible puisque le les feuilles juvéniles du Petit natte sont rougies (hétérophylllie). Mais pour distinguer le Takamaka ??? du Grand natte, il faut aller soulever les feuilles des Takamakas pour s'assurer que les nervures sont très resserrées. Le Takamaka se repère aussi à son tronc aux tons jaunes.
Les élégantes Étoiles de Bethléem sont aussi immaculées que toxiques.
Nous quittons la piste pour emprunter un passage qui nous mène sur la coulée de laves Pahoehoe. C'est une féérie de compositions brutes où les agents telluriques le disputent à la protéiforme botanique des tropiques australs.
Nous rodons des barils, sortes de puits laissés par la combustion des parties inférieures des troncs d'arbres pris par les laves brûlantes. Le reste des troncs calcinés sont encore là, couchés à jamais sur des lits de lave Pahoehoe où les plis et les tons d'or de la lave sont époustouflants dans leur circonvolutions ocellées jonchés d'aiguilles de filaos.
Nous finissons par trouver un bon peu de ces barils créés par endomorphose.
Nous avons bien mérité notre pique-nique endomorphique.